Technikart - Technikart - SuperCannes

Séverement­Buriné

- FRANçOIS GRELET RECUEILLI PAR YAL SADAT ET

Tale of Tales, un pur conte de fées, avait été reçu froidement à Cannes. Tu t’es dit qu’il valait mieux revenir avec une fable comme Dogman, plus implicite et brute de décoffrage ? Tous mes films sont des contes ! La différence de Tale of Tales, c’est qu’il partait du fantastiqu­e pour aller vers le réalisme : je dénudais la vérité humaine logée derrière les codes du merveilleu­x. Avec Dogman, je fais l’inverse : je m’empare d’un fait divers et je lui donne l’ampleur d’un conte de fée. C’était déjà la mécanique de Go

morra Reality. Alors, cette der- nière est sans doute mieux adaptée à Cannes… Avec son casting de stars en costumes, Tale of Tales s’y est planté. Mais je ne regrette pas de l’avoir fait : j’ai justement appris à raconter les histoires comme des contes, c’est-àdire avec précision et limpidité. Si Dogman est aussi un conte, quelle est sa morale ? C’est toujours complexe de répondre à cette question, du moins quand le conte est bon. Disons que c’est l’histoire d’un homme, Marcello, qui entre dans un engrenage de violence alors qu’il est doux et qu’il cherche juste à récupérer sa dignité d’être humain. Il se laisse tomber dans le trou noir que tu entraperço­is quand tu es tenté de passer de l’autre côté de la morale. Et le trou noir, il nous guette tous : de l’extérieur, si tu entends parler de cette histoire, tu pourrais croire que c’est lui le bourreau et Simoncino la victime. Le film démontre que c’est bien plus compliqué… Oui et d’ailleurs, le titre désigne aussi bien le héros Marcello que Simoncello : il y a l’homme qui s’occupe des chiens, et celui qui EST un chien. Hmm, le «dogman» c’est quand même Marcello : son amour pour les bêtes en fait le véritable homme-chien. Mais oui, évidemment il y a aussi une analogie entre la férocité de Simoncello et celle du dogue de la première scène… Enfin c’est peu flatteur pour le dogue, désolé pour lui. Sauf que cette première scène ouvre une fausse piste : grâce à sa douceur, Marcello arrive à calmer ce molosse en furie. En revanche, il ne réussira jamais vraiment à amadouer son pote Simoncello… Tiens, c’est vrai… Mais il y arrive un peu quand même, grâce à la coke qu’il lui refile : c’est un peu l’équivalent du sèche-cheveux que Marcello passe sur le pelage du chien pour le calmer ! Ce qui est fou, c’est que tout le film repose sur ce manège : un petit mec essaie de dresser un grand mec, le petit mec se prend une rouste, puis se venge… Oui, c’est David contre Goliath répété encore et encore. Mais pour en faire un film entier sans avoir l’air de se répéter, l’astuce c’est de miser sur le décor. Les confrontat­ions varient grâce à la matière de cette ville, aux tons de lumière, à son aspect baroque. C’est un truc que je tiens de ma formation de peintre : l’intérêt n’est pas tant dans le motif - le combat, et qui va le remporter - que dans la manière dont il s’incarne. La ville que tu filmes est incroyable, d’ailleurs : on a l’impression d’une bourgade-fantôme sortie d’un western, pensée pour les duels et les bastons en plein jour… Pour moi c’est un personnage du film à part entière. L’idée, c’était d’exposer le héros à la communauté et à ses mécanismes : Marcello se met ses concitoyen­s à dos, il est donc observé, cerné, d’où l’intérêt d’avoir une scénograph­ie délimitée. Et ça, comme tu le dis, c’est typiquemen­t un dispositif de western. Avec la mer en guise de Frontière. C’est aussi une manière de réduire le rayon géographiq­ue habituel de tes récits : auparavant, tu parlais de l’Italie toute entière… Tu avais envie de raconter une histoire plus universell­e cette fois ? Sans doute. Ce truc de l’individual­isme grandissan­t, des gens qui veulent rendre justice eux-mêmes et se droitisent, c’est universel non ? Cela dit, j’avais envie que ça infuse le film de manière indirecte, et pas qu’on se mette à faire des liens avec la politique de tel ou tel pays. Les journalist­es doivent pourtant te répéter que Dogman est pour eux une métaphore de la violence innervant la société italienne… Oui, mais pour moi ce n’est pas un film sur une territoire. C’est un voyage dans la psyché d’un personnage, donc beaucoup plus mental que spatial. Ce qui m’intéresse, c’est l’étude psychologi­que d’un insecte pris dans une toile et qui adopte la violence pour s’en sortir. Mon modèle de départ, pour te dire, c’était Le Sous-sol de Dostoëvski… Au bout du compte, l’histoire est plus simple que ça : un type commet une suite d’erreurs et en tire des leçons. Vous me parliez de conte, eh bien c’est le principe : montrer aux gosses les erreurs d’un héros pour qu’ils apprennent à les éviter. En fait, Dogman, c’est Pinocchio.

 ??  ??
 ??  ?? Dogman, c’est l’histoire simple de David contre Goliath dans une cité spectrale, avec beaucoup de mandales et de clébards. Matteo Garrone, grand conteur de la violence transalpin­e ordinaire ?
Dogman, c’est l’histoire simple de David contre Goliath dans une cité spectrale, avec beaucoup de mandales et de clébards. Matteo Garrone, grand conteur de la violence transalpin­e ordinaire ?

Newspapers in French

Newspapers from France