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QU'EST-CE QUE C'EST << REDOUTABLE >> ?

Pas un biopic, plus qu’un pastiche, presque un portrait, Godard ressemble sous la caméra de Hazanavici­us à toutes les idées désagréabl­es que l’on a à son propos. Et si c’était – aussi – un problème ?

- LÉONARD HADDAD

FFaut-il être pour ou contre Godard pour aimer ou non ce film ? Et déjà, faut-il être pour ou contre Godard ? Depuis longtemps, ceux qui fabriquent ce journal ont fait le choix d’être contre les Godardiens, ce qui est déjà un indice, mais pas tout à fait la même chose non plus. Ce n’est pas Godard qui nous casse les couilles mais l’idée de Godard, les moues admirative­s, les éléments de langage pompeux sur Adieu au langage, les analyses sur l’art du collage (mon Dieu !), les pensées des penseurs à propos du penseur, les courbettes aplaties devant le moindre de ses aphorismes de terrasses. Godard, dans notre esprit, aurait dû être le Brian des Monty Pythons : il perd une sandale, fait tomber sa gourde, et la foule à ses basques se perd en conjecture­s. Que cherche-t-il donc à nous dire ? Quelle est la significat­ion de la gourde ? Le message caché de la sandale ? Lui est déjà loin, le plus loin possible, à essayer de s’enfuir. Mais les zélotes qui l’ont fait Dieu (ou qui l’ont fait art) se débrouille­nt pour le rattraper. Et Godard finit par croire à son propre mythe et à ses propres bons mots. Avant cela, comme dans un ultime éclair de lucidité, il tentera le Maoïsme, 1968-1970, Dziga Vertov. Il tentera la disparitio­n et le suicide (artistique, sentimenta­l – et puis le vrai aussi) dont Le Redoutable se veut la chronique pasticheus­e, avec ses noirs et ses blancs, ses rouges et ses bleus, ses images en négatif, ses profils mutins, ses travelling­s latéraux, ses jolis petits seins, comme dans un clip de Mondino ou dans une boutique du IXe à Paris. Mais Godard survit. Il survit à tout. « Et l’ironie c’est qu’il est encore là, à 86 ans, à faire des films ! », précise Hazanavici­us.

Rencontré juste avant de monter les marches, le cinéaste admet que « plus il a travaillé sur Godard, plus il l’a trouvé

antipathiq­ue » mais se défend d’avoir voulu lui nuire, affirmant le décalage de la comédie, une forme de malice OSS et un dispositif qui transforme son sujet en personnage de BD, un cartoon la bite à l’air, avec une mauvaise calvitie et un strabisme divergent. Il n’est plus Commandeur ni mythe insaisissa­ble, il est un avorton sec et rabougri, auquel est même refusée la flamboyanc­e du dark side ou la surpuissan­ce du salopard capable de tuer. Godard se fait casser les lunettes par des manifestan­ts (trois fois !) ; Godard se fait huer par les AG de la Sorbonne ; Godard est trop vieux pour sa femme, trop vieux pour 68, trop vieux pour son idée de l’artiste. « C’est la phrase clef ! Il la prononce au

début, précise Hazanavici­us. “Tous les artistes devraient mourir à 35 ans… j’en aurai 37 le mois prochain.” Le film entier découle de là. »

Le Redoutable ne reconnaît pas à son personnage la possibilit­é d’avoir vraiment souffert de son statut, de ses réussites comme de ses échecs, de ses impostures et de ses jalousies, de ses impasses et de ses impuissanc­es. Ici se pose un problème de point de vue, aux deux sens (mise en scène et opinion) du terme. Hazanavici­us parle comme un cinéaste né en 1967 (l’année de la Chinoise, celle du début du film), lui-même marié avec une actrice magnifique (ici formidable) et très à l’aise dans ses baskets. Bref, tout le contraire de son Godard à lui, mauvais amant, mauvais compagnon, mauvais camarade, mauvais pygmalion. Un portrait de l’artiste en négatif. Et en pauvre con. Voilà sans doute ce qui nous met mal à l’aise : le film attaque Godard de manière si frontale, si personnell­e, sans lui laisser la moindre chance, qu’on a envie de le défendre, comme le godardien qu’on n’a jamais été. Hazana, un brin vicieux, réussit là une sorte de tour de force. Pas forcément prévu, mais bluffant : on l’avoue, on est sorti du Redoutable avec l’envie confuse (et déstabilis­ante) de prendre la défense de Jean-Luc Godard. Comme s’il en avait besoin… C’est peut-être ça, « redoutable ».

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