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LA PRIÈRE DE MINUIT

Huis clos à Bangkok, transe érotique, un parfum Van Damme… Une prière avant l’aube ressuscite le grand sabbath du midnight movie.

- FRANÇOIS GRELET

À Cannes, la barbaque se consomme généraleme­nt aux alentours de minuit. Une séance qui est aussi la case « autre » de la sélection officielle, et généraleme­nt l’endroit où l’on expose les corps. Que ce soit pour les tripoter humidement ( Love, il y a deux ans), les déchiquete­r conscienci­eusement ( Train to Busan, l’annnée dernière) ou les empiler gaiement ( The Vilainess ou The Merciless, les deux coréens à venir, qui promettent un sacré bodycount). Une prière avant l’aube de Jean-Stéphane Sauvaire (premier midnight movie de l’édition, donc) est au croisement de tout ça : les corps y sont érotisés jusqu’à l’outrance, malaxés et caressés parfois, malmenés, mutilés et tuméfiés le plus souvent. C’est une expérience quasi érotique de l’ultra-violence qui ne se partage qu’entre gens avertis, à l’heure où les gentils festivalie­rs accros à la séance de 8:30 ont déjà pris leur camomille depuis longtemps.

On pourrait envisager le pitch comme celui d’un Van Damme de l’époque Cannon (un boxeur du genre nerveux distribue des mandales dans une prison du genre hostile) ou comme un remake de Midnight

Express (une visite d’un pénitencie­r exotique à travers les yeux d’un jeune Occidental), mais ça ne raconterai­t strictemen­t rien de la nature ni de l’envergure d’un projet qui transcende constammen­t les codes surbalisés de son histoire (vraie, par ailleurs). Il y a bien les enculades sous les douches, les matons qui ricanent en distribuan­t les coups de matraques et le respect qui ne se gagne qu’à la force des poings, mais l’imagerie physique de Sauvaire fait sonner ici la moindre friction comme un éclat d’obus. C’est la scène d’ouverture du Soldat Ryan rejoué dans le huisclos d’une prison de Bangkok. C’est aussi Enter The

Void cloué au ras du bitume. Deux heures, cadenassé dans la tronche d’un boxeur junkie en territoire hostile. L’ennemi est partout, le repos nulle part. Les dérives mentales se multiplien­t à mesure que les corps s’épuisent.

Après Johnny Mad Dog, il aura donc fallu neuf ans à Sauvaire, et un paquet de projets avortés, pour accoucher de ça. Il se reçoit en plein visage comme le bouchon d’une bouteille qu’on aurait secouée beaucoup trop longtemps et qui n’en pouvait plus d’attendre sa libération pour faire très mal. Bim, toute l’assemblée au tapis. À quelques heures de la projo officielle, le réalisateu­r, lui, semble beaucoup plus serein que son film : « Trois ans et demi que je suis dessus. Pas simple de trouver les 1,6 millions dont j’avais besoin. Pas grave : le temps, ça offre de la préparatio­n. Les petits budgets, c’est l’assurance qu’on te foute la paix. » Chopant au vol un script qu’on aurait

pu refiler au premier Simon West venu, il l’a retapissé des ses obsessions docus, de sa griffe de styliste

gourmet et de sa vista technique. « Dès que j’ai lu le scénario, j’ai senti qu’on pouvait y faire dialoguer les codes du genre avec une exigence de réalisme absolu. J’ai bâti le film sur ce genre de dialectiqu­es : le genre contre le naturalism­e, le film mental contre le film physique. J’ai voulu bâtir une expérience, un prototype, toujours. Ce que que je n’avais pas anticipé en revanche c’est que j’allais accoucher d’un film aussi découpé alors que je l’avais tourné intégralem­ent en plan-séquence. Le problème c’est que, tel quel, il durait six heures. Donc j’ai coupé partout à l’intérieur des plans : je perdais en véracité ce que je pouvais gagner en pure musicalité, je pouvais faire basculer le film vers la transe. » C’est dans cet imprévu qui a ramené le projet sur un versant chamanique qu’Une

prière avant l’aube dépasse le simple exercice de style de la série B-arty et délivre les promesses de son titre. Les morceaux de barbaque ont bel et bien une âme. C’est ce qu’Okja affirmait sur un mode bouffon à la projo du matin ; c’est ce que ce film-là nous a balancé entre les gencives au beau milieu de la nuit. Un prototype qui ici a su trouver sa place.

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