Tampon!

Laurent Rodriguez

Devenu entraîneur après sa carrière d’internatio­nal, Laurent Rodriguez a connu les sommets avec la conquête du Brennus avec Biarritz qu’il avait pris aux portes du groupe B. Licencié en avril 2014 du BO, il se réconcilie avec le rugby à L’US Cambo. En Div

- PAR GRÉGORY LETORT, À CAMBO-LES-BAINS / PHOTO: JEAN-PHILIPPE MOULET POUR TAMPON !

Depuis 2014, l’ancien internatio­nal entraîne chez lui, à L’US Combo, en division d’honneur. Un retour aux sources et à l’amateurism­e.

Un dimanche à Cambo-les-bains, à quelques kilomètres de Biarritz, l’heure du coup de feu est proche dans l’hôtel-restaurant installé allée Anne de Neubourg. C’est pourtant l’heure à laquelle le patron des lieux s’esquive. Laurent Rodriguez, l’ancien capitaine du XV de France, a une excuse: c’est jour de match. Lui qui a quitté le rugby pro licencié par le BO en 2014 n’est pas revenu dans le circuit, il ne va non plus en spectateur dans des tribunes de Top 14 ou Pro D2. Mais ce 15 janvier, il s’organise pour assister à la 2e journée de la phase de poules dans le championna­t Honneur Côte basque Landes. Il se doit d’y être en tant que conseiller technique de L’US Cambo. Et puis il a déjà raté la réception de Saint-sever pour cause de vacances. “J’assiste à presque tous les entraîneme­nts, mais je ne suis pas coach, je chapeaute.” En théorie, il s’épargne les déplacemen­ts. “Je n’ai pas envie qu’on vienne m’emmerder. Il y a des mecs qui te branchent: ‘Oh, Rodriguez’. J’ai passé l’âge. Je fais exception deux ou trois fois dans l’année s’il fait beau, une façon d’occuper mon dimanche.” Ce dimanche de janvier, la pluie est glaçante, mais le voyage court jusqu’à Saint-pée-surNivelle. Et en face, il va retrouver son vieux complice des Bleus et du BO, Patrice Lagisquet, comme lui venu retrouver le sourire avec les amateurs. De toute façon, il n’est à l’abri nulle part. Ce dimanche à 12 h 30, Rodriguez est bien au club-house avec tous les joueurs, comme l’ont demandé les entraîneur­s Michel Mocho- Etchemendy et Jérôme Cazamayou. On boit le café, on chambre, les jeunes arrivent au comptegout­tes jusqu’au retardatai­re improbable. La routine. “À l’entraîneme­nt, les arrivées sont échelonnée­s, raconte Rodriguez. Le premier arrivé peut très bien être le dernier à entrer sur le terrain. T’as aussi les fois où le mec ne vient pas. Certains avertissen­t, d’autres non.” Une autre philosophi­e. “C’est purement amateur, résume-t-il. Et c’est sympa. Je retrouve l’esprit de mes débuts à Lannemezan. Je suis face à des mecs nature. Ils surprennen­t même par leur franchise. S’ils sont absents, ils ne se cachent pas, ils te disent: ‘Je suis au comité des fêtes et je dois préparer la fête…’ Mais quand ils y sont, ils sont hyper généreux.”

“Viens boire un coup avec nous!”

L’ancien internatio­nal installé à Cambo depuis 2009 est arrivé là un peu par hasard. Après la fin amère avec le BO, il avait envie de décompress­er. “L’ancien coach, Christophe Carrère, était un client. On parlait souvent. Il a fini par me dire: ‘Viens avec nous, ça va te faire du bien.’ Et il avait raison.” Comme Laurent Rodriguez ne cherche à rien négocier avec le président Marcel Nobila, l’affaire est vite réglée. “Il est bénévole, raconte le patron. Il a même financé personnell­ement du matériel.” Très vite, il a compris où il avait mis les pieds. Un baptême du feu en trois épisodes. “Le premier jour, je vois arriver un joueur, bien solide. Je me dis qu’il peut faire un bon petit centre. L’entraîneur a rigolé: ‘ T’es con ou quoi, c’est notre capitaine, il est deuxième ligne.’ Un autre, on me le présente comme pilier: il avait des jambes fines, il pouvait faire trois tours dans son slip sans toucher l’élastique.” Les premiers entraîneme­nts le mettent aussi au parfum. “J’avais préparé la séance avec des fiches. Mais à l’entraîneme­nt, je me suis retrouvé avec 10 ou 12 mecs. J’ai pu jeter mes fiches, elles ne valaient plus rien.” Et quand son programme est mis en place, il s’aperçoit aussi qu’il y a un problème. “J’avais organisé un atelier de préparatio­n physique. C’était dur mais pas insurmonta­ble. En rentrant au vestiaire, je vois un de mes joueurs qui soufflait comme un boeuf. ‘ T’es mort ou quoi?’ Il me répond que c’était difficile après avoir vidé trois toupies à béton dans la journée pour faire des terrasses. Je me suis dit: ‘Mais t’es con, Laurent. Ça, un pro, il ne l’a pas fait.’” Morale de l’histoire: “Il ne faut pas écoeurer les mecs. Il faut vite te mettre à leur niveau.” Rémi Marticoren­a, capitaine et troisième ligne ou talonneur, synthétise: “Il a compris que parfois, on pouvait avoir plus ou moins la connerie, envie de s’entraîner. Il a su s’adapter.” Dans le vestiaire de L’US Cambo, Laurent Rodriguez, regard bienveilla­nt, s’est fondu dans le moule. “Le rugby pro, je ne me vois pas y revenir. Vous me direz, c’est peut-être une question d’opportunit­é. Ce que tu vis là, c’est la vraie passion. Le reste, c’est devenu un métier, un business.” Rémi Marticoren­a prolonge. “Au début, on était tous un peu intimidés quand tu connais sa carrière. Mais il a commencé à sortir des conneries et nous a mis à l’aise. Il est venu avec nous chercher les valeurs du rugby amateur perdues dans le rugby pro et du plaisir.” Visiblemen­t, le vice-champion du monde 1987 se plaît au milieu de ces joueurs respectueu­x qui ne cherchent pas à gratter derrière les légendes. “On ne me demande rien sur mes années en équipe de France ou Fouroux par exemple. Les plus anciens qu’ils connaissen­t, c’est Traille et Harinordoq­uy. ” Le rugby amateur,

c’est aussi la redécouver­te de la culture du pot. “La semaine prochaine, c’est l’inaugurati­on du club-house”, prévient Mochotechm­endy. “Encore? Mais c’est la cinquième fois”, exagère à peine Rodriguez. “Combien de fois, j’ai évité des pièges. ‘Viens boire un coup avec nous!’ Je sais bien ce qu’ils ont en tête.” Il a aussi payé pour voir. Le président raconte: “Un jour, on gagne à Puyoô. Il rentre chez lui, dîne, se couche. Des joueurs l’ont appelé: ‘Lolo t’es un dégonflé’. Il s’est levé, a mis son jean et il est ressorti.”

“Je leur dis, confondez pas connerie et engagement”

13h15, alors que le service bat son plein au restaurant, Rodriguez sort du club-house pour prendre la route de Saint-pée-sur-nivelle. Quinze kilomètres en pick-up en tête de convoi. À l’arrivée, il s’installe devant les tribunes aux côtés de Lagisquet pour regarder le coup d’envoi du match des réserves. Comme au bon vieux temps. À Saint-pée, Rodriguez a fait le déplacemen­t et ne fait pas semblant: conduite de l’échauffeme­nt, derniers mots dans le vestiaire où il calme les ardeurs. “À domicile, tu en entends dire: ‘On va les crever.’ À l’extérieur, ceux-là seraient plutôt du genre à pleurer. Je leur dis, confondez pas connerie et engagement.” À la mi-temps, une période de cinq minutes passée sous la pluie et dans un coin de pelouse, il aiguille aussi. Des conseils précieux, parce qu’il ne peut pas toujours rester jusqu’au bout. “À 16 h ou 17 h généraleme­nt, je dois être revenu pour accueillir les clients. Je regarde donc la première mi-temps, une partie de la seconde et je file. J’envoie des textos pour savoir ce qu’ils ont fait, mais les entraîneur­s ne sont pas comme les joueurs avec le téléphone toujours à la main. Alors, je me connecte sur le site Côte basque. Parfois, j’ai le résultat trois heures après. À Saint-pée cette fois, il est resté jusqu’au bout pour voir L’US Cambo s’incliner (7-6). Dans le vestiaire, il analyse, réconforte, aide à enlever les maillots gavés de boue. Arrive celui qui a enregistré le match. “Bon courage”, dit-il en tendant la caméra. “Je ne sais pas si je vais regarder”, grince Mochotechm­endy. Au pire, Laurent Rodriguez a déjà fait l’analyse pour lui. Il se marre: “Trente types dans un champ de patates.” Le rugby vrai. TOUS PROPOS

“Un autre, on me le présente comme pilier: il avait des jambes fines, il pouvait faire trois tours dans son slip sans toucher l’élastique” Laurent Rodriguez

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Laurent Rodriguez by Larose Paris.

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