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On n’a pas trouvé de titre, désolé

- MICHAËL PATIN

Vie et visions de l’écrivain indien Saadat Hasan Manto, de l’indépendan­ce de l’Inde à l’exil pakistanai­s. Nandita Das donne des couleurs d’auteur à la fresque Bollywood. Et réciproque­ment.

« Quand nous étions esclaves, nous rêvions de liberté. Maintenant que nous sommes libres, à quoi allons-nous rêver ? ». C’est la question de l’Inde 1947, quand les colons anglais lèvent le camp, laissant Hindous et Musulmans à leurs propres jeux de massacre. Elle hante l’écrivain Saadat Hasan Manto, figure de l’intelligen­tsia progressis­te, qui refuse d’abord de partir au Pakistan où ses coreligion­naires trouvent refuge. Le temps de l’innocence tient dans une fulgurante scène d’ouverture : trois hommes emmènent une prostituée mineure à la plage, mais sa fougue et son ingénuité les émeut tellement qu’ils la ramènent sans la toucher ; « pourquoi voudrais-je votre argent ? », lance la gosse après cette belle journée. Cette scène, c’est Manto lui-même qui en est l’auteur, sa vision littéraire, truculente donc encore enchantée, du monde. C’est aussi le prototype du bel effet de mise en scène imaginé par Nadita Das : sur un déclic, sa caméra quitte l’artiste pour suivre une scène de rue, réinterpré­tée par celui-ci. Avec son exil forcé au Pakistan, vécu comme un double traumatism­e – le sien se confond avec celui de la nation – débute sa déchéance intime et sa transforma­tion d’écrivain. Le monde noircit, les visions se distordent, et le film bascule dans la stupeur. Au-delà de ces rebonds virtuoses, Manto a l’élégance de respecter jusqu’au bout son cahier des charges, ancrée dans le faste bollywoodi­en : celles d’une fresque chorale, historique et sentimenta­le, qui file à toute allure et laisse des bleus partout. Si Nous nous

sommes tant aimés était indien, il ressembler­ait peut-être à ce film-là.

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