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LE COULOIR DE LA MORT
Aucune info à croquer, quasiment pas de films… Hier, c’était l’habituel temps mort du festival, conceptualisé cette année en journée farniente du 70e anniversaire.
L’enquête débuta au troisième étage, au hasard d’un échange amical avec le veston bleu junior chargé de filtrer l’entrée de la « Terrasse Journalistes ». Un travail de chien, vraiment très laid, qui consiste à rester debout et à noter au stylo-bille le nom, la raison sociale et la nationalité de chaque arrivant. Son poignet lui faisait mal, son petit cahier raturé ressemblait à une liste de courses de tueur en série. On l’a pris en pitié. « Oh non y’a pire !, s’empressa-t-il de rassurer dans un éclat de rire. Vous ne connaissez pas le couloir de la
mort ! » Mmm. Lever de sourcils intéressé. Redis-nous ça pour voir ? Il s’avère que les hommes et femmes en bleu connaissent tous le couloir de la mort. « Là où les collègues se cachent
pour mourir », entend-on au sous-sol du Marché du film.
« C’est un couloir sombre qui ne mène nulle part, avec un pauvre vigile qui doit rester là, debout, à attendre derrière une porte ». Ils n’y ont pas nécessairement mis les pieds, mais ils le tiennent d’un pote qui bosse au service technique, ou d’un pote de pote. « Personne ne passe jamais là-bas ! Personne ! Le type attend seul dans le noir toute la journée ! » Légende urbaine ? Blague interservices ?
« Il arrive même qu’on oublie de l’appeler pour la pause dej et, du coup, il reste là, sans bouffer. » Ok, n’en jetez plus. « The game is afoot », comme dirait Sherlock… Investi d’une mission nouvelle et d’un sens du devoir retrouvé, on s’enfonce dans les artères grouillantes du Bunker. Entrée des artistes, couloir à droite, ascenseur à gauche, deuxième étage… Nous sommes le Mardi 23 mai. Il est 15h17. Lorsqu’une machine aussi huilée et hystérique que Cannes décide de lever le pied, vous le sentez passer. Pas le choix. Le coup de mou de milieu de Festival est une tradition entretenue par les organisateurs, à la fois terriblement bienvenue pour recharger les batteries, acheter des slips chez Monoprix et recoller les morceaux au téléphone avec sa/son conjoint(e) à Paris, mais aussi franchement casse-pied pour le moral. S’arrêter en milieu de course, c’est aussi perdre le rythme, accuser le coup et prendre le risque de ne jamais pouvoir s’en relever tout à fait. Cette année, 70e oblige, c’est encore pire. Un vide sidéral a été crée autour des mystérieuses festivités (en cours, à l’heure où on écrit), de la projection des six heures de Top of
the Lake saison 2 (« Ça devrait les occuper… ») jusqu’à l’hommage Téchiné donné lundi à Debussy à la place de la projo de presse de 19h, comme un avant-goût de la banalisation du lendemain. Aucun film ne souhaite être programmé le mardi, et les tractations en coulisses entre distributeurs et instances festivalières sont toujours compliquées à ce sujet (les distribs refusent tous d’y aller). À l’heure du grand siphonage, seul Vers la lumière de Naomi Kawase a répondu présent. Quelque part, c’est du beau travail d’artiste. Une idée sculpturale, hyper réfléchie, du coup de mou cannois. La journée morte, conceptualisée. On a donc retrouvé Pierre*, couloir droite, ascenseur gauche, deuxième étage. Il habite bien derrière une porte, debout, dans l’obscurité. Contrairement à ce qu’on raconte, il lui arrive de voir des gens. « Une dizaine par jour, des techniciens qui viennent régler le son et l’image des projos Debussy. » Très sympa (content de nous voir), il met fin au mythe naissant : le couloir de la mort ne mène PAS nulle part. C’est d’ailleurs la raison de sa présence ici. « Il y a une porte dérobée, au bout du couloir, qui donne accès aux marches de Debussy. Je suis là pour m’assurer que personne ne l’utilise. ». Lui-même ne s’en est jamais servi.