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ALEXANDRE DESPLAT
Avant tout : Que fait Alexandre Desplat à Cannes ? Alexandre Desplat est à Cannes pour la projection du documentaire « In the tracks of Alexandre Desplat » réalisé par Pascale Cuenot dans le cadre de « A Life in Soundtrack », un nouveau rendez-vous proposé par le Festival du film de Cannes et la Sacem, le lundi 14 mai salle Buñuel à 16h30. Quelle est votre playlist idéale pour le Festival (3 chansons) ? Pourquoi me parlez vous de chansons ? Vous confondez musique de films et chansons ? Ou tout simplement Musique et Chansons. J’écoute peu de chansons. Essentiellement de la musique instrumentale que par ailleurs les radios “généralistes et commerciales” ont totalement délaissées. Ouvrons le débat. Malgré tout je dirais Love Theme “Spartacus” de Bill Evans, Blue in Green de Miles Davis et Maiden Voyage de Herbie Hancock. Vous travaillez autant sur de très gros films de studios hollywoodiens comme Harry Potter que sur des films d’auteurs français (auprès de Depardon par exemple ou de la plus jeune génération comme Katell Quileveré), dans quelle mesure ces différentes approches de la musique de film se nourrissent-elles les unes des autres ? Oui bien sûr. C’est le cinéma européen qui m’a construit et le cinéma américain que j’ai fantasmé mais j’ai choisi de préserver mon identité européenne et surtout de continuer à la developper en étant fidèle aux metteurs en scène avec lesquels j’avais construit cette identité. La rencontre avec de jeunes cinéastes est aussi un choix, une remise en question esthétique permanente.
En retour, le souffle épique de certains films américains dans lesquels la durée de musique originale dépasse parfois deux heures, la puissance orchestrale nécessaire est à l’aune de l’exigence aussi bien artistique que technique des “films-makers” avec lesquels je travaille, de David Fincher à George Clooney, de Wes Anderson à Guillermo del Toro . Votre épouse, la musicienne Dominique “Solrey” Lemonnier, travaille à vos côtés depuis de nombreuses années et a notamment créé avec vous le Traffic Quintet… Comment est-ce que vous définiriez votre collaboration ? Solrey est ma première auditrice. Elle a été mon violon solo dès mes premiers enregistrements, insufflant à l’orchestre à cordes une esthétique et une exigence hors du commun. C’est une artiste autant qu’une musicienne et c’est cela qui a construit notre collaboration musicale. Une connaissance hors du commun de la musique, une force synthétique et analytique inégalée, une écoute de chaque instant pour que mes partitions s’élèvent. Mais si l’amour de la Musique est notre ciment nous partageons la même passion, la même curiosité pour l’Art en général. Le Traffic Quintet est entièrement sa création. Je n’ai participé qu’épisodiquement à quelques transcriptions de partitions que nous aimions. Votre parcours devenu iconique a-t-il été une source d’inspiration pour un ou des jeunes compositeurs qui vous l’auraient fait savoir ?
Je préfère rester modeste à ce sujet. Ma prochaine partition est toujours ce qui me préoccupe et je préfère ne pas regarder en arrière. Lorsque je croise parfois des spectateurs qui me disent que mes partitions les ont émus, alors j’ai peut-être réussi un petit quelque chose. C’est la plus belle récompense qui soit. Et si cela a déclenché des vocations j’en suis aussi très heureux. Qu’est-ce qu’une bonne musique de film ?
Il n’y a pas de règles. Chaque compositeur a son esthétique et il la met au service de la vision d’un metteur en scène. C’est cet équilibre qui est le plus difficile : conserver une intégrité artistique et musicale dans une oeuvre collective. Cela s’apprend, au fil des collaborations. S’écarter du cliché et de l’attendu est bien sûr la règle numéro un. Aller chercher l’invisible. Le calage musical imprévisible, la retenue, l’économie de moyens. Mais aussi toujours tenter d’écrire une musique qui peut survivre au film. Qui tient debout, seule. Enfin je veux toujours respecter les musiciens qui vont l’enregistrer et que je dirige en studio en leur apportant autant que faire se peut une vraie matière musicale. Qu’elles sont les difficultés rencontrées lorsque vous créez un concert à partir d’une nomenclature de musique de film ? C’est un problème récurrent surtout avec des partitions à la nomenclature insolite: 12 flutes dans “Shape of water” de Guillermo del Toro, un orchestre de balalaikas dans “Grand Budapest Hotel” de Wes Anderson, du bouzouki et du baglama dans “La Venus à la fourrure” de Roman Polanski… Il faut pour le concert symphonique ré-imaginer un son qui soit un écho de l’orchestration originale. C’est parfois un véritable casse-tête.