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LE KAMIKAZE DES URNES

AU LENDEMAIN DU SUCCÈS EN TROMPE-L’OEIL D’EN MARCHE AUX LÉGISLATIV­ES, ON A RETROUVÉ L’ACTIVISTE FRANC-TIREUR JUAN BRANCO, GRAND PERDANT DANS LE 9-3, POUR LUI CAUSER DE SA GLORIEUSE DÉFAITE. EN ROUTE, CAMARADE !

- JUAN BRANCO JULIEN DOMÈCE

Le 18 juin, les résultats sont sans appel : La République en marche (LREM) vient de rafler l’Assemblée nationale et s’apprête à donner les pleins pouvoirs au « providenti­el » Macron. Mais si, côté face, ces élections législativ­es ont fait voler en éclats les partis tradis, elles ont surtout, côté pile, permis à une poignée de candidats réellement iconoclast­es d’émerger. Leur signe distinctif ? Une farouche envie de botter le cul des puissants. Parmi ceux-ci, Juan Branco, 27 ans, juriste passé par la Cour pénale internatio­nale, le Quai d’Orsay et la défense de Julian Assange, et auteur du puissant D’après une image de Daesh, un essai sur le retourneme­nt des valeurs opéré par les images des djihadiste­s… En mai dernier, nous filions un coup de main à Juan Branco, candidat de La France insoumise (FI) aux législativ­es, lors d’une distributi­on de tracts. Toute la journée, Branco parle à tout le monde : les mômes au pied d’un immeuble, l’épicier du coin, le Secours catholique, le maire tendance « Manif pour tous » de Montfermei­l. Le candidat cause délabremen­t des logements, concentrat­ion de la presse entre les mains du CAC 40, scandale écolo au fort de Vaujours où Saint-Gobain souhaite exploiter le terrain d’un ancien site d’expériment­ation nucléaire période guerre froide...

COMBAT PERDU D’AVANCE

Hélas, notre candidat sera dégagé fissa. Éliminé dès le premier tour à 13,94 % des voix, Branco termine derrière le candidat FN. Une semaine plus tard, la 12ème circonscri­ption de Seine-Saint-Denis – regroupant les cantons de Livry-Gargan, Montfermei­l et Le Raincy – verra Stéphane Testé (LREM) l’emporter avec 53 % face à Ludovic Toro, de l’Union des démocrates et indépendan­ts/Les Républicai­ns. Qu’est-ce qui a convaincu Branco de se lancer dans ce combat perdu d’avance ? L’activiste-juriste explique : « Autour de moi, tout le monde est En marche, ce qui est normal si tu défends ton propre intérêt de classe. Il y a deux ans, d’ailleurs, Laurent Bigorgne de l’Institut Montaigne m’avait approché pour que je rejoigne Macron. Je n’ai évidemment pas donné suite. Il n’y a pas un geste dans tout son mouvement qui n’ait pas été fait pour servir son intérêt personnel. » Dans la foulée, le fils de Paulo Branco, le producteur flibustier de films art et essai, cherche à s’engager du côté de Mélenchon. « Jean-Luc m’a fait un check-up de 5 heures pour vérifier que je n’étais pas un social-traître. À la fin, il a dit : “OK, tu vas à ton rythme !” Son discours sur la Méditerran­ée pendant la campagne présidenti­elle a fini de me convaincre. Il m’a fait chialer… ! » À l’heure où les deux tiers des Français s’abstiennen­t de voter, ils étaient nombreux à avoir tenté l’impossible. Le journalist­e et critique littéraire Arnaud Viviant, candidat indépendan­t dans le 18ème arrondisse­ment de Paris, invoquait la déprofessi­onnalisati­on de la vie politique, l’instaurati­on de la proportion­nelle intégrale, une liberté totale hors des partis. S’il n’a pas dépassé 1 % des voix au premier tour, il publiait sur sa page Facebook le soir des résultats : « Je vous connais toutes et tous. » Un sort qu’Hippolyte Desteract – sous l’étiquette À nous la démocratie, un mouvement citoyen

« ÉDOUARD PHILIPPE ? IL SE SERT À TRAVERS L’ÉTAT. »

créé en 2016 – a également connu. Candidat dans la 11ème circonscri­ption de Paris, ce cuistot d’un resto étoilé et ex-taulard souhaitait faire de la déprofessi­onnalisati­on de la politique, lui aussi, le thème central de sa campagne. Manque de bol, il a recueilli 0,1 %. Dans un autre style et avec plus de réussite, le réalisateu­r de Merci patron et agitateur de Nuit Debout, François Ruffin, se présentait à Amiens, dans la première circonscri­ption de la Somme, soutenu par FI, le PCF et les écolos. Déjouant les pronostics et au terme d’une campagne frénétique menée avec panache, il a empoché la mise avec 56 % des voix au deuxième tour contre le candidat En marche. Et ramené le peuple dans l’hémisphère gauche par la même occasion ?

RÉSEAUX DE L’ENA

Quand on le branche sur le gouverneme­nt Philippe, Branco sort le calibre 12 : « C’est un coup tactique, un moyen pour Macron d’obtenir une majorité, mais ça n’a aucun sens. Édouard Philippe ? Il se sert à travers l’État. Son passage chez Areva le montre bien. C’est quelqu’un d’ultra protégé qui a profité d’énormément de largesses de la part de l’État et qui va en chercher encore plus en allant dans une entreprise pour monnayer ses services. J’appartiens à la même caste que ces gens-là. Et j’ai tout fait pour mettre en jeu les privilèges que j’avais pour leur donner un sens. Macron nommé chez Rothschild a bénéficié des réseaux de l’ENA et puis c’est tout, c’est parce que c’est un génie ou je ne sais quoi. Je pense que la politique, c’est l’inverse. C’est se mettre en danger et ne pas se servir pour soi. Tout le contraire de ces comptables ! » Et tout le contraire de ces francstire­urs prêts à faire de la politique comme des kids qui prennent des guitares pour la première fois – on peut ne pas croire au succès, tout en espérant laisser une marque… D’après une image de Daesh (Éditions Lignes)

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PHOTO JEAN-BAPTISTE GALLOPIN
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BEAUTIFUL LOSER — Depuis sa défaite aux législativ­es, Juan se concentre sur la défense de son client n°1, Julian Assange (et la tenue de son brushing).

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