LE SUICIDE GALLOIS
Dans le monde fluo artificiel de la pop surgit un disque qui parle d’Histoire et de charbon entre gris clair et gris foncé. À écouter avec un casque.
Et si ce disque réconciliait Éric Zemmour avec le rock ? Quand on apprécie autant Patrick Buisson que les Rolling Stones, on trouve difficilement chaussure à son oreille dans les sorties actuelles. Rap neuneu, folk bobo ou pop bimbo : mieux vaut aller à la pêche avec Henri Guaino qu’écouter ces trucs-là. Every Valley de Public Service Broadcasting tranche avec l’abrutissement courant. Voyez plutôt : il s’agit d’un album concept autour de la chute de l’industrie du charbon dans le sud du Pays de Galles. Rien que ça ! Comment l’ancien moteur de l’Empire britannique a-t-il été réduit à peau de chagrin ? Vous avez quatre heures. Les loustics lettrés de Public Service Broadcasting ont eu l’idée folle de plancher en chansons. Enregistrées à Ebbw Vale, ancien coeur industriel, celles-ci ne sont pas banales : on y entend des extraits de films documentaires et autres archives, une vieille campagne de recrutement, l’interview d’un syndicaliste, une chorale composée de quarante anciens mineurs… Un tel empilage pourrait être crevant, scolaire et fastidieux. Il n’en est rien. Les voix, les mélodies mélancoliques et la production sophistiquée font de cette anomalie une épopée aussi aberrante sur le papier qu’emballante à l’écoute – il faut imaginer « Les Corons » de Pierre Bachelet repris par The Wedding Present. Pourquoi cet album fait-il tomber de la commode le critique habitué à se farcir fredaines faciles et futilités fashion ? C’est que chez les rockeurs, ouvrir les yeux n’est pas dans les habitudes. Dans ce milieu, le conformisme moule-à-gaufres règne en maître. Aussi est-on étonné de lire cette déclaration des deux larrons de Public Service Broadcasting sur le sentiment de trahison expliquant le fait qu’Ebbw Vale ait voté pour le Brexit plus massivement qu’aucun autre coin du Pays de Galles : « Il y a un lien direct entre l’atomisation de cette communauté et l’atomisation de la confiance qu’elle avait placée dans les politiciens de l’époque – le délabrement de l’industrie, le manque d’opportunités, le manque d’espoir pour les jeunes, et en fin de compte ce doigt d’honneur à l’establishment qu’est probablement devenu le Brexit. » On est en plein dans les essais de Christophe Guilluy, ou dans The Road to Somewhere : The Populist Revolt and the Future of Politics de David Goodhart. Sous son vernis contestataire, la pop-culture, grande aventure des baby-boomers, a toujours été du côté de la mondialisation heureuse. Disque de la désindustrialisation flippée, Every Valley nous rappelle que le rock n’a de panache que quand il s’écrit à rebrousse-poil, contre le cool toc, dans l’angoisse existentielle. Rare vedette non démago, Morrissey saluera Public Service Broadcasting comme ses frères. Nous appellerons quant à nous à un grand remplacement : puisse cet album inclassable dégager les daubes du jour des bacs des disquaires et des esgourdes du public. Là-dessus, on enverra le vinyle à Zemmour. Que nos confrères du Figaro se préparent à l’entendre en boucle à la rédaction.