Tampon!

Jacques Fouroux

Jacques Fouroux s’en est allé un soir de décembre 2005, à 58 ans. Après les injustices, les guerres sur tous les fronts, les plus grandes victoires, les plus cruelles défaites, les nombreux excès, une longue traversée du désert, des réconcilia­tions et un

- PAR GRÉGORY LETORT / ILLUSTRATI­ONS: BENOÎT HAMET

Il est mort chez lui à Auch le 17 décembre 2005 à 58 ans. Laissé de côté par le monde du rugby, le Petit Caporal était pourtant prêt à repartir au combat après un dernier chocolat chaud au comptoir du France.

“Regardez, il n’est pas encore mort le Petit Caporal.” Le 16 décembre 2005, au café Le France, son quartier général à Auch, Jacques Fouroux, comme tous les jours depuis son retour d’italie, assure le spectacle. Pour la dernière fois, il aura eu raison. À quelques heures près. Fouroux s’est effondré le lendemain, samedi 17 décembre, victime d’une attaque cardiaque au moment où son fils Jean-baptiste, inquiet de le voir souffrir, appelait le médecin. Après une traversée du désert, une péritonite aiguë survenue un an plus tôt et un échec à l’aquila, en Italie, où, nommé manager le 5 août, il fut remercié le 3 novembre, le demi de mêlée du Grand Chelem 1977 avait fini par perdre de sa superbe. Peut-être plus fragilisé que ce qu’il voulait bien laisser voir. “L’échec en Italie, il n’en a pas trop parlé, il n’a pas ruminé mais ça a dû le toucher”, imagine Jean-baptiste. Son ami, Patrick Lafferrère, ex-joueur du FC Auch et du Stade Montois détaille. “L’aquila, ce n’est pas ce qu’il attendait. Il était soulagé d’être revenu, il avait les traits tirés mais on sentait qu’il était passé à autre chose. Il ne parlait pas de l’italie. On avait retrouvé son visage souriant, il était avenant,

comme toujours, et cherchait la discussion.” Un lieu pour cela: Le France, le bar de sa vie, son horizon, situé dans la haute ville d’auch, à 140 mètres de la place Betclar où il est né, où il a grandi, ses parents y tenant une pension de famille. Du 1er janvier 1969 au mois de décembre 2001, Le France, c’était chez Jean-jacques Lalanne. “Chez moi, il était chez lui”, nuance le taulier. Un quartier général naturel pour l’ancien sélectionn­eur, qui avait installé son bureau dans un appartemen­t au premier étage de l’immeuble faisant face au café. Une annexe de son bureau, plutôt, tant il fréquentai­t l’établissem­ent. “Il faisait des mêlées. Il y donnait ses rendez-vous aux joueurs. J’ai vu passer Willy Taofifénua, les Roumains, les Argentins”, se rappelle Lalanne, qui a admiré ses talents de négociateu­r –“Combien, il te donne? Zéro. Eh bien, je te donne le double.” Si Lalanne et son épouse ont passé la main, leur ami n’a jamais changé ses habitudes. Alors à son retour d’italie, il revient squatter le comptoir avec sa commande habituelle: un

“Il parlait de l’ancien temps, de l’équipe de France, des soirées. Je l’écoutais. Il parlait beaucoup mais j’étais jeune, j’avais du temps” Fréderic Medves, joueur du FC Auch avec qui Fouroux a partagé sa dernière tournée au France

chocolat chaud. Un prétexte pour ce gourmand pour mieux se retrouver au milieu du passage. “Il avait besoin de ce contact avec les gens, c’était un spectacle”, cadre le fils. Inutile de mettre une pièce, l’ancien sélectionn­eur (de 1981 à 1990) avait des mots pour tout le monde. Fréderic Medves, un jeune de Montmorenc­y venu tenter sa chance dans le Sud- Ouest à 18 ans, est l’un des derniers à en avoir profité. Ce 16 décembre, il a eu avec “le Petit Caporal” sa dernière discussion. “Il m’a offert le café. On a dit deux, trois mots sur mes débuts.” Fouroux y avait assisté, c’était le 10 décembre, une victoire du FCAG sur Bordeaux. “J’enchaînais avec l’équipe première pour le match suivant à Aix-enProvence. Il trouvait que c’était bien.” Medves est troisième ligne, Fouroux le voyait plutôt centre. “Il parlait de l’ancien temps, de l’équipe de France, des soirées. Je l’écoutais. Il parlait beaucoup mais j’étais jeune, j’avais du temps.”

En stop jusqu’à Anglet, chez Blanco

Fouroux parlait beaucoup mais tout était sous contrôle. Il savait entretenir sa légende et apportait des garanties, racontant que quatre jours plus tôt, le lundi 12 décembre, il festoyait au château de Brindos, près d’anglet, avec Serge Blanco, Jean-pierre Bastiat, Pascal Ondarts, Philippe Dintrans, Jean Gachassin, Michel Crauste et André Boniface. Un repas entre légendes du rugby français. L’histoire est authentiqu­e mais il faut creuser derrière. JeanPierre Bastiat lève le voile: “C’était lui qui avait organisé ça sous l’égide de Serge Blanco. Serge avait dit: ‘Je vais appeler untel et untel, on va le faire chez moi.’ Il avait mis de l’huile dans les rouages. Nous étions finalement tous réunis, alors que les gens ne se parlaient que par journaux interposés. C’était extraordin­aire, fabuleux.” Lafferrère raconte: “Jacques était content d’y aller. C’était une façon de revenir dans le milieu. Pour lui, le rugby, c’était ces hommes. Qu’ils n’aient pas toujours été amis, ça devait lui faire mal. Il s’est réconcilié avec lui-même.” Quand il a débarqué dans le château, propriété de Serge Blanco, le batailleur a avancé à petits pas, fatigué par un long voyage, lui qui, privé de permis, n’a pas souhaité demander d’aide. André Boniface a été frappé par l’état de fatigue du Gersois. “Il est arrivé en stop. J’ai eu ce sentiment désolant qu’il était en fin de vie. Je n’ai jamais été très ami avec lui, même si on ne s’était jamais engueulés. Mais j’avais été malheureux de le voir ainsi, il donnait l’impression que tout le monde l’avait laissé tomber.” Il s’est avancé inquiet, aussi. “Je savais que dans son for intérieur, il n’était pas si à l’aise que ça, observe Bastiat. Il était très ému, ça se voyait à ses yeux, à sa gestuelle. Ce n’est pas facile d’arriver en scène au milieu de gens à qui vous n’avez pas parlé pendant 20 ans. Et puis il est redevenu le chef d’orchestre, le capitaine courage, content de resserrer ses troupes et les liens qui les unissent.” Objectif atteint. Bastiat détaille: “On avait réussi à se remettre en harmonie, finies les miniquerel­les qui ne voulaient rien dire, les questions d’ego, les incompréhe­nsions. Jacques est parti heureux comme un prince.” “Il avait ce besoin de réconcilia­tion, confirme son fils. Le conflit, ça l’a fait avancer dans le sport de haut niveau mais ce n’était pas sa nature.” Bastiat, au moins, se console: “Après ces retrouvail­les, sa situation psychologi­que était bien meilleure. Il est parti en fermant le livre, malgré quelques pages déchirées.” Dintrans qui l’a ramené jusqu’à Tarbes, où Fouroux souhaitait prendre le bus pour Auch, a un autre point de vue. “Il aurait fermé le livre s’il avait été président de la fédération. Il l’aurait mérité.” Le fils Fouroux tranche: “Il aurait fait un bon président. Il ne l’a pas été parce qu’il n’a pas voulu tuer Ferrasse (président de la FFR de 1968 à 1991, ndlr). Mon père pouvait se regarder dans une glace.”

Un Gascon attendu à Toulon

Tout cela, au France, Jacques Fouroux ne le racontait pas. Toutes les vérités n’étaient pas bonnes à dire, même celles qui étaient en sa

“C’était un mec fier, un mec bon, parfois fou. Le rugby s’est arrêté avec cette époque” Philippe Dintrans, ancien internatio­nal sous Fouroux

faveur. Dans le milieu, circulait l’informatio­n de son arrivée à Toulon. Et comme dans le rugby le monde est petit, des clients du bar en avaient eu vent. Ce vendredi, Jacques s’amusait à renvoyer l’affaire au rang de rumeur. “Les Toulonnais, ils restent entre eux.” L’esquive comme stratégie. En réalité, il craignait le mauvais rebond: Toulon l’attendait bien. “À sa mort, on en a fait un demidieu mais juste avant, il avait été lâché par beaucoup de personnes, rappelle Jean-baptiste Fouroux. Pas grand monde lui avait tendu la main. Il y en a quand même eu quelques-uns, dont Éric Champ, qui lui a offert ses dernières bouffées de bonheur.” Une offre comme une perfusion: devenir manager général du RCT. C’était en l’an 1 avant Mourad Boudjellal. Champ, alors président du club, rembobine: “L’idée est venue d’un ami, qui était dirigeant au RCT : Philippe Ferrero. Le club était monté avec succès en Top 14 sous la direction d’aubin Hueber et Thierry Louvet. On avait décidé de garder le collectif, mais il nous paraissait important de redonner un coup de collier à la fois sur le discours et sur l’intégratio­n de quelques forces extérieure­s: Jacques Fouroux en manager, puis quelques joueurs qui seraient venus sous son impulsion.” Aubin Hueber était d’ailleurs partant pour cette cohabitati­on. “Avec Éric, on l’avait connu comme entraîneur et on savait qu’on allait pouvoir s’appuyer sur son expérience, son savoirfair­e. Jacques Fouroux, c’était un vrai passionné et il avait une vision du rugby moderne avant l’heure. Cela ne me dérangeait pas qu’il soit audessus de moi dans l’organigram­me.” Champ raconte une histoire inimaginab­le dans le rugby de 2017. Une histoire sans agent, de pur affect. “Je ne l’ai même pas rencontré. On avait vécu dix ans ensemble en équipe de France, je pouvais expliquer la situation par téléphone. À aucun moment il ne m’a parlé d’argent. On lui avait trouvé un logement et une voiture. Mais comme Jacques n’avait pas le permis à cette époque, on lui avait aussi trouvé un chauffeur. On avait fait passer une petite annonce mentionnan­t que l’on cherchait quelqu’un pour conduire Jacques Fouroux. Entre 1 000 et 1 500 personnes s’étaient proposées…” L’histoire partait bien. “On se demande ce que ça aurait donné. La vie fait que tu passes à autre chose”, glisse Huber. Jean-pierre Bastiat n’a lui aucun doute: “Toulon l’aurait adulé. Il n’y a pas de mystère. Regardez ce que Laporte, qui serait un peu son enfant caché, a réussi là-bas. C’est un clin d’oeil. Ce qu’a fait Laporte, c’est du copier-coller, lui-même le dit.” Chez lui, avant l’officialis­ation, Jacques Fouroux bout, impatient d’en découdre, de plonger dans l’arène de Mayol. “Il était heureux comme tout, n’a pas oublié son fils. C’était un nouveau départ, une renaissanc­e. Les dernières années ont été difficiles, le téléphone ne sonnait plus du tout. Avec Toulon, il repartait à la guerre. Il avait 150 000 idées à la seconde. Sans rugby, il était malheureux. Toulon, c’était un club à sa hauteur: ça aurait fait des étincelles.” Tellement heureux, qu’il ne se préoccupe pas de sa santé et de sa fatigue. À tort. Jusqu’au bout dans l’excès, lui qui mangeait plus qu’il ne devait, qui sacrifiait aussi son sommeil à son autre passion, la boxe, pour laquelle il était capable de se coucher entre 5h et 6h afin de suivre un combat. “Je crois que s’il n’avait pas eu cet espoir avec Toulon, il serait allé consulter, avance Patrick Lafferrère. Mais Toulon, c’était une bouffée d’oxygène: il ne pensait pas à sa santé. Il ne voulait surtout pas qu’on lui dise: ‘ Tu ne peux pas y aller.’ On peut se dire qu’il est mort à cause du rugby. S’il avait tiré un trait dessus, il se serait peut-être mieux soigné.” Le malheur de Fouroux, c’est qu’il ne pouvait pas tirer un trait sur le rugby, qui justement était sa vie. Un conflit interne résumé par le fiston: “Il était fatigué physiqueme­nt parce que fatigué moralement.”

“On croit que ces gens-là sont immortels”

La veille de sa mort, le sélectionn­eur finaliste de la Coupe du monde 1987 prenait ses repères tout en étant alité. Alors son fils, sur son ordinateur portable, lui faisait écouter le “PilouPilou”. “Il avait des frissons. Les derniers jours, même s’il n’était pas bien, psychologi­quement, il était reparti comme en 40 pour conquérir le championna­t.” Il ne verra jamais Toulon. Sur le coup de 22h, il est foudroyé. Les efforts des pompiers restent vains. Jean-pierre Rives appelle Champ pour lui annoncer la terrible nouvelle. “Il est arrivé un drame, Jacques est décédé.” L’annonce sonne le monde du rugby, Philippe Dintrans en tête. “On croit que ces gens-là sont immortels, surtout lui, avec la force qui l’animait. On n’aura plus jamais ça dans la vie du rugby. Jacques, c’était un dieu, un ami, un frère. Il était un peu trop boulimique mais c’était un monstre sacré. Il m’a privé de 50 sélections mais je n’ai jamais eu aucune rancune. C’était un mec fier, un mec bon, parfois fou. Le rugby s’est arrêté avec cette époque.” Les joueurs du FC Auch qui venaient de s’imposer à Aix-en-provence (20-3), dont Fred Medves, se retrouvent avec la gueule de bois en apprenant la nouvelle sur une aire de repos, sur le chemin du retour. Le lendemain, Medves, qui avait à peine joué à Aix, a rejoint les Espoirs. Cette fois, plus que les autres, il avait une raison d’être de la partie. Parce que Christophe Lafforgue, ailier et capitaine de l’équipe, tient à ce qu’un hommage soit rendu à Jacques Fouroux. “Il venait voir les jeunes, se mettait sur le bord du terrain et regardait. Un jour, il m’avait parlé de mon tempéramen­t, m’avait dit que j’y arriverais. Il était quand même bien placé pour parler. Il avait cette autorité naturelle, quand il était sur la main courante et qu’il nous alpaguait. Dans la préparatio­n, on lui a rendu hommage, ça coulait de source qu’il fallait marquer le coup. Notre équipe avait l’accent gersois, on marchait aux valeurs. On a été pris dans cette annonce, on s’est resserrés. On a mis une danse à Castres, 50-15. On n’a pas fait de fête, on en était restés là. Des petits Gersois anonymes qui pensent à lui, ça a dû lui faire plaisir.” Ce que Lafforgue sait, Jacques Fouroux aurait pu lui enseigner: “S’il n’a pas de supplément d’âme, un Gersois n’y arrive jamais.” La conférence de presse du RCT prévue le 20 décembre pour annoncer la venue de l’ancien patron des Bleus a été remplacée par ses obsèques le 21 décembre. Fin de partie. Et une troisième mi-temps au café Le France, évidemment. Après les larmes, un constat imparable: Auch n’est plus la même. Le café a été rénové et le FCG souffre en Fédérale 1. “La place de la cathédrale a perdu son âme depuis le départ de Jacques”, classe Lafferrère en regardant les lieux. Lalanne enfonce: “Un seul être vous manque et tout est dépeuplé.” Toulon n’aura pas connu Jacques Fouroux mais a retrouvé le chemin du succès malgré tout. Le fils du Petit Caporal aime l’idée. “J’adore Toulon, je m’imaginais aller voir mon père là-bas. Je n’y suis encore jamais allé. Mais j’irai, un jour, pour lui faire un clin d’oeil.” Parce que Fouroux.

“À sa mort, on en a fait un demi-dieu mais juste avant, il avait été lâché par beaucoup de personnes” Jean-baptiste Fouroux, son fils

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