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«J’AI ENVIE DE JOUER DES FEMMES MÉCHANTES… »

Pas besoin d’être gaga de L’Amant double pour être heureux de voir Jacqueline Bisset revenir chez nous pour jouer les apparition­s énigmatiqu­es. Rien de mieux que son délicieux franglais pour finir Cannes sur une petite brise seventies.

- YAL SADAT

Pas étonnant que vous reveniez tourner en France grâce à Ozon : son style est nourri d’influences “noires” pas si éloignées de vieux thrillers dans lesquels on vous adore. Really ? Expliquez moi Votre personnage a l’air de sortir de la psyché de l’héroïne, c’est une apparition plutôt qu’un personnage. Un peu comme dans vos films des seven- ties : vous ne vous contentiez jamais de la carte glamour. Ah ça, j’espère bien ! Je n’aime pas le mot glamour, c’est trop… shiny. C’est peut-être un peu bête de dire ça, mais je n’aime pas trop ce qui brille. J’aime le mat, les personnes juste assez claires pour laisser filtrer les sous-textes tordus. C’est pour ça que j’aime tourner en France. J’avais envie de rôles compliqués et François Ozon m’a offert celui de cette femme qui est comme une chimère. Maintenant, j’ai envie de jouer plus de femmes méchantes. Vous avez l’impression d’avoir joué trop de femmes gentilles ?

You know, sometimes, il faut du punch. Des scénarios qui vous poussent vers le bord, et qui vous disent :« jump ! » Aux États-Unis, il y a maintenant de très bons films indépendan­ts. Mais si j’étais restée toute ma vie sous la coupe des studios de Hollywood, avec leurs special effects et leurs superheroe­s, je me serais ennuyée à mourir ! Les réalisateu­rs français vous poussent mieux vers le bord que les Anglo-saxons ? Maybe. En fait… c’est sûr. Absolutely. Lequel vous a le plus marquée ? Hum… (elle réfléchit longuement)

Truffaut. J’ai appris des tas de choses grâce à la folie de François sur La Nuit

américaine. Au début, il se plaignait que je sois une actrice trop réaliste, alors il m’a transformé­e. Il me faisait ajouter des regards bizarres, dans le vide, à des moments qui me paraissaie­nt absurdes. « Regarde à gauche ! Regarde tes pieds ! Regarde en haut ! » Je me trouvais ridicule, mais je suis obéissante alors je le faisais. Finalement sa direction ajoutait du mystère à mon personnage. Avec Truffaut, j’ai appris que le cinéma n’est pas logique. Et qu’avez vous appris en débutant à Hollywood, quelques années avant ? Je pense à l’époque du Détective, de Bullitt… Wow, The Detective… That’s an early

one ! Je ne me souviens de rien. Si, je me souviens de Sinatra. J’étais complèteme­nt tétanisée par les potins sur lui : à l’époque, les rumeurs mondaines fondaient la légende d’un acteur. Comme je suis passionnée de psychologi­e, j’adorais l’observer rester un chic type alors que le public le voyait comme un monstre sacré. Et sur Bullitt ? Ah non, là je n’ai rien appris. Ou j’ai tout oublié. Ce qui est fou, c’est à quel point le film est resté : tous ces hommes fans de la police, tous ces car people qui organisent encore des réunions habillés comme Steve McQueen… Je trouve ça drôle ! Mais moi, je préfère regarder en avant. Vous avez l’air de vouloir oublier beaucoup de choses du passé… J’aime bien oublier puis retomber sur un rôle que j’avais sorti de mon esprit, en me disant : « Tiens, je n’étais pas si mauvaise, là-dedans. » C’est elles que j’oublie plus facilement : les femmes que j’ai jouées. Mais le travail des autres, quand ils sont talentueux, je m’en souvi- ens à jamais. Charles Bronson, par exemple ? Oh oui. He was kind of a bear, a grumpy

bear. Mais doux et timide. Quand on a travaillé sur St-Yves, j’ai eu un peu peur de lui au début, il ne me disait pas bonjour le matin. Dès qu’il avait un moment de libre, il allait voir sa famille et se baladait avec sa petite fille dans ses bras, endormie contre son épaule. Un jour, j’étais assise dans un coin du studio en rêvassant. Il vient soudain s’assoir à côté de moi et je deviens nerveuse. Comme il n’arrivait pas trop à faire la conversati­on, il s’est mis à raconter plein de blagues idiotes. Et il riait comme un enfant en devenant tout rouge ! J’ai trouvé ça si mignon. Voilà encore un grand homme dont on peut apprendre. Et qu’est-ce qui vous reste de cet apprentiss­age, alors ? Qu’il faut oublier les méthodes inutiles. Les astuces Actors Studio. La seule bonne méthode, c’est de jouer avec votre sensibilit­é en vous nourrissan­t les événements réels. Mon problème, c’est qu’avec l’âge, je deviens de plus en plus fragile, comme une éponge qui absorbe trop de choses… Ne laissez personne vous faire croire qu’on s’endurcit en vieillissa­nt, c’est faux. C’est peut-être pour ça que je veux jouer des wicked women !

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