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# MonsieurCl­aude

Claude Lanzmann fait moins peur qu’avant, mais continue de défier la mort. Rencontre avec un surhomme qui ne craint pas grand monde.

- GAËL GOLHEN

Il y a quatre ans, au moment de la présentati­on du Dernier des injustes, on avait fait un papier sur la tornade Lanzmann…

Claude Lanzmann. Ah bon ? La tornade est un peu affaiblie aujourd’hui. Je suis abruti et malade – j’ai mal partout. Je suis tombé sur le dos à Paris, j’ai un genou blessé et ça me fatigue terribleme­nt. Mais je suis là. Je ne sais pas pour combien de temps, mais je suis là.

Vous semblez pourtant coriace. C’est même le sujet de votre livre, Le

Lièvre de Patagonie et de vos deux derniers films : vous confronter à la mort.

Oui… Confrontat­ion est le mot juste. De jour et de nuit. Elle est permanente. C’est le seul sujet qui vaille. Tant que je tiens debout, je m’y attèlerai. Beaucoup de livres que j’aime par dessus-tout sont comme ça. Belle

du Seigneur d’Albert Cohen est une confrontat­ion à la mort. Et lorsque je vois les humains affairés à leur vie, j’ai l’impression qu’ils oublient que ça va arriver. Or ça va arriver.

C’est pour la conjurer que vous faites ces films ? Il y a un désir d’éternité évident dans les deux derniers….

Oui : la racine de l’art est là, ça ne fait aucun doute. S’il n’y a pas cette crainte, cette horreur de la mort, alors il n’y a pas d’art. L’art est fait pour ça : palier cette angoisse. Regardez les égyptiens avec leurs appartemen­ts funéraires la Grèce antique, avec les trésors de Delphes. L’Aurige

( sculpture d’un homme qui conduit un char) est une merveille ! Et c’est mon contempora­in !

Euh… Il date du Ve siècle…

Oui ! Mais j’ai l’impression d’un frère en présence.

Et pour revenir à vos films aujourd’hui…

Ils me survivront.

Napalm est particulie­r dans votre filmograph­ie, parce qu’il s’agit de la mise en image de ce que vous aviez déjà écrit mot pour mot dans un chapitre du Lièvre de Patagonie,

votre histoire d’amour avec une infirmière coréenne. Pourquoi avoir choisi de le filmer ?

Parce que cette histoire me travaille depuis soixante ans. On peut faire des films de fiction magnifique­s à partir de cette histoire. Mais raconter cette histoire dans une autre ville, sur un autre fleuve, avec des acteurs ? Impossible. Ça m’était arrivé à MOI, et je ne pouvais pas laisser quelqu’un d’autre prendre ma place. J’ai décidé d’obéir à ma propre loi : c’est donc moi qui parle, moi qui raconte.

Dans ce documentai­re…

Pas ce mot ! Je cherche précisémen­t à faire exploser la dichotomie entre documentai­re et fiction.

Alors pourquoi être allé jusqu’à retourner sur les lieux de l’action, en Corée ?

Parce que c’était le sujet : l’idée c’était de porter un nouveau regard, un regard personnali­sé, incarné, sur ces lieux et ces événements. Il fallait que j’y sois, et que je parle. Je devais retourner là-bas. Affronter physiqueme­nt le lieu, sa matérialit­é, y compris la fatigue de la marche, les promenades sur le bord du fleuve… tout.

Et vous n’avez pas eu de problème avec le gouverneme­nt ?

Je leur ai dit que je tournais un film sur le Taekwondo – il en reste des traces dans Napalm. Je n’avais aucune illusion, je savais qu’ils ne me laisseraie­nt filmer que ce qu’ils voudraient bien que je filme. Je suis resté quelques semaines à Pyongyang et j’étais toujours accompagné de ce type qui me tenait toujours le bras pour m’empêcher de tomber, et me faisait horribleme­nt mal d’ailleurs…

Ce qui frappe, c’est que la façon dont vous vous mettez en scène a complèteme­nt changé depuis Shoah…

Mais dans Shoah je ne mets pas en scène. Je suis à l’image parce qu’il y a des interprète­s, des témoins. Mais je suis d’abord une voix. Et puis, je n’avais pas le même âge, c’était moins dur d’apparaître à l’écran. Dans Le Dernier des injustes et dans Napalm, il y a plusieurs âges. Je suis jeune (dans les archives) et vieux (aujourd’hui) et je sais que ce qui circule entre ces deux présences nourrit le film, lui donne une tension qui est sentimenta­le et historienn­e. Il faut quand même un sacré culot pour se montrer jeune et vieux. J’étais plus joli à trente ans…

Il y a aussi beaucoup d’ironie. On vous voit charmer la militaire qui vous fait visiter le musée de l’armée…

Elle est magnifique cette lieutenant­e. Magnifique ! Et personne n’a dit que j’étais impuissant…

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