Tampon!

DAN CARTER

LE CATALAN Il voulait découvrir la France, couper avec la Nouvelle-zélande le temps d’un semestre et avait choisi Perpignan pour le faire. Sauf qu’évidemment, rien ne s’est passé comme prévu. a joué cinq petits matchs avec L’USAP mais rencontré la démesur

- PAR ANTOINE MESTRES / PHOTOS: PRESSE SPORTS, PANORAMIC ET ICONSPORT

Tout a commencé dans les bouchons à la sortie Nord de Barcelone un soir de septembre. Au soleil couchant, une Ford C-max grise cherche à se faufiler, Perpignan est à deux heures de route. Devant, Paul Goze, veste du club et polo noir, conduit pendant que Jacques Brunel, lunettes de soleil et chemisette rayée, essaie d’engager la conversati­on. Derrière, aux côtés de Laurent Lafitte, son représenta­nt en France, et Benoît Brazès, bras droit de Goze, Dan Carter, chemise à carreaux et jetlag sous les yeux, ressemble à un étudiant pommé. Comme toute personne gênée, il tente une petite vanne pour dérider l’assistance. Ce sera pour Paul Goze et sa conduite musclée. “Tu serais pas le frère de Schumacher?” Paul gausse mais ne s’éternise pas. “Je ne parle pas l’anglais, donc à part dire des banalités, je ne pouvais pas avoir de vraies conversati­ons avec lui”, raconte-t-il. Vers 23h, le convoi dépose l’ouvreur des Blacks à l’hôtel Les Flamants roses à Canet-en-roussillon. Le lendemain, il doit être présenté au stade Aimé- Giral devant 4 000 supporters catalans incrédules. Cela aurait pu se passer à Toulon. Mourad Boudjellal aussi avait coché le nom du Néo-zélandais, mais Goze l’a joué à l’ancienne pour rafler le gros lot. Peu de mots, quelques sourires et un message clair: “Ici, tu sais, c’est spécial.” C’était en décembre 2007, lors de la prise de contact avec son agent. Le président de L’USAP a ensuite gardé le secret pendant six mois. Au club, seule son assistante et Benoît Brazès étaient dans la confidence. “Il l’a eu à la Goze, glisse un proche du club. Tout le monde le prend pour plus bête qu’il n’est. Il lui a dit: ‘ Tu sais, à Toulon, tu seras entouré d’anglo-saxons. Et ici, on va s’occuper de toi.’ À Perpignan, Carter est arrivé dans un club de paysans –dans le bon sens du terme–, il a vécu l’amateurism­e du profession­nalisme, c’est ce qu’il voulait. Et surtout, on lui foutait la paix”. À l’époque, Daniel Carter est déjà considéré comme le meilleur joueur du monde. Mais à 26 ans, il sort d’une Coupe du monde éprouvante et ressent le besoin d’aller voir ailleurs malgré un nouveau Tri-nations remporté avec les Blacks. “Tout au long du tournoi et de la tournée qui a suivi, toutes mes pensées allaient à Perpignan”, expliquera­t-il plus tard. Dans les Pyrénées- Orientales, même Jacques Brunel n’était au courant de rien. “Paul Goze m’a dit: ‘On a la possibilit­é d’avoir un ouvreur.’ J’ai dit: ‘Il faut qu’il soit meilleur que ceux qu’on a. ‘Il m’a répondu: ‘ On peut avoir le meilleur.’”

“Je ne suis pas une rockstar”

Quand la nouvelle est officialis­ée, le 27 juin 2008, ses futurs coéquipier­s n’osent pas trop y croire. En vacances en Corse, Julien Candelon reçoit un SMS d’émile Ntamack, en tournée avec les Bleus en Australie, qui dit: “Carter à Perpignan!” “Il venait de le voir sur Fox News. Je me suis dit: ‘C’est quoi cette histoire?’” Même incrédulit­é pour David Marty. “Au début, je pensais que c’était un journalist­e qui avait voulu faire un coup d’esbroufe”, avoue le trois-quarts centre. Mais Carter s’avance bien en chair et en os pour sa première présentati­on officielle le lundi. Un peu gêné par l’émotion suscitée par son arrivée, il prévient: “Je ne suis pas une rockstar, je ne suis pas Maradona.” Le lendemain, il repart pour la tournée de novembre avec sa sélection. Son arrivée définitive est prévue pour décembre. Benoît Brazès hérite du rôle de chaperon chargé de lui faciliter le quotidien. “J’étais très stressé, on recevait quelqu’un de plus grand que notre club. On ne voulait pas passer pour des bouseux.”

“Je ne parle pas l’anglais, donc à part dire des banalités, je ne pouvais pas avoir de vraies conversati­ons avec lui” Paul Goze, président de L’USAP à propos de sa première rencontre avec Carter

La seconde rencontre entre les deux hommes a donc lieu à Leicester le 6 décembre, pour un match de Coupe d’europe. Carter est en tribunes. Sur le terrain, Maxime Mermoz plante un essai de 80 mètres d’anthologie. “Inconsciem­ment, la présence de Carter en tribune a dû jouer”, en rigole encore l’intéressé. Pas Benoît Brazès, qui doit s’aventurer dans la foule et passer un savon à Sky TV pour récupérer son protégé à l’autre bout du stade. Il se rend alors compte qu’il “va devoir gérer un Beatles”. Il aide le joueur à s’installer dans sa maison proche de la plage à Canet. Un temps, la copine du nouveau, Honor Dillon, hockeyeuse sur gazon profession­nelle, a pensé trouver un club dans la région, avant de se résoudre à rester au pays et effectuer quelques allers-retours. Seul dans sa maison vide, Carter fixe une mission prioritair­e à Brazès: remplir son frigo. Le duo part en direction du Carrefour route de Canet, Dan caché sous une casquette. “À la caisse, je me rends compte qu’on a oublié de peser les tomates. Je suis parti 30 secondes ; entre-temps, la caissière l’avait reconnu. On est sortis de là deux heures et quinze minutes plus tard, c’était l’enfer.” Pourtant, la “star” trouve vite ses marques, et donne la leçon sans le vouloir. À la fin du premier entraîneme­nt, Carter tape 50 pénalités sur la ligne de touche, et rate une seule fois les perches. À côté, ses coéquipier­s l’observent religieuse­ment. “Il était mal à l’aise mais nous, on était curieux de voir comment il travaillai­t, on voulait voir s’il était vraiment plus rigoureux que nous”, resitue Jean-philippe Grandclaud­e. À la sortie du stade, quand il faut se frayer un chemin au milieu des chasseurs d’autographe­s, il suffit d’un signe à Benoît Brazès, aidé des solides Olivier Olibeau et Marius Tincu, pour l’extirper de la nasse. Dans les vestiaires, même les

chambreurs restent sur la défensive. “On n’avait pas envie d’être lourds”, avance Julien Candelon. Avant les matchs, c’est pareil, poursuit l’ailier de poche. “Je lui demande: ‘Où est-ce que tu veux que je vienne dans la ligne?’ Il me répond: ‘Metstoi dans l’intervalle, dans des zones démarquées. Je ferai le reste.’ Je me suis dit: ‘Bon, OK, vu comme ça…’”

Soirée d’intégratio­n et rupture

du tendon d’achille

Le rugby perpignana­is fait véritablem­ent connaissan­ce avec Dan Carter lors d’un déplacemen­t à Brive, début janvier 2009. Avec le joueur tout d’abord, qui traverse plusieurs fois le terrain et martyrise Andy Goode pour donner la victoire aux siens. Puis avec l’homme, après le match, quand Damien Chouly propose au groupe de terminer la soirée dans son bar. “Un dimanche soir dans la pampa à Brive, il fait -2 degrés, il n’y a pas un chat resitue Brazès. On a garé le bus devant le bar, il n’y avait personne pour venir nous embêter.” Sans se forcer, le Black lève le coude avec les autres et gagne pour de bon sa place dans la famille USAP, une famille un peu spéciale. À l’époque, le club sort juste de sept années sous la présidence de Marcel Dagrenat, dont tout le monde loue les qualités de gestionnai­re mais pas le sens des relations humaines. Avec le retour de Paul Goze aux affaires (déjà président entre 1989 et 1993) et l’arrivée de nombreux jeunes dans le groupe (Jérôme Porical, Jean-pierre Pérez, Guilhem Guirado, Maxime Mermoz, Damien Chouly), le club retrouve une âme. Et son sens de la fête. Seulement voilà, la semaine après Brive, Dan Carter ressent une douleur au tendon d’achille. “On n’avait rien vu lors de la visite médicale, c’était sans doute lié à ses multiples entorses à la cheville”, croit savoir Brazès. Le 31 janvier, L’USAP affronte le Stade Français au Stade de France. Carter a de plus en plus mal mais ne dit rien par peur de décevoir. Lorsque Jacques Brunel lui demande si tout va bien, il hoche la tête et se gave d’antalgique­s. Même claudiquan­t, il ajuste à la 73e minute une merveille de passe au pied pour Mermoz et transforme l’essai dans la foulée. Puis, il passe une pénalité pour ramener les siens à 13-13. Sur la dernière action du match, il attaque la ligne mais reste au sol après un plaquage d’hernandez. La panique saisit le camp catalan. Benoît Brazès s’y revoit encore. “Je gueulais depuis la tribune présidenti­elle: ‘Daniel, kick the ball in touche.’ S’il tape à ce moment-là, peut-être qu’il ne se blesse pas…” Quelques minutes plus tard, le verdict ne laisse aucun doute: rupture du tendon d’achille. Dans le vestiaire, Maxime Mermoz est effondré, certains pleurent, le staff se décompose. Dan Carter vient de disputer son cinquième et dernier match avec L’USAP.

Champion de France en tribunes

Abattu, il regagne sa maison du Canet à 4h du matin. Quatre heures plus tard, Brazès sonne déjà à la porte. De crainte qu’il ne rentre immédiatem­ent en Nouvelle-zélande après seulement un mois et demi d’aventure, il appelle son président. Paul Goze et Jacques Brunel débarquent illico pour prendre le café et expliquent qu’ils veulent le voir rester, même blessé. Pendant ce temps-là, le téléphone néo-zélandais de Carter n’arrête pas de sonner. Le pays a une Coupe du monde à gagner dans deux ans à domicile et le staff des Blacks s’inquiète. Mais le joueur a très vite fait son choix. Pas question de déserter. “Vous m’avez accueilli comme dans une famille, je ne laisse pas tomber la famille.” En trois minutes, la situation est réglée. Dan Carter se fera opérer à Lyon et effectuera sa rééducatio­n à Perpignan. Commence alors une nouvelle vie pour le couple Brazès-carter. L’un dort trois jours par semaine chez l’autre, histoire de le décharger de la vaisselle et la lessive et de l’emmener un peu partout. À la rééducatio­n comme au stade, où il prend du temps pour conseiller le buteur Jérôme Porical ou discuter tactique avec Frank

“Au début, je pensais que c’était un journalist­e qui avait voulu faire un coup d’esbroufe” David Marty au moment de l’annonce de l’arrivée de Carter

Azéma, entraîneur des trois-quarts. Avec ses amis d’enfance Mark, James et Nick ou avec Damien Chouly, il sillonne les routes des PyrénéesOr­ientales et met les Potbelleez (un groupe d’électro-house australien) à fond dans la voiture. Parfois, il termine au Paradisko à Canet. Henry Tuilagi n’est jamais loin et gère la question du Jack Daniel’s. Une vie d’étudiant? Benoît Brazès nuance: “Quand il bringuait, le lendemain matin, il faisait ses pompes pour tout suer.” Le meilleur est à venir. Nicolas Laharrague blessé, L’USAP termine en tête de la saison régulière sans ouvreur de métier et tourne à tour de rôle avec un demi de mêlée –le bien nommé David Mélé– ou le centre Gavin Hume. Malgré tout, l’équipe est irrésistib­le et “gagne tous ses matchs, y compris ceux qu’elle ne devait jamais gagner”, rappelle Goze. En demi-finale à Gerland contre le Stade Français, Carter découvre le parfum des phases finales à la française. Pour éviter qu’il fasse la plante verte dans le vestiaire, Benoît Brazès l’emmène voir autour du stade un drôle de phénomène. Des dizaines de milliers de supporters ont sorti le barbecue et font “griller” sous le cagnard, où l’odeur d’aïoli se mélange aux vapeurs de vin des Corbières. Les Catalans sont chez eux partout et le font vite savoir. Une semaine plus tard, les hommes de Brunel roulent sur Clermont en finale et débarquent au Pau Brazil, une boîte des Champs-élysées, avec le bouclier de Brennus. Au petit matin, l’équipe se divise. Certains suivent Jacques Brunel au Pied de Cochon à Châtelet quand Dan et d’autres épongent les derniers verres avec une entrecôte du côté de Wagram. Quelques heures plus tard, quand la moitié du groupe roupille dans l’avion, lui refait le monde bière à la main, à côté des toilettes avec Samueli Naulu, Perry Freshwater, Kisi Pulu et Henry Tuilagi.

Surf, bouclier de Brennus et gilet jaune fluo

De retour au pays, les joueurs découvrent entre l’aéroport et le centre-ville une foule en liesse qui attend de voir le “bout de bois” depuis 1955. “Et là, Henry Tuilagi arrache la trappe du bus et on monte tous sur le toit alors qu’il était pas du tout fait pour ça”, hallucine encore Candelon. L’intégralit­é du groupe circule alors sur un bus qui avance à deux à l’heure. Dan Carter est hilare, Candelon aussi. “Si le chauffeur freine, on tombe tous par terre. Heureuseme­nt qu’on était escortés par la police.” Après les festivités au Castillet, le groupe met le cap vers Le P’tit Mar, le restaurant de plage de David Marty à Sainte-marie. “Je me revois là avec Dan, Nico Durand, les îliens, Porical, resitue Jean-philippe Grandclaud­e. On a vu le jour se lever, on était juste heureux.” Au lever du soleil, direction Le Régent, le bar de Christophe Porcu à Torreilles, un village voisin. Henry Tuilagi tape à la porte. La fille de Porcu descend réveiller son père. “Y a Tuilagi, ça craint.” Alors celui que l’on surnomme “Gaillou” en pays catalan prend les choses en mains et position derrière la tireuse à bière pour rincer ses ex-coéquipier­s. Entre-temps, Dan Carter a échangé son t-shirt contre le gilet jaune fluo d’un agent de voirie qu’il vient de croiser. Il est 8h du mat’ et le téléphone de Benoît Brazès sonne déjà. “On me prévient que Dan est à trois grammes au milieu d’un carrefour à Torreilles en train de faire la circulatio­n. Je me suis dit: ‘Mais c’est quoi ce bordel?’” Le lundi en fin de matinée, la bande est de retour sur la plage. Midi approche et Dan Carter cherche à surfer les vagues avec le bouclier en guise de planche. Dans l’après-midi, il tentera bien de trouver un peu de repos. Peine perdue, raconte Brazès. “David Marty et Henry Tuilagi sont allés le réveiller chez lui pour remettre ça le lundi soir.” Hélas, le mardi matin à 9h, il faut déjà rentrer au pays. Benoît Brazès raccompagn­e celui qui accuse trois nuits sans sommeil à l’aéroport de Barcelone. Cette fois, le soleil est levé et le trafic est fluide. Les deux auraient sans doute aimé trouver quelques bouchons à l’approche d’el Prat, pour faire durer encore le plaisir. TOUS PROPOS

“On me prévient que Dan est à trois grammes au milieu d’un carrefour à Torreilles en train de faire circulatio­n” Benoît Brazès, dirigeant de L’USAP à propos des festivités de l’après titre

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