Tampon!

A Day in the Life

C’est un jour dans leur vie. Un match pas comme les autres où un geste, un essai, une course, un coup de pied, bref une action plus ou moins positive est venue éclairer une carrière pourtant promise à un certain anonymat.

- PAR CHARLES ALF LAFON, GRÉGORY LETORT, ANTOINE MESTRES, QUENTIN MOYNET ET ALEXANDRE PEDRO / PHOTOS : PANORAMIC, DPPI, ICONSPORT ET DR

Rué pas content.

LAURENT MAZAS

Que peut-on espérer d’une carrière passée entre les terrains de Villefranc­he-de-lauragais, Colomiers et Biarritz en tant que demi polyvalent et les salles de classe du lycée Paul-bert de Bayonne comme prof de maths? Sans doute une entrée à la 75e minute de la finale du championna­t de France 2002 contre Agen à la place de Nicolas Morlaes, une fin de match passée à regarder François Gelez et Joe Roff, les buteurs, se répondre du tac au tac. Puis, dans les dernières secondes de la prolongati­on alors qu’il y a 22 partout dans un Stade de France électrique: “Je suis à la mêlée, mais au bout du troisième temps de jeu, je suis un peu en retard. Du coup, je suis en position de drop et ça passe. Je me replace vite en pensant que les Agenais vont vite réengager, mais tout le monde me tombe dessus. C’est fini.” AM

JANNIE DE BEER

Le titulaire habituel Henry Honiball à peine de retour de blessure, c’est avec Jannie de Beer, l’ouvreur des London Scottish, que les Springboks se présentent à la Coupe du monde 1999. Qui ça? Jannie de Beer. Une étoile filante avec une tête de fermier afrikaner. En quart de finale contre l’angleterre, Jannie claque cinq drops en 31 minutes, dont quatre de 40 mètres. Record toujours à battre. Après le match, il plane encore: “L’orgueil est la première étape avant la chute. On peut gagner des Coupes du monde mais sans JésusChris­t, cela ne représente rien. Je n’aurais certaineme­nt pas pu accomplir [cet exploit], d’abord sans l’aide de mes coéquipier­s, ensuite sans celle de Notre Seigneur.” En demi-finale, le Seigneur et les Boks ne peuvent rien contre un drop longue distance de l’australien Stephen Larkham. De Beer ne reportera plus jamais le maillot vert et jaune. Trois ans plus tard, ses genoux lui demandent d’arrêter le rugby. Aujourd’hui, il est très impliqué dans l’église pentecôtis­te. Dire que si Youtube avait existé en 1999, il aurait peut-être été immortel… AM

SIMON CULHANE

Avant leur exploit retentissa­nt contre les Springboks, les Japonais ont connu un long bizutage en Coupe du monde. Comme ce 4 juin 1995 à Bloemfonte­in lors du mondial sud-africain, où la Nouvelle-zélande inflige une défaite record aux Nippons (145-17). Alors que le sélectionn­eur black, Laurie Mains, a laissé certains cadres au repos, tels qu’andrew Mehrtens. Depuis les tribunes, l’ouvreur observe son remplaçant, Simon Culhane, marquer son essai et surtout réussir 20 transforma­tions sur 21 tentatives. Pourtant, ses copains ne prennent même plus la peine en fin de match de marquer sous les poteaux pour lui faciliter la tâche. Pas grave, Culhane établit avec 45 points un record qui tient toujours. Malgré cette performanc­e, il ne disputera que cinq autres rencontres en sélection. Son défaut: avoir été de la même génération que Mehrtens et Carlos Spencer. Bref, être né en NouvelleZé­lande. QM

GORDON HAMILTON

Ce rugby n’existe plus. Lansdowne Road, ses sièges en bois, le train qu’on entend siffler sous la tribune présidenti­elle, des maillots trop larges, une attaque en première main, un troisième ligne de moins de 90 kilos, un essai en coin et des supporters qui sautent sur le terrain pour venir étreindre le héros de ce 20 octobre 1991 à Dublin. Vingt-cinq ans plus tard, Gordon Hamilton reste un héros, il est l’homme qui a permis à l’irlande de terrasser l’australie en quart de finale de la Coupe du monde… pendant trois minutes, avant que Michael Lynagh ne plonge en terre promise sur la dernière action des Wallabies. L’irlande est éliminée d’un point (19-18) et Hamilton a marqué le seul essai d’une carrière internatio­nale qu’il termine un an plus tard par une lourde défaite contre... l’australie. Depuis, Lansdowne Road a été rasé et les spectateur­s restent sagement à leur place dans un stade qui porte le nom d’un célèbre assureur. AP

BENOÎT BABY

Formé à l’école toulousain­e, l’ariègeois semble promis à une longue carrière avec le XV de France. Ouvreur, centre, arrière ou même ailier, la question est juste de savoir à quel poste. Ce 12 mars 2005, à Dublin, la carrière de Baby avec les Bleus a débuté au centre il y a 33 minutes lorsqu’il dépose la défense irlandaise le temps d’une course folle de 50 mètres. Certains crient déjà au Sella. Après la rencontre, la légende Brian O’driscoll vient même lui offrir son maillot dans les vestiaires sans demander le sien en échange. “Un premier maillot, ça se garde”, coupe l’irlandais pas rancunier ou encore groggy peut-être. Car en deuxième mi-temps, BOD a ramassé un coup de tête de… Baby. Cité, le Français écope d’un mois de suspension. De quoi mettre en rogne son sélectionn­eur, Bernard “pas de faute” Laporte. “Benoît était sans doute emporté par la fougue, mais je ne peux pas tolérer ce geste.” Le fautif revient bien en sélection trois ans plus tard, mais il y a toujours une blessure pour casser son élan. Baby One More Time ne sera jamais un tube en France. AP

SÉBASTIEN CARRAT

“Quand j’y pense, j’ai couru aux côtés de John Drummond, Bruny Surin, Donovan Bailey, Linford Christie ou encore Frankie Fredericks. Et je suis devenu champion d’europe de rugby.” La carrière du Montalbana­is est l’histoire d’une ligne droite avec un virage inattendu au milieu. Formé au rugby, Carrat devient dans les années 90 un des meilleurs sprinteurs français avec un record de 10’34” au 100 mètres. Il participe même aux mondiaux en 1995 au sein du relais tricolore avant de revenir “sur un coup de tête” à son premier amour. Et pas vraiment comme pilier droit. Bon timing, Sébastien rejoint son frère cadet Jérôme à Brive en 1996. L’année suivante, le CAB marche sur l’europe et l’ailier sprinteur inscrit dix essais. Il marque les deux plus inoubliabl­es en finale contre Leicester à l’arms Park pour sceller la victoire des Corréziens (28-9). Si la suite est moins probante, on n’a plus vu depuis un homme aussi rapide sur un terrain de rugby. Mais qui sait, un jour, Christophe Lemaître ou Jimmy Vicaut abandonner­ont peut-être les pointes au profit des crampons “sur un coup de tête”… QM

MATHIEU DOURTHE

Il est double champion du monde et affiche 100% de victoires contre les All Blacks. Cette légende s’appelle Mathieu Dourthe. Une trajectoir­e landaise: L’US Pouillon, puis les juniors de Dax jusqu’à l’équipe première et enfin le XV de France, avec lequel il défiera la Nouvelle-zélande à Marseille pour une victoire d’anthologie le 18 novembre 2000 (42-33). Ce soir-là, le champion du monde junior (1995) et universita­ire (2000) aux côté des Chabal et Nallet, remplace en fin de match son homonyme Richard Dourthe, blessé. Deux mois plus tôt, l’autre Dourthe ne figurait même pas dans la liste des 74 joueurs retenus par Bernard Laporte pour préparer cette tournée d’automne. Et pour devenir le 22e homme, il était même le quatrième choix derrière Michel Marfaing, retenu avec France VII, Pascal Bomati, blessé, et le “pistolero” Jean-victor Bertrand, de retour de blessure. Le miracle n’a pas eu de suite, Mathieu Dourthe n’est jamais revenu. Il reste une carte d’internatio­nal, numéro 914. Et comme un remercieme­nt, une fin de carrière à Lourdes. GL

GRÉGOIRE LASCUBÉ

Sa douzième sélection lui aura porté malheur. Grégoire Lascubé s’est condamné en écopant d’un carton rouge contre l’angleterre un jour de désastre au Parc des Princes (13-31) le 15 février 1992. Sa faute? Avoir marché à deux reprises sur le deuxième ligne anglais Martin Bayfield, devenu bien plus tard doublure dans la saga Harry Potter pour le demi-géant Rubeus Hagrid. L’agenais a été mis dehors par l’arbitre irlandais Stephen Hilditch. Son compère de première ligne Vincent Moscato a très vite suivi l’exemple avec une entrée frontale en mêlée. Pour la première fois, les Bleus terminent un match à treize. Même sanction pour les deux bannis: suspension de six mois étendue aux compétitio­ns en club et départ sans retour de l’équipe de France. Si le futur animateur radio a poursuivi sa carrière, décrochant un Brennus avec le Stade Français, Lascubé –qui avait été sacré en 1988 en profitant de l’expulsion de Jean-louis Tolot pour disputer la finale– a lui été lâché par le SUA. En février 2015, il préside le jury à l’élection de Miss Anglet. Se souvenir de ses mots à la sortie du dernier match de sa carrière internatio­nale: “Je constate les dégâts.”

RUI CORDEIRO

JULIEN BARÈS

JÉRÔME PORICAL

C’est une certaine idée du rugby. Dans les vestiaires de Gerland ce 15 septembre 2007, vainqueurs et vaincus du jour descendent quelques bières et apprennent à mieux se connaître. Les vedettes néo-zélandaise­s fraternise­nt avec des Portugais dont les trois-quarts sont le plus souvent avocats et les avants médecins. Rui Cordeiro exerce, lui, la profession de vétérinair­e et pousse des mêlées à l’aide de ses 138 kilos sur son temps libre. Quelques minutes plus tôt, le pilier a marqué le seul essai de son équipe contre seize aux Néo-zélandais pour une défaite 108-13. L’unique essai d’une carrière internatio­nale qu’il arrêtera d’ailleurs après cette Coupe du monde. De cette journée presque parfaite, Cordeiro n’a qu’un seul regret. Le soir de la rencontre, les Blacks invitent leurs nouveaux amis à une virée à Lyon. “Malheureus­ement, notre hôtel était au Chambon-sur-lignon, trop loin pour les rejoindre”, regrette-t-il encore. Dommage, le Portugais avait sans doute encore un peu soif. AP C’est le moyen de découvrir les meilleurs éléments de la formation française: les week-ends de doublon, quand le Top 14 programme une journée en même temps qu’un match du XV de France. Le 3 mars 2012, le trombinosc­ope de Canal+ donne dans l’inédit en prélude de Clermont/toulouse, affiche de la 19e journée. Côté stadistes, se dévoilent Aurélien Impérial –aujourd’hui à Revel en Fédérale 3– ou encore Yassin Boutemane –parti en Fédérale 1 à Soyaux-angoulême. Mais surtout, à côté de Luke Mcalister, un certain Youki Bru-siztovitch, présenté par Éric Bayle comme le cousin gersois de Yannick Bru, alors entraîneur des avants de Toulouse mais aussi des Bleus qui affrontent le soir même l’irlande, dans un match du Tournoi remis dans un premier temps pour cause de gel au Stade de France. Contraint d’aligner 22 joueurs au lieu de 23, Toulouse envoie son analyste vidéo, Julien Barès, grimé pour ironiser sur la situation. Face caméra, “Mental de Goby” (le surnom de Bru) écrit sur le bandeau lui entourant le front et pancarte “Dispo pour le XV de France” à la main, Barès est prêt au combat. Guy Novès n’osera pourtant pas pousser la blague jusqu’au bout en l’envoyant sur le terrain. Et Toulouse s’inclinera 35-5. GL “Dix grosses minutes en deuxième mi-temps, et après, c’est à nous.” La mi-temps de la finale Perpignan-clermont de 2009 est à peine sifflée qu’un David Marty essoufflé annonce le scénario du match au micro de Canal+. Une simple vue de l’esprit? Pas vraiment. Quelques secondes plus tôt, Jérôme Porical a permis à L’USAP de recoller à 10-6 avec une pénalité de 45 mètres en coin et le peuple catalan sent le vent tourner. Au retour des vestiaires, le show Porical continue avec trois pénalités lointaines qui tuent les derniers espoirs auvergnats. Score final : 22-13, dont 14 points pour “Popo”. Perpignan peut saluer son héros du jour issu d’une famille immortelle: son grand-père, Paul, a été champion de France en 1938 avec L’USAP et son père, Gérald, finaliste en 1977. La suite pour le fils prodige? Une lente descente aux enfers: un mauvais remake un an plus tard contre L’ASM lors d’une finale perdue cette fois avec quatre pénalités ratées, une titularisa­tion malheureus­e avec les Bleus lors du naufrage contre l’australie un soir de novembre 2010, le statut de remplaçant à L’USAP, un départ triste vers un Stade Français moribond, puis un transfert vers le LOU, désormais en Pro D2. Pire encore, à chaque fois qu’il revient à AiméGiral, une partie du public siffle son Popo. Les Catalans peuvent être ingrats. AM

JOE ANDURAN

CHRIS OTI

On pourrait se souvenir de Chris Oti comme du premier joueur noir du XV de la Rose après près de 80 ans et un certain James Peters. C’était en 1988, à Murrayfiel­d contre l’écosse. Mais son véritable fait d’arme intervient face à l’irlande, lors du dernier match de ce Tournoi. Alors que l’angleterre est menée 3-0 à la mi-temps, l’ailier d’origine nigériane inscrit un triplé d’anthologie. Un exploit plus vu depuis 1924 dans un Twickenham en délire qui entonne alors Swing Low, Sweet Chariot. Certains affirment l’avoir entendu dès le deuxième essai, d’autres au troisième. Un groupe de la Douai School est généraleme­nt crédité comme étant à l’origine de cette chanson mais le club de Market Bosworth en réclame aussi la paternité. Était-ce un choix politique ou une simple habitude de comptoir? Toujours est-il que ce chant est depuis devenu l’hymne officiel du XV de la Rose, alors qu’oti a vu la suite de sa carrière contrariée par de nombreuses blessures. CAL

JOE LAUNCHBURY

GAVIN HENSON

La déception est immense. L’angleterre vient de prendre la porte de sa Coupe du monde, écrasée 33-13 par l’australie dès la phase de poules. Bernard Foley a tranché (28 points), David Pocock a broyé. Pourtant, l’homme du match est bien un Anglais. Certes, Joe Launchbury –puisque c’est du deuxième ligne qu’on parle– a chargé plus d’une fois avec succès, mais la récompense est teinté d’amertume et d’ironie. “C’est extrêmemen­t bizarre d’être nommé homme du match, admet-il à chaud. C’est embarrassa­nt et [ce trophée] ne finira certaineme­nt pas sur la cheminée.” En cause, le système d’élection –un vote des fans sur les réseaux sociaux– a été changé dans la foulée pour éviter ce genre de bizarrerie. En même temps, un Australien n’aurait pas vraiment pu poser le trophée sur une cheminée… CAL

THIERRY LABROUSSE

Avril 1996, les Bleus préparent leur rencontre annuelle face à la Roumanie, l’occasion d’une revue d’effectif. Sont prévus six nouveaux, dont Thierry Labrousse, titulaire de dernière minute en 8 après les forfaits d’abdelatif Benazzi et Olivier Roumat. La France s’impose 64-12 à Aurillac face à des Roumains d’un niveau groupe B. Outre l’improbable triplé de Christian Califano, on ne retient que le doublé et “le gros travail du briviste Labrousse” ce “troisième ligne au physique d’acteur de soap opera”, comme l’écrit à l’époque Libération. Le Périgourdi­n de naissance est d’abord un redoutable manieur de ballon, avec une tendance à la disparitio­n en défense. Titulaire en novembre lors de la défaite face aux Boks, il est ensuite sacrifié au profit d’un Benazzi décalé en troisième ligne. Labrousse ne sera plus jamais sélectionn­é, boudé comme Sylvain Dispagne et Albert Cignagna par une équipe de France qui n’aime pas les numéros 8 joueurs et le plaisir. Il restera un titre européen avec Brive, une finale de championna­t perdue avec Agen malgré un essai et un surnom: “Magic”. Les vrais savent. CAL

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France