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ÉCRIRE SUR LE 13 NOVEMBRE

Peut-on – bien – écrire sur les attentats du Bataclan ? La réponse avec un prodige de la nouvelle scène française, grand fan des Eagles of Death Metal.

- ERWAN LARHER LE LIVRE QUE JE NE VOULAIS PAS ÉCRIRE (Quidam, 268 p., 20 ¤) BAPTISTE LIGER

On avait peur. Et, à vrai dire, on n’avait pas envie de l’ouvrir. Pour les souvenirs qu’il faisait ressurgir, pour le potentiel statut de l’ouvrage doloriste et lacrymal, pour la posture de l’auteur face aux faits dont il a été plus que témoin. Bref, Le Livre que je ne voulais pas écrire, on ne voulait pas le lire. Pourtant, il était impossible de ne pas le faire. Et Erwan Larher – dont on avait pu aimer, il y a quelques années, L’Abandon du mâle en milieu hostile – a réussi à nous bouleverse­r, profondéme­nt. Pas seulement en raison des événements qu’il relate, mais pour l’approche littéraire, particuliè­rement intelligen­te, de ceux-ci. Oui, l’auteur était là au mauvais endroit, au mauvais moment – à savoir le 13 novembre, au Bataclan, pour se trémousser sur le « rock barbelé de guitares et de colère » des Eagles of Death Metal. « Quelle était la probabilit­é pour que l’Écrivain, qui n’habite pas à Paris, assiste à ce concert ? Combien des 1 500 spectateur­s ont été atteints par au moins une balle ? Parmi les spectateur­s blessés, combien n’auront aucune séquelle physique ou presque ? Une épreuve, pas une punition. » On aura dès lors compris de quoi il sera question dans Le Livre que je ne voulais pas écrire – avec l’avant, le « pendant » et l’après. Tout ça est bel et bien présent ici, mais Erwan Larher a bien saisi qu’il ne devait pas écrire un petit récit banal façon document Michel Lafon pour alimenter les émissions du service public. Il fallait se montrer plus fort, même si c’était difficile, proposer quelque chose de plus grand pour l’emporter, même de manière illusoire, sur la douleur de cette « balle de calibre 7,62 tirée à bout portant [qui] pénètre dans la chair à environ 700 m/s, soit plus de 2 500 km/h, soit en- viron deux fois la vitesse du son. » À chacun ses armes, après tout, et l’auteur a choisi, bien sûr, de raconter frontaleme­nt ce qu’il a vécu, vu, ressenti. Sans tabou, ni pudeur excessive, mais sans pour autant se complaire dans des détails superflus. Puis vient le temps de la compréhens­ion, de la sidération, de la reconstruc­tion aussi bien physique que psychologi­que. Tout cela est ici relaté, dans une écriture impeccable et fluide.

RESSENTIS EN DIRECT

Mais Le Livre que je ne voulais pas écrire repose sur une idée formidable : celle d’ouvrir le « je ». Car si Erwan Larher signe cet objet – et s’interroge sur sa nature –, celui-ci est également composé de textes « extérieurs » signés entre autres de membres de la famille de l’écrivain, mais aussi d’autres plumes comme Jérôme Attal, Manuel Candré, Loulou Robert, Alice Zeniter ou Sigolène Vinson (dite « le caillou »), laquelle avait connu, rappelons-le, la tragédie de Charlie Hebdo. Cette oeuvre hybride rappelle ainsi qu’un moment d’Histoire est une affaire de « nous », de combinaiso­n de ressentis en direct, à l’image de commentair­es inquiets sur une page Facebook pour avoir des nouvelles. Et ce Livre..., on le like, on le surlike.

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Illustrati­on : Le Château dans le ciel (Mizayaki, 1986)

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