Tampon!

Vincent Moscato

Les chauffeurs de taxis l’ignorent parfois, mais avant de causer dans le poste dans son émission sur RMC, Vincent Moscato était un joueur de rugby talentueux et turbulent, déjà. Souvent capitaine de ses équipes, le talonneur a soulevé un paquet de mêlées

- PAR PIERRE-PHILIPPE BERSON ET VINCENT RIOU PHOTOS: COLORSPORT/DPPI, PRESSE SPORTS ET DR

On a tendance à l’oublier mais avant de causer dans le poste, Vincent Moscato était un joueur de rugby talentueux et turbulent, déjà. Il était temps de regarder dans le rétro.

Tu es devenu une personnali­té médiatique au point que certains de tes auditeurs doivent ignorer ton passé de rugbyman. Quel regard portes-tu sur ta carrière? J’ai eu beaucoup d’amertume pendant ma carrière, donc je me suis préparé à tirer un trait définitif, à ne plus revenir dessus, à ressasser, quand elle s’est arrêtée. Ce sentiment de frustratio­n, il m’a donné beaucoup d’envie et de force pour réussir ma reconversi­on et continuer à être un saltimbanq­ue, en radio ou sur les planches, après l’avoir été dans les stades. Je n’ai jamais arrêté d’aller à l’hôtel, de partir jouer le weekend, devant 2 500 personnes parfois. C’est une chance inouïe de continuer à vivre d’adrénaline. Moi, je rêvais d’être champion du monde de boxe, ou torero, pas d’être cuisinier, ni boulanger. Si j’avais échoué dans ma vie d’après, ou dû me contenter de cette carrière dans le rugby, j’aurais vraiment eu beaucoup de mal à l’accepter, j’aurais eu une mauvaise vie, j’aurais pu vriller.

Tu as joué trois finales de championna­t, tu en as gagné deux, tu as été capitaine de tes équipes, et internatio­nal. Tu ne sous-estimes pas un peu ton bilan? Tout va bien, je ne me plains pas. C’est déjà énorme de faire une carrière de rugby, j’ai eu beaucoup de chance. Mais ça n’a pas été l’essentiel de ma vie, juste une étape. Et je pense être juste et lucide quand je dis que j’ai loupé ma carrière. Donc j’ai décidé de me dire: “C’est ta faute, tu peux t’en prendre qu’à toi-même.” Comme ça, ça s’arrête court et tu n’en veux à personne. J’adore ce sport, je me suis régalé, mais putain, j’en ai eu des histoires, beaucoup plus que la plupart des joueurs. Et j’ai quand même fait souvent de la merde. J’ai fait pas mal de conneries, des mauvais choix, des trucs un peu débiles. Quand je suis à Bègles, ça va pas bien dans ma tronche, je suis parano, je m’en veux.

C’est de ne pas avoir eu plus de quatre sélections internatio­nales qui te reste en travers de la gorge? De ne jamais avoir été rappelé après ton expulsion contre les Anglais en 1992 et ta suspension? Pas seulement.

Mais il n’y a rien de plus fort que de représente­r la France. C’est merveilleu­x, le patriotism­e, t’as les pieds qui ne touchent pas le sol. Quand j’arrive en équipe de France, c’est la fin d’un cycle, un renouvelle­ment. J’ai fait un tournoi en tant que remplaçant, je suis titulaire le suivant, je joue un match, et je saute définitive­ment après le deuxième (il prend un carton rouge, ndlr). On a parlé de fourchette, mais en vrai, y a rien. On fait tous les trois (en fait tous les deux, avec Jean-françois Tordo, ndlr) une entrée en mêlée au casque comme on faisait avant, il y a une empoignade, je sais même pas si y a coup de poing. Je sors gratos. Je prends huit mois, bonsoir. Les mecs te virent et ils ne te rappellent jamais.

Le contexte est aussi très tendu: des clans entre joueurs, des grands anciens qui raccrochen­t, dont Berbizier qui prend en main la sélection après Fouroux, la guerre de succession à Ferrasse à la fédération...

Ils sont tous fâchés les uns les autres. On est en plein bordel. Moi je m’en foutais complèteme­nt de leurs histoires. Il y avait Jean Fabre qui devait être président. Puis au dernier moment Albert Ferrasse a promu le dauphin Lapasset, qui devait faire l’intérim et est resté pendant vingt ans (pendant dix-sept ans, de 1991 à 2008, ndlr)! À la soviétique. Quand Lapasset est parti, poum! Il a mis Camou. Heureuseme­nt que Bernard est allé se la gagner aux élections, parce qu’autrement Camou allait se mettre quatre ans de plus. Ils sont bien, à Marcoussis. Ils sont chauffés, ils ont la voiture, ne casquent que dalle, la cave à vin et à cognac est bonne.

Tu vis cette suspension avec un sentiment d’injustice? Pas loin, oui. C’était disproport­ionné. Si tu mets un grand coup de latte à un mec, que tu lui éclates un oeil, ou que tu frappes un arbitre, je veux bien qu’ils “Moi j’avais pas le style à faire carrière à EDF. On n’était pas vraiment des technicien­s, hein. On était quand même des gros tire-au-cul”

te virent. Mais comment on punit un mec de 26 ans à vie, sur rien? Faut pas faire ça, faut toujours donner une seconde chance, d’autres ont fait pire et l’ont eue. Tu veux être battu par la justice du sport. Pas par l’extra-sportif. Si le mec est meilleur, il joue. J’étais pas le meilleur du monde, mais il y a eu un moment où c’était mon tour. Il y avait de la place pour moi. D’autant plus qu’on n’a pas fait de Grand Chelem dans les trois, quatre ans qui ont suivi mon éviction, on n’a rien fait. Je n’ai jamais eu d’explicatio­n, et je m’en fous aujourd’hui de savoir. Mais à chaque fois qu’un gars renonce à la sélection, j’ai du mal à comprendre, même si le mec a quinze fois plus de sélections que moi. C’est difficile de se dire qu’on peut être blasé d’être choisi, lassé, quand on a souffert de ne pas être désiré.

D’une certaine manière, tu l’as eue, ta deuxième chance, non? Quelques mois avant, avec ton coéquipier Serge Simon, vous aviez raté la Coupe du monde 1991 pour ne pas être venu à un stage de préparatio­n, sous prétexte que votre nom n’apparaissa­it pas dans une pré-liste officieuse des sélectionn­és parue dans la presse. Ça a peut-être eu une influence… C’était nul, et si j’avais été commentate­ur à l’époque, j’aurais dit: “C’est des débiles.” Attention, je ne nie pas que j’en ai fait pas mal, des conneries. Aucune des villes où je suis passé dans ma jeunesse ne m’a remis la médaille du mérite ou du bon citoyen. Qu’estce que tu veux faire? J’avais une vie un peu distordue. Et en vieillissa­nt ça passe, mais à 25 ans, t’as besoin de faire mal. Donc tu fais ce sport pour jouer mais pour guerroyer aussi.

En 1991, tu es champion de France avec Bègles mais tu as déjà connu des expulsions en club, t’as les cheveux ras et t’as une grande gueule. Je suis persuadé qu’on m’a plus suspendu pour ma personnali­té, ou

“Et alors, dès le coup d’envoi, c’est la fête au village. Bataille rangée. Bataille en éclaireur. Des ateliers un peu partout: peinture, poterie, carrosseri­e, recyclage”

plutôt ma réputation, que pour ma valeur sportive. En fait, j’ai été victime de mon image, qui est en partie méritée par certains comporteme­nts, mais qui au bout d’un moment, reste figée quoique tu fasses, te colle à la peau. Les journalist­es, Jean Cormier, tout ça, ils se régalaient de venir me voir, parce que je racontais des bananes tout le temps, je faisais des conneries, je défrayais la chronique. J’étais un bon client. Et c’était pas très bien vu de l’ouvrir, fallait être gentil, rien ne devait dépasser. Donc peut-être qu’ils ont voulu faire un exemple, ces tocards.

Au-delà de ta courte carrière internatio­nale, qu’est-ce qui te frustre? En club aussi les temps de bonheur ont été un peu rares. Je me suis fait virer avec mes copains de Bègles, où on avait un potentiel énorme. Je vais au SBUC, c’est naze. À titre perso, je suis bien mais on n’a pas le niveau pour jouer le haut du tableau. À Brive, je pars au bout d’un an et ils sont champions d’europe derrière. Le Stade Français, ça ne se passe pas bien à la fin. Il y a de quoi être un peu lassé. Et alors tout au long, il faut se résigner à accepter que l’équipe de France, c’est mort. Pendant des années, je faisais de bons matchs, mais je ne me fais plus aucune illusion. Avec le temps, ça passe, mais c’est dur de rallumer le moteur quand c’est ton rêve.

Pourquoi tu prends ta retraite en 1999? Bernard a du mal à nous entraîner parce qu’on a joué ensemble. Il est casse-couilles, pénible. À la fin, peut-être qu’on est moins bons, mais ça ne se passe pas très bien quoi, c’est moyennasse. J’ai signé deux ans à Gloucester avec Saint-andré et je n’y suis pas allé. Plus d’envie, j’en ai marre. On avait été champion avec le Stade Français, j’ai 33 ans, je sais que je ne reviendrai pas en équipe de France. C’était la fin. C’est toujours un peu triste, mais c’est un passage obligé, tu vas pas qu’aux mariages, il y a aussi les enterremen­ts. J’ai entraîné un peu au PUC, mais j’avais surtout envie de changer de milieu. De faire autre chose, du cinéma, du théâtre.

Tu as connu le rugby amateur, l’arrivée de Canal+ dans les vestiaires, et l’avènement du profession­nalisme avec notamment les deux présidents les plus iconoclast­es du nouveau rugby paillettes, Patrick Sébastien et Max Guazzini. Max comme Patrick, ils ont pris le truc à bras-le-corps, pour que l’on ne manque de rien, que l’on vive à fond notre passion. C’est un sport où j’ai toujours cultivé mon ego, moi, donc je me retrouve complèteme­nt dans le côté show. Des fois, j’allais dans l’en-but, je faisais du shadow boxing (il se lève et fait du shadow boxing). À Perpignan, les mecs étaient fous, ils me pourrissai­ent, tu peux pas savoir, je te les faisais monter au grillage. À La Rochelle, tout le monde sort s’échauffer, moi je dis: “Je me fais bander, j’arrive.” Je les laisse partir. Et alors j’arrive tout seul après avoir enfilé le manteau en lapin du kiné (il mime le boxeur en peignoir qui en fait des tonnes dans l’entrée sur le ring). T’aurais vu un peu le public, tout le monde pleurait. Des conneries, quoi. Moi j’ai toujours été dans la mise en scène. Avec les retransmis­sions télé de Canal, peutêtre que t’en rajoutes inconsciem­ment, à jouer le méchant…

Avant Max et Patrick, tu as connu en revanche des vrais présidents à l’ancienne. Marcel Batigne à Graulhet, déjà! Grand entreprene­ur mégissier, et gros pardessus de la fédé. Je me souviens dans les années 1980, dans un journal, ils avaient mis en parallèle deux photos: une avec les grands dignitaire­s soviétique­s devant le Kremlin, et l’autre avec six pardessus de la fédé –dont Marcel Batigne et André Moga, avec le pantalon gris en tergal, le trois-quarts noir de la police française des années sombres et le chapeau mou. Et alors ils posaient la question: “Qui est qui?” À Graulhet, j’avais les cheveux longs, un peu la tête au gros Balavoine joufflu, c’était pas Sting quoi. C’était la mode, et alors le président Batigne, il ne supportait pas.

C’est des mecs qui étaient nés en 1910. Moga à Bègles, c’était l’ancien résistant, la bande à Chaban, avec la photo de De Gaulle quand tu rentres dans son bureau. Un mec de 1,95m comme le Général, toujours en costard. Avec ses frères Bambi et Alfonse, c’étaient des rudes hein, à la tête d’une entreprise incroyable, dans le fromage, Salprolait. Un charisme énorme, Moga. Un taulier comme tu voyais dans les films avec Blier. On était chez les tontons flingueurs. Ça défilait dans le bureau, l’un voulait faire rentrer sa fille à la mairie, l’autre son fils à EDF. C’est des mecs…

Pas fâchés avec le clientélis­me. Il passait la moitié de sa vie à trouver du boulot à des gens, ça c’est du social à l’ancienne. “Oui, t’inquiète pas, je m’en occupe.” Le nombre de gens qui

“Je suis assez blaireau, le vendredi soir, j’en peux plus. Il faut que je prenne la charge du prolo, quoi”

lui doivent leur poste, c’est impensable. Tu expliques aujourd’hui, les gens comprennen­t pas. Moi c’est un type que j’aimais beaucoup.

Et alors, toi il t’a pistonné? J’étais à EDF, à Bègles. Un contrat fictif de dix heures par semaine, dans les bureaux. C’était juste avant les contrats pro. Mais tout le monde, Bernard, tous les sportifs de haut niveau à Bègles étaient à EDF, depuis des génération­s. Et titulaire au bout d’un an, hein. Tu changeais de ville, tu gardais le job. Quand je me suis barré à Brive, j’ai dit: “J’arrête.” Mais les mecs ils ont mis dix ans à réagir, j’étais encore à quatre centimes le kw/h à Paris, les tarifs de 1946, et j’étais toujours titulaire. Je les relançais. “Non mais tu vas revenir? –Mais non!” EDF savait que c’étaient des contrats semi-pros, pour compléter le salaire du club, mais c’est seulement en 2003 qu’ils ont pris en compte ma démission. Incroyable! Ah la la papa, évidemment ça t’ouvre un peu les yeux mais je dis rien, après les mecs te menacent sur Internet, c’est une secte ces métiers-là. Moi j’avais pas le style à faire carrière à EDF, mais j’ai rien contre. Entreprise incroyable. Mais bon, mon pote Dédé qui part en retraite à 53 ans avec presque 3 000 euros... On n’était pas vraiment des technicien­s, hein. On était quand même des gros tire-au-cul.

Dans ton premier club, Gaillac, Jean

Pierre Delmas t’a remis en 2016 un trophée d’ébénisteri­e pour te remercier d’avoir “quitté la boîte rapidement. Deux mois de plus au rabot, il me faisait déposer le bilan.” Ouais, j’ai bossé chez Meuble Delmas en juniors, juste après mon apprentiss­age dans la vente, où je faisais les marchés avec ma machine Testut pour vendre des fromages à la coupe. Jean-pierre, c’était le président-mécènespon­sor, un mec admirable qui a embauché je sais pas combien… 50, 60, 70 rugbymen? Et alors moi, il me passait tout, va. J’étais à l’égrainage. Après la teinte au pistolet, ça sèche, ça bulle, donc il faut passer tous les meubles au papier de verre. J’étais une feignasse de première, je m’enfermais avec une couverture dans les grands meubles pour dormir. Plus tard à Graulhet, j’avais un boulot dans une mégisserie. Ils m’avaient mis à la rivière, c’était l’enfer, ça pue, une horreur. Mais bon, emploi fictif, hein. Le club m’avait filé une Renault 18 TM gris métallisé, avec les fenêtres que tu ouvrais à la manivelle, y avait pas assez d’argent pour la vitre automatiqu­e. Avec les deux salaires, ça commençait à être intéressan­t. Parfois, y a des gens qui gueulent à la radio quand je parle avec un peu de nostalgie des emplois fictifs, ça me fait marrer. Graulhet, c’est le dernier des Mohicans dans ce style de club à l’ancienne, avec deux, trois actionnair­es qui te casquaient avec des enveloppes, de la main à la main. Ah, c’était le bon temps putain. La fraîche, y a rien que ça de vrai. Bon, c’était pas Maradona à Naples, hein.

T’es du genre à tout cramer ou t’achètes un petit appart par-ci, un petit commerce par-là? Ah non, ou alors si j’en ai acheté je sais pas où ils sont, je lance un appel aux notaires! Je suis sorti du rugby, j’avais plus une thune. J’avais tout cramé. La vie, quoi. À Bègles, j’avais une Porsche –remarque, non, on me l’avait prêtée, je l’avais rendue un peu plus tard, elle m’avait pas coûtée bien cher… Mais en valeur de pouvoir d’achat, aujourd’hui, disons qu’on te filait 10 ou même 20 000 euros par mois. Pour faire le con, quand t’es à Bordeaux, ou surtout à Paris, bah t’as pas besoin non plus de t’acheter des montres en or pour qu’il te reste rien à la fin du mois. Je sais pas ce que j’ai fait de mon oseille.

Les anciens s’achetaient une petite licence IV. J’ai pris un bar à Bordeaux comme un gros con, place de la Victoire, un endroit à la mode. Ça s’appelait l’hôtel Vincent. Les mecs m’ont dit: “Putain t’as un boulard.’ Un pub, du sport, de la bière, et puis une frite à la sortie. “Hop, ça c’est pour ton salut, ça c’est pour le roi, la caisse c’est pour papa.” Moi, je voulais avoir mon bar, j’avais été élevé là-dedans, c’était ma culture. Mais être limonadier, ça ne s’invente pas. C’est souvent des Aveyronnai­s de père en fils, des mecs qui aiment ça. Moi une fois que je l’ai eu, j’avais plus du tout envie, j’allais pas faire barman toute ma vie. À un moment, les caprices, tu les payes. J’ai rien géré du tout, j’étais un gitanasse, à la méridional­e un peu, voilà. “Ne surtout pas confondre recettes et bénéfices”, ouais, bien sûr! C’était une belle connerie, une de plus.

Aujourd’hui, tu cultives cette ambiance bistrot dans ton émission de radio? Je suis persuadé qu’on est la licence IV médiatique. Le peuple nous écoute, mais aussi beaucoup de CSP+. Je suis allé faire un examen à Toulouse, le toubib m’a dit: “Le nombre de confrères qui vous écoutent c’est incroyable.” Je suis allé me faire mettre un tuyau dans la bite, une fibroscopi­e… Aïe. Bref, t’as des mecs éduqués, intellos, qui nous écoutent, parce que c’est le café du commerce, c’est Fernand Reynaud,

“J’essaie de pas penser comme tout le monde. Ça m’a fait dire, par exemple quand je jouais, que le Brennus n’est qu’un bout de bois. J’ai envie de me gifler d’avoir dit ça”

les blagues de comptoir, l’essence même de la blague qui fuse, la répartie. Alors bien entendu que c’est chiant, le Larzac avec des branches sur la tête, le 8 janvier à -12°C dans un char avec une lampe à pétrole, mais si les gars ont adoré le régiment c’est pour les apéros avec les copains. Et puis, on est des loups quoi, on est fait pour vivre en bande. Les mecs, surtout.

Tu revendique­s avoir été un tire-au-flanc dans tous tes boulots antérieurs. Ton patron à RMC n’a pas eu peur de t’embaucher? Quand je suis arrivé ici, pendant un an ils me faisaient préparer les émissions. Et quand Pesenti (ancien directeur des sports de RMC, ndlr) est arrivé, il a réuni tout le monde: “Vincent, je lui interdis de préparer les émissions, je veux qu’il ne prépare rien. –Rien? –Rien!” Les fiches, ils me les donnent cinq minutes avant et c’est parti pour trois heures. J’ai pas besoin, je bosse depuis quinze ans avec la même équipe, des mecs bonards, des épées. Quand je vais boire des coups dans un bar, d’ailleurs, les gens sont surpris, souvent, et au bout d’un moment ils me disent: “T’es vraiment comme à la radio!”

Je m’évertue à ne sortir qu’une fois par semaine, mais le bistrot, c’est important pour mon équilibre. C’est mon antidépres­seur. Sur RMC dans les débuts, j’étais dans une émission géniale, le samedi matin, À vos marques.

Mais moi, je suis assez blaireau. Le vendredi soir, j’en peux plus. Il faut que je prenne la charge du prolo, quoi. Donc je glissais, je prenais des paquets et j’arrivais dans des états, parfois... Je me garais en bas devant la radio, ils tapaient aux carreaux, j’ouvrais la bagnole, ça sentait le whisky.

Revenons un peu aux origines. La première ligne de ta bio officielle, déjà, est un grand mystère: “Vincent Moscato, de son vrai nom Thierry Moscato”. Comme dans la mafia italienne! Alias La Gâchette, La Main gauche, Le Calibre. L’histoire c’est que je m’appelle Thierry-vincent, mais mon père décède quand j’ai 6 ans. Ensuite ma mère a pas dormi, elle s’est remariée avec un mec assez rapidement, pour l’époque, enfin, ça c’est les histoires de famille. Ce gars a déjà un fils qui s’appelle Thierry. Donc on m’a appelé Vincent toute ma vie, et moi je préfère Vincent, question de goût, d’oreille –j’ai toujours voulu peindre. Et puis ma mère travaillai­t à l’hôpital Saint-vincent-dePaul quand je suis né, dans le 14e à Paris, vers Denfert-rochereau.

C’est fou ça, avec l’accent que tu trimbales. Éric Blanc, qui lui est né à Gaillac, parle comme un titi. On en rigolait de ça avec Éric, il me disait: “Attends, j’suis d’gaillac moi”

(il prend l’accent titi) et moi: “Moi je suis d’paris” (en forçant son accent du Sud). Éric, contrairem­ent à moi, il est d’une vieille famille gaillacois­e. Quand il est arrivé à Gennevilli­ers, il avait l’accent que j’ai aujourd’hui. T’as vu qu’ils ont monté une associatio­n pour lutter contre les discrimina­tions des accents, poursuivre les gens au tribunal et tout? Ils ont voulu mon soutien, j’ai dit: “Il manquait plus que cette minorité encore pour nous casser les couilles. Qu’est-ce que j’en ai à branler de vos accents de merde?” Non mais vous avez que ça à foutre sans

déconner, les discriminé­s? J’en peux plus de ces connards qui revendique­nt tout, un grand coup de pompe dans la gueule oui.

Tu es né à Paris par hasard? Non, ma mère et ma grand-mère sont nées à Palaiseau. Mais quand mon grand-père a été démobilisé, pendant l’occupation, ils ont été s’installer à Neufchâtel-en-bray, en Normandie. Mauvaise pioche pour la tranquilli­té, ils auraient mieux fait d’aller en Dordogne. La ville, rasée! Mais ils sont restés. Entre l’âge de 3 et 7 ans, ma mère travaillai­t à Paris et c’est ma grand-mère, Nanou, qui m’a élevé. Elle était bibliothéc­aire, et elle m’a transmis la passion de la lecture, de l’histoire, surtout des guerres. Elle m’a fait lire deux fois L’armée des ombres de Kessel quand j’avais 12 ans, magnifique. Le film, je l’ai revu récemment pour la vingtième fois. Et puis je lisais tous les trucs sur la guerre de 14 aussi, Genevoix, Ernst Jünger, Dorgelès, Barbusse, ça a été toute ma jeunesse. Les films de Schoendoer­ffer, aussi.

Tu sais quoi de ton père biologique? Il est de Reggio de Calabre, de Melito di Porto Salvo, un village où tu vois la Sicile, quand il n’y a pas la brume. J’y suis retourné, c’est ma maison. Maintenant les grands-parents sont morts, les tantes se font vieilles. Mon père est né en 1932, il est arrivé en France à la fin des années 1950. Son père était dans la marine marchande.

Lui, il était un peu tout, un peu mécanicien, un peu maçon, un peu voleur. Calabrais, quoi. Les Ritals, t’avais ceux du Nord qui venaient faire le maçon en Europe, et ceux du Sud le gangster à New York! Je suis fier de porter ce nom, de mes origines. Mon père est parti trop jeune pour que je parle italien, ou alors sous la torture.

C’est ton beau-père, donc, qui est du SudOuest? Même pas, il est de Dijon. On s’est installés à Gaillac, pour le boulot j’imagine. Il était croque-mort, le beau-père. Et ma mère avait un magasin de fleurs funéraires. Mais bon, je suis parti tôt, à 16 ans.

C’était pas le grand bonheur dans la nouvelle famille? Ouais, ça va, mais c’était quand même un peu moyennasse. J’avais une soeur, Alba, qui a repris ses études tard et s’est bien démerdée: docteure en psychologi­e. Et j’ai eu des demi-frères, c’était pas terrible, t’as compris

quoi. J’ai été en pension dans l’aveyron, à Naucelle, pendant quatre ans. J’étais un peu cancre, quand même. Ensuite, je suis allé à l’école à Gaillac et j’ai arrêté en troisième. Je me barre parce que je suis nul, j’ai pas envie, je veux vivre tout seul. Et puis je ne pense qu’au rugby, je suis fou de ce jeu.

C’est quoi ton premier souvenir de rugby, justement? Dès que je débarque dans le Sud, en CE2. On habitait en pleine campagne, entre Montauban et Gaillac, dans la vallée du Tescou, une petite rivière où j’allais beaucoup pêcher quand j’étais gosse. Et t’avais une petite école. Le mari de l’institutri­ce il se régalait de rugby et de chasse. Il arrivait en cours en tenant un lièvre par les oreilles, pointait son fusil sur nous: “Vous avez vu, c’est pas beau ça, les enfants?” Tu te dis: “On est en 1830”, mais non, c’est mon enfance dans les années 1970 dans le Tarn, côté Aveyron. T’imagines, comme le monde a changé? C’est dingue. Tu fais ça aujourd’hui, t’as le GIGN qui débarque. Et alors à côté de l’école, il y avait un petit champ où on jouait au rugby, garçons et filles, à toutes les récrés. Tout de suite, je trouve que c’est un jeu merveilleu­x, ce qu’il y a de plus beau. T’as des nanas à 8 ans elles en paraissent 12 ou 13 hein. Les paysannass­es, elles te découpaien­t en travers. Elles pouvaient balancer des ballots de paille sur la remorque alors que toi t’arrivais même pas à les soulever.

Ensuite, tu t’inscris directemen­t en club? Ouais, à Lisle-sur-tarn. À l’école, un gars qui s’appelait Chanard, une tête incroyable, branleur terrible, me dit: “Regarde ce que j’ai”, il me montre des crampons dans une poche. Des crampons quand t’es gamin c’est comme la cape de Zorro, quoi. “Tu prends 5 francs, deux photos, ils te font une licence, et ils te donnent une paire de crampons.” Et quand tu les essayais, il y avait La Dépêche pour combler au bout, et en avant Simone. On s’est régalés à jouer sur ce petit stade de Lisle, on n’arrêtait pas. L’importance du maillot, elle est terrible. T’as l’impression d’appartenir à quelque chose, y a que ça qui compte. Bleu et noir, il était. On avait interdicti­on de le ramener chez nous, mais je le faisais, pour dormir avec, même si après je prenais un soufflon.

Et dans la foulée tu signes à Gaillac?

Le transfert de l’année! Gaillac c’est déjà la deuxième division, hein. Toujours 5 francs, deux photos. Et un bon pour aller chercher des crampons neufs. Bon, t’as pas le premier choix quand t’es minime. Moi, on m’a filé des montantes. Deux Nordica, des enclumes. Je jouais arrière, je devais faire 18 secondes au 100 mètres! Parfois troisième-ligne aile, ensuite grand champ, je sautais 10 cm en touche, j’étais pas brillant, hein. Mais alors en juniors je joue surtout pilard, pilier gauche, puis pilier droit, puis talonneur. Je fais déjà 85-90 kg. Je suis costaud.

À quel moment tu te piques du jeu d’avant, avec cette fierté d’appartenir à cette confrérie des gros? Direct! Ceux qui jouent avec toi, le public aussi, ils aiment les premières lignes plus que les autres, c’est comme ça. Je dirais pas qu’ils t’admirent, mais ils te respectent, quoi. C’est un peu comme gardien au foot, c’est un poste à part. C’est du rugby, mais c’est un peu de soule, de sport de rue, de catch, t’es un peu Zarak La Cagoule, hein. Et puis c’est l’époque où t’as des trucs qui sont pas conseillés mais pas formelleme­nt interdits, t’as le droit quand même à tout: Suzette la manchette, le coup de poing par derrière… On est dans des métiers quand même un peu à risque, alors tu fais partie d’une caste, et tu le sais. Si c’était à refaire, pour rien au monde je ne voudrais jouer ailleurs qu’en première ligne.

En gagnant deux titres de champion de

France Crabos d’affilée, tu es premier de la classe pour la première fois de ta vie. Jamais Gaillac n’avait gagné un championna­t de France Crabos, et alors là, tu perds pas un match en deux ans, tu prends tout le monde. Quand tu fais ce sport, t’aimes bien être un peu flatté, être vu. Et alors les mecs au stade commencent à dire: “Putain, il est pas mauvais, attention.” “Il fera, il fera”, disaient les paysans du coin pour dire que t’avais le niveau pour faire carrière. Tu commences à cultiver ton ego, à être heureux et fier de ce que tu fais, tu réalises que tout le monde ne le ferait pas, ne pourrait pas le faire. Et alors Graulhet vient me chercher. Là, je passe talonneur définitive­ment.

Dans cette génération dorée à Gaillac, il y a Bernard Laporte. Vous vous connaissez depuis quand, exactement? On n’était pas à l’école ensemble, mais tout le monde se connaît à Gaillac. Je ne me souviens pas de la première fois que je les ai vus, lui et son frangin qui a un an de moins que lui, donc mon âge… Ils se ressemblai­ent comme deux gouttes d’eau.

Bref, avec Bernard, on commence à jouer en club ensemble vers 14, 15 ans, en cadets. Et alors crois-moi, ça a toujours été un bon demi-de-mêlée, un peu limité parce que c’était pas Mike Tyson au niveau des épaules, mais il faisait défendre les troisièmes-lignes, il se démerdait pour pas que ça passe autour. C’était un tacticien hors pair, qui sentait le rugby. Un type qui cornaquait. Pour l’époque, il convenait bien. On était toujours plus performant avec lui que sans lui.

Un peu comme Fouroux, qui n’avait pas le talent de Richard Astres, mais… Mais si les gros préféraien­t jouer avec Fouroux plutôt qu’avec Astres, il y avait bien une raison. Dans la vie, tu ne te maries pas avec la plus belle

“J’avais de bonnes mains, j’envoyais un peu de pâté. J’étais pas un gros poids-lourd, à peine 100 kg, donc j’allais assez vite, à la Tyson. Mais à la Tyson de Gaillac, quoi”

mais avec celle que tu aimes le plus, avec qui tu es le mieux, qui va bien élever tes enfants, même si ce n’est pas Sharon Stone. Mais, elle s’en rapproche parfois (en se tournant vers sa femme, Krystel)! Non mais Bernard, il avait une très belle qualité de passes hein, et alors passionné outre mesure. Il adore la mêlée.

T’as vraiment grandi et été formé au rugby en plein dans l’hégémonie biterroise…

Ah oui, et ça m’a marqué. Quand j’étais ado, on mettait la télé fort pour entendre les compositio­ns d’équipe:“Numéro 1, Armand Vaquerin”, on avait les poils qui frissonnai­ent. Armand Vaquerin, c’est l’idole de toute une génération, comme Gérard Cholley, Robert Paparembor­de, des piliers admirables qui ont bercé nos jeunesses. Vaquerin, moi, ça me correspond­ait: tête chauve et cheveux longs, ceinturon façon Bonanza, Les Mystères de l’ouest, chapeau, hiver comme été en santiags –ou en camarguais­es, je sais plus– et une chaîne autour du cou avec des maillons de tronçonneu­se. Tu la portes, t’as la tête coupée. C’était un cowboy, la chemise ouverte avec un balais brosse sur le torse. J’étais un peu gitanasse, un peu sauvage, donc j’avais Armand pour modèle parce qu’il est sulfureux, respecté, il fait peur. Donc je l’imite, en moins bien, jusque sa démarche. Attends, moi j’étais pas plus courageux qu’un autre, mais tu essayais de faire semblant au moins. T’as envie d’être le shérif quand tu joues en première ligne, t’as pas envie de rentrer à la maison et de te faire bastonner par ta femme. C’est pas être misogyne de le dire, quand même? Quand j’étais gamin, avec Bernard on était allés à Albi voir Béziers jouer un huitième de finale contre le Stade Toulousain, on avait réussi à se faufiler jusqu’aux vestiaires, on avait vu Armand, Palmié, Paco, Estève… On avait demandé des autographe­s.

Donc quand en 1991 avec Bègles tu joues Béziers en demi-finale avec Martin président, Paco et Palmié dans le staff… T’es ému?

Bah ouais, tu rencontres l’équipe des mecs que t’as badé. C’est comme Philippe Dintrans: il était en équipe de France quand j’étais cadet, donc la première fois que tu l’as comme adversaire… C’était une idole, je mettais un bandeau, un protège-dents à deux balles, des protège-tibias, comme lui, et je rentrais en mêlée en sautant, comme il faisait quand il prenait Jean-pierre Garuet et Louisou Armary en première ligne.

Comment expliquer cet esprit de fraternité entre avants, surtout à cette époque du “tout est permis”? Époque des règles aménagées, disons. Le rugby est un sport difficile, et a fortiori quand tu joues devant, où c’est un peu ingrat, parce que tu contribues quand même fortement à faire gagner l’équipe, même si ce n’est pas toi qui traverses le terrain pour planter un essai. Donc on fraternise, oui. Moi j’ai eu des adversaire­s mais jamais d’ennemis. Il y a des mecs, parfois, tu leur en veux un peu plus qu’à d’autres, quand ils t’ont fait mal, mais sans rancune. On est toujours très heureux de se revoir. Et il y a une transmissi­on, aussi. À Graulhet, t’as des Gilbert Spanghero, des Gérard Durand, qui m’ont appris la mêlée fermée et non pas son vice mais ses rudesses, ses coups de poings ou de pieds dans la gueule, ses batailles rangées, mais aussi ce respect. Parfois tu avances et tu fais craquer, parfois c’est toi qui te fais défoncer, aussi. Tu es obligé d’avoir cette espèce d’humilité, parce que d’un week-end à l’autre, c’est pas toujours toi le shérif. Des mecs meilleurs que moi, j’en ai croisé beaucoup.

Tu nous parles direct de Graulhet, mais tu passes par Albi avant, non? En juniors troisième année, oui, mais pas longtemps. En fait après avoir signé dans l’un, l’autre m’a retourné. Une embrouille pas possible. “Mais qu’est-ce que tu branles, t’as signé dans deux clubs, toi? -Bah ouais.” Je me suis dit: “Je vais prendre un peu d’oseille.” À Albi, je prenais un petit smic au club, 2 000, 3 000 francs et un comme pompier à la mairie. J’avais passé mon BNS, vite fait. J’ai fait aucune interventi­on, hein, tu réponds au téléphone, rien du tout.

Ta carrière de pompier, elle se limite à TiozzoRoss­ignol? Mais comment tu sais ça, toi? De RMC? Tout le monde venait regarder

Canal au Café des Sports de Gaillac, c’était le centre culturel et le siège social du club, j’y passais mes journées, moi. Un jour, il y avait

“Je pense être juste et lucide quand je dis que j’ai loupé ma carrière”

un combat Tiozzo contre Rossignol, un mec de Toulouse. Un client de 60 piges gueulait “Allez Tozzio”, il n’arrivait pas à dire “Tiozzo”, et au bout d’un moment, par terre, arrêt cardiaque. Moi: “Laissez-moi faire, j’ai le BNS.” Donc massage cardiaque énergique, quoi. Quand les pompiers, les vrais, sont arrivés, le mec était bleu. Moi je me cachais dans les chiottes. “Y a quelqu’un qui a essayé de…” Bon, je m’en vante pas, j’ai fait ce que j’ai pu, mais je l’ai loupé. Après ça s’est reproduit plusieurs fois, et je suis pas intervenu. Mais je suis pas resté longtemps pompier, parce que je vais à Graulhet. C’était mieux payé. Et dans le coin, c’était le club où il fallait être, avec le Stade Toulousain. En fait, c’était un peu le Castres de maintenant, sans les titres. Au stade Noël-pelissou t’avais 8 000, 10 000 personnes. C’était pas rien, Graulhet. Une vraie école de vie.

Tu y restes trois ans et vous vous faites sortir trois fois par le Stade Toulousain, en demi, puis deux fois en quart. Le Stade Toulousain était au-dessus, on les accrochait, et on les a tapés de temps en temps, en championna­t. Mais pas en phase finale. Quand tu les plies, t’es particuliè­rement content parce qu’ils ont toujours eu un boulard énorme, c’est les meilleurs du monde, des frimeurs, il y a ce côté un peu snob et élitiste. À Toulouse, les jeunes filles s’endorment avec le poster de Denis Charvet ou Ugo Mola au-dessus de leur lit, rêvent de le ramener à leurs parents. Et puis c’est quand même un club de profs de gym, ils t’expliquent tout, et ils ont raison, puisque c’est souvent eux qui gagnent, en jouant bien, et ça c’est énervant. Disons que gagner beaucoup, ça ne rend pas modeste, et le pire c’est quand tu fais semblant de l’être. Ils te parlent tout le temps des qualités que t’as pas. À en faire des caisses sur les ailes, le jeu de trois-quarts, de mouvement. Comme si nous on jouait assis sur une chaise... Novès, je l’avais rendu fou. J’avais dit, quand il a pris l’équipe, que même avec le gardien du stade comme entraîneur, ils iraient en finale.

Tu rejoins Bègles, ensuite, en 1988. Avec Simon et Gimbert, c’est un trident qui trouve ses marques rapidement? Oh oui, on s’est reniflés le cul trois minutes et ça a marché de suite. Il y avait Lolo Verger, aussi. On était quatre en première ligne à jouer beaucoup, et on passait notre vie ensemble. On allait à la chasse aux canards, à la tonne tu sais. On amenait à bouffer, des bouteilles de rouge, on arrivait vers 21 heures à l’automne, après l’entraîneme­nt. C’est comme un blockhaus sous terre, au niveau du lac. Tu vas placer les appeaux, qui font “coin coin coin”, que t’attaches à une ficelle. T’entoures le truc, c’est la guerre de 14, tu tires les canards des meurtrière­s. On se prenait de ces chargeasse­s, mon pauvre. Il y avait des lits, on se levait le matin et pim! On tirait sur tout ce qui passait. “Tiens, une mouette!” Ronds, qu’on sortait.

La fameuse tortue béglaise serait née en s’entraînant en indoor, sans crampons. Quand il pleuvait on s’entraînait dans un gymnase, et alors on restait debout pour ne pas tomber, parce que c’est dur. On a commencé à se serrer, à faire des groupés-pénétrants. On n’a rien inventé, Béziers faisait la même chose, sauf qu’eux prenaient tellement le dessus physiqueme­nt qu’ils faisaient ce qu’on appelait les déroulés, en tournant le dos à l’adversaire. Nous, on est restés de face, hein, on avait pas une telle supériorit­é. Mais on mettait de l’impact sur les touches, à travailler le ballon derrière, et c’est devenu ce que c’est devenu. On avait beaucoup d’avance sur le concept, et c’est une des armes qui nous ont permis d’être champions de France. C’est une phase de jeu qu’on n’a pas inventée, mais on l’a bien améliorée. Il y avait certains Toulousain­s, des technicien­s, qui disaient que ce genre de jeu

était mort. Trente ans après, tous les mecs font des groupés pénétrants partout, sur les touches, sur les mêlées.

Il y a une vidéo amateur contre Périgueux, vous les explosez au score, et pour finir le match devant votre public, vous leur faites une ultime tortue bien sadique sur 70 mètres. C’est pour les humilier, bien sûr. On n’était pas dans l’humilité la plus totale. Mais c’est pas que du cache-ballon, c’est très technique, ça se réfléchit et ça se travaille énormément.

Quand j’ai fréquenté un peu l’équipe de France, dès que tu laissais le ballon un peu derrière toi, le mec se barrait avec. Bon, ben la prochaine fois, mon cul. Il faut que les mecs arrivent à garder un self control, si le premier venu se la joue perso bah derrière il n’y a aucun soutien puisque les mecs ont le nez à l’intérieur.

Nous ça marchait bien parce qu’on avait cette discipline collective, l’envie de bosser ensemble. Après, si t’es porté sur autre chose…y’a pas cinquante manières de jouer non plus au rugby. Nous on trouvait cette variante intéressan­te, et on en abusait pas mal.

La légende dit qu’avant le mythique huitième de finale aller à Mayol contre Toulon, en 1991, toi ou Laporte aurait eu cette formule sublime: “On va faire régresser l’humanité de 30 siècles.” Ils savaient qu’on allait jouer devant et qu’on allait les tabasser. Serge avait allumé Daniel Herrero dans les journaux aussi, du coup il nous attendait à l’aéroport la veille du match: “Profitez de votre journée, aujourd’hui.” Le lendemain, dans le couloir, quand ils sont sortis, je me suis dit: “Ça va être lourd, cet après-midi, ça sent l’orage.” On sentait qu’on allait s’égorger. On était dans un état d’excitation le plus total. Et là Champ nous fait le coup du lacet. L’arbitre nous dit: “Avancez’, et cet enculé de Champignon nous laisse une heure au milieu. “Toulon, Toulon! Moscato, PD!’ Ensuite, pendant la minute de silence, tout le monde était en train de se menacer. Un grand moment de poésie. Et alors, dès le coup d’envoi, c’est la fête au village. Bataille rangée. Bataille en éclaireur. Des ateliers un peu partout: peinture, poterie, carrosseri­e, recyclage.

C’est la plus grosse générale de ta carrière? Je sais pas, il y en a eu, quand même... Ça tombait à l’époque. Mais elle est belle cellelà, elle a duré tout le match. L’horloge tu la regardes, parce que c’est long. Tu commences à bleuir, à avoir une bosse là, l’oreille ici

(il indique le front). Des pêches, j’en ai pris par tout le monde, ce jour-là. À un moment, je vais chercher un ballon au ras, je rentre au sol, et Deylaud il m’a mis un coup de pompe du pointu, c’te salope. Je crois que c’est lui, t’es jamais sûr. Tout était prétexte à dégainer.

L’expression “Les Rapetous” vient d’où? D’un gars qui était talonneur de Grignols, un village à côté de Bordeaux, journalist­e à Sud-ouest, Patrick Espagnet. Un mec brillantis­sime, qui buvait beaucoup. Il est mort jeune, à cinquante et quelques années. Les Rapetous, ça nous allait.

Après le titre, vous prenez le melon? Ouais, et ça se dérègle. Trop de caractères. Serge, Bernard, moi, on faisait chier Appriou, les entraîneur­s, on était casse-couilles à diriger, très pénibles. On voulait tous décider, s’autoentraî­ner. On prenait parfois un peu trop de place, par rapport aux autres, mais bon, on se refait pas. On se consume de l’intérieur, on se bouffe, on s’est déchirés entre nous. C’est parti en sucette, il y a eu des clans. L’année d’après le Brennus, on est sortis par Chalon – quand moi je suis suspendu suite à l’expulsion au Tournoi. Puis en 1993, on ne sort pas de la poule pour aller en quart. Le vieux Moga meurt. Les fils reprennent et Michel nous vire, moi, Bernard et Serge. Ensuite Techoueyre­s, Reigt, Gimbert partent. C’est un beau gâchis.

Vous auriez pu ou dû gagner plusieurs Brennus? Il y avait du caractère, de la personnali­té, de la créativité, de l’innovation dans la préparatio­n. On faisait des choses en avance qui n’ont pas payé à leur juste valeur. On aurait pu être plus récompensé­s, je pense. On était un groupe qui avait pas mal de bulbe. On le voit dans la vie d’après. Serge, Bernard, où ils en sont. C’est des mecs qui ont toujours entrepris. Moi je ne me suis pas mal débrouillé. Mais c’est avant tout nous, les responsabl­es. On était cons, qu’est-ce que tu veux que je te dise… On n’a pas fait preuve d’une grosse maturité. On n’avait pas un taulier en face de nous qui tenait la route pour nous faire marcher un peu à la baguette. Le truc dommage, c’est que les fils Moga se sont trompés complèteme­nt, ils n’ont pas pesé le potentiel qu’on avait, ils n’ont pas compris qu’on serait assez intelligen­ts pour revenir à la raison, d’ailleurs ça allait déjà mieux quand on s’est fait virer, on commençait à bien tourner, on s’était repris. La suite leur a montré qu’ils ont eu tort, puisque nous on a été à nouveau champions avec le Stade Français, et Bègles ça fait trente ans qu’ils attendent. On leur en a beaucoup voulu mais avec le temps… Ils étaient bombardés là, ça a été leur façon de trancher, de nous virer, j’aurais peut-être fait pareil, je ne critique pas. Leur père, c’était le général de Gaulle à Bordeaux, c’est pas évident de lui succéder.

Pourquoi tu vas au Stade Bordelais? Parce que Bernard y va, on voulait rester ensemble. C’est une connerie énorme. On aurait dû partir ailleurs, à Clermont, un truc comme ça. Ensuite, Brive. Je me régale pendant un an. On fait deux finales. Du Manoir gagné, mais la défaite en finale de championna­t elle fait mal au cul, je te le dis. On mène pendant 70 minutes. Tu passes un été… T’as mal au fion. Et alors comme je fais pas que des bons choix dans ma vie, je pars, et je rate donc la Coupe d’europe l’année d’après, qu’ils gagnent. Sur le moment, ça pique un peu.

Pourquoi partir, alors? Patrick (Sébastien, ndlr) a cherché à me garder, Laurent Seigne aussi… Mais je sens bien le truc au Stade Français. Et puis moi, je cours après les potes, retrouver Bernard comme entraîneur, rejouer avec Serge, avec qui on s’était un peu déchirés,

à Bègles. Gimbert, Christophe Reigt. Et puis je commence à choper 30 ans, je me dis:

“Il faut que je finisse à Paris.” Donc j’y vais, en deuxième division, mais je sais qu’on va monter de suite, hein. L’année d’après on est champions de France, je perds pas beaucoup de temps. Et puis parallèlem­ent, je vais faire un casting et je me retrouve à jouer au théâtre Galabru, à Montmartre, dans une espèce de vaudeville, Un poulet dans la mêlée. Je joue le rôle d’un flic. Je m’entraînais le jour, et le soir je jouais une heure et demi sur scène. Des fois j’arrivais avec une attelle, un oeil au beurre noir, les mecs pleuraient de rire.

Tu avais déjà fait un crochet par la boxe après une suspension en 1990, raconte-nous ça... C’est une passion de gosse. Mon premier combat, j’avais défié le champion de France poids lourds, Yacine Kingbo, en levée de rideaux de Michael Nunn contre Donald Curry, en 1990, à Bercy, il y avait 25 000 personnes. Les mecs se disaient: “Il cherche à prendre une tannée, il doit aimer les coups.” Les gens étaient surpris mais moins que si j’avais gagné le prix Goncourt. Je perds aux points. J’avais une grande gueule, j’avais dit: “Je vais prendre tout le monde”, en sachant bien sûr que j’allais prendre personne. Des combats, j’en ai fait une dizaine, j’en ai gagné cinq ou six, je sais plus. J’étais frustre, mais j’avais de bonnes mains, j’envoyais un peu de pâté. J’étais pas un gros poids-lourd, à peine 100 kg, donc j’allais assez vite, à la Tyson. Mais à la Tyson de Gaillac, quoi.

Au Stade Français, Bernard Laporte te menace de te retirer le brassard, à la mitemps d’un match à Jean-bouin contre Perpignan, où vous arrachez le nul 32-32. Ouais, et quinze jours plus tard, il me le redonne. Bernie le Dingue, quoi. On l’a toujours appelé comme ça. Lui, c’est ses premières années d’entraîneme­nt, il est à 100 000 à l’heure, il ne dort pas la nuit. Il regarde douze cassettes le matin, douze cassettes le soir. Il est à bloc. Et nous on fait toujours un peu les cons. Quand il voit qu’on rigole au fond du bus, il montait dans les tours. Il a cette capacité de s’énerver avec n’importe

“J’ai pris un bar à Bordeaux comme un gros con, place de la Victoire, un endroit à la mode. Ça s’appelait l’hôtel Vincent. Les mecs m’ont dit: ‘Putain t’as un boulard.’”

qui, même ses meilleurs amis. C’est un chef de meute.

La finale de 1998 contre L’USAP, vous rentrez sur la pelouse en marchant. Encore ton sens du spectacle? C’est difficile de s’approprier les choses, mais je crois que c’est mon idée, oui. On savait qu’on n’allait pas camper longtemps, faire dix ans de carrière derrière, qu’il fallait la savourer cette entrée au Stade de France. On est entrés en marchant, tranquille­s, comme Russell Crowe dans Gladiator. Une manière de dire: “On est les plus forts”, aussi. Ce deuxième Brennus, il y a un peu de revanche, c’est un peu: “Bonsoir, messieurs.” Le rappel pour les applaudiss­ements.

Après ta carrière, tu te retrouves vite avec un micro devant la bouche, d’abord en consultant pour France 2. Ouais, ils m’ont viré parce que je faisais rentrer les copains de Gaillac. Je les prévenais avant: “Écoute sur France 2, samedi, tu vas voir je vais te faire rentrer, toi et Lulu. -Oh, tu déconnes?” En direct je disais: “Turnover. Entrée des numéros 16 et 17, Yves Maman et Raymond Druzeau.” Moi, il me faut de la gaudriole, je voulais pas faire le consultant sérieux, technique. Bref, finalement j’ai fait tranquille­ment mon trou chez RMC, avec ma patte, j’ai même fait le soir, entre 22 heures et minuit, je me régalais en Macha Béranger: je faisais klaxonner les camionneur­s à la frontière espagnole, tous les mecs qui allaient à la Jonquera, au tapin.

Dans le Super Moscato Show, tu as tendance à prendre le contrepied systématiq­ue de la bien-pensance et du politiquem­ent correct, tu as conscience d’être parfois borderline? Moi je prends tout à la dérision, je n’aurais pas la prétention de dire que je détiens la vérité, qu’il faut faire ou penser comme ça. La politique, je la fais chez moi. Mais on en meurt de ces gens qui ne font que parler, “les migrants, les migrants”. Parmi eux, j’en connais aucun qui en a trois à la maison. Je suis désolé, mais les artistes “engagés” qui donnent des leçons de morale, il faut qu’on arrive au bout de ça. On vous a démasqués, quoi, ça fait trente ans que vous vous insurgez bien fort, avec vos associatio­ns, que vous pétitionne­z, vous n’avez pas arrangé la société, allez tous vous faire… Ce n’est pas une émission populiste, ce n’est pas dans le cahier des charges de vilipender les bienpensan­ts ou le politiquem­ent correct, je le fais par instinct.

Tu es vite à la limite du répréhensi­ble quand tu évoques la “mode” féministe ou le mouvement #Metoo. Tu sais, moi, c’est comme avec le jeu à la toulousain­e: par provocatio­n, j’essaie de pas penser comme tout le monde. Ça m’a fait dire, par exemple quand je jouais, que le Brennus n’est qu’un bout de bois. J’ai envie de me gifler d’avoir dit ça. Qui est contre le fait que les femmes ne soient pas maltraitée­s? Moi, ma femme c’est mon ego, hein. J’ai élevé quatre filles, qu’est-ce que tu veux que j’ai quelque chose contre elles?

Tu comprends les gens qui s’étonnent de te voir passer sous silence les casseroles

de Laporte à la radio, de le soutenir?

Je m’en fous. Avec Bernard, on se voit pas souvent, mais c’est un pote quoi, je fais partie d’un clan. Il a ses défauts, ses qualités, mais en rugby je pense que c’est le meilleur ou l’un des meilleurs. Après, qu’il fasse des fèves, ses mises en examen… Ça fait partie de la vie de ceux qui s’engagent dans la politique, sportive ou non. J’applaudis pas des deux mains mais je vois plus de positif que de négatif dans son action, ses bilans. Tes amis tu les défends, qu’est-ce que tu veux faire, on s’est élevés ensemble.

Tu te revendique­s quoi politiquem­ent? De droite? Gaulliste? Bien sûr que je suis gaulliste mais j’ai honte de le dire quand tu vois toutes ces pipes qui disent qu’ils le sont. T’as presque envie de dire que t’es pétainiste, rien que pour les emmerder, ne pas être avec eux, tu vois… Je les écoute, culture générale zéro. Le meilleur moyen de se dissimuler dans la vie, c’est de faire le con, mais alors par contre je sais les repérer, les ânes!

Ton image médiatique n’est pas un handicap pour le cinéma? Tu as déjà joué dans une vingtaine de films. Tu rêves encore de grands rôles? Parfois, je vois des films et je me dis: “Putain, t’aurais été bon là.” J’ai un agent mais c’est un agent secret, il sert à rien, il doit m’appeler une fois tous les deux ans, à Noël. J’ai pas de regret, de frustratio­n. Y a des rôles que j’aurais aimé faire, mais ça me fatigue, on me demande parfois pour des comédies à deux balles, j’ai pas envie. Un jour, un gars me file un scénario et me dit: “C’est toi le premier rôle, tu liras chez toi.” Putain, j’étais flatté, moi. Je commence à lire. Écoute-moi, c’était Les Nuits fauves à Castelnaud­ary. Troisième page, il y a un mec qui encule un autre sur une moissonneu­se. Je me dis: “Quand même…” J’ai été voir le film huit mois après, par curiosité. Une catastroph­e, un éclairage à la lampe torche. Une horreur. Des gros plans sur la bite des mecs, à la ferme. Pas un porno mais un truc: “On s’encule vite fait, tu vois, entre copains.” Dégueulass­e. On était trois dans la salle. Y’en a deux, ils sont partis au bout d’une demi-heure. Et le réalisateu­r, il connaît tout. Les subvention­s, il les a toutes. Il est capable de faire tomber une APL sur la niche du chien. Parfait pour faire du cinéma d’auteur, écrit sur les chiottes, en avant Simone, le scenario, on verra, vous inquiétez pas, c’est de l’art. C’est un pote à moi qui m’a remplacé. Il pensait faire carrière lui aussi... Disparu en pleine mer, con. PROPOS RECUEILLIS

“Un jour, un gars me file un scénario et me dit: ‘C’est toi le premier rôle, tu liras

chez toi.’ Putain, j’étais flatté, moi. Troisième page, il y a un mec qui encule un autre sur une moissonneu­se.

Je me dis: ‘Quand même...’”

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Vincent a eu sa période grunge.
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Les flics en civil, c’est de plus en plus trompeur.
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“Je vous sers quoi, les ringos?”
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