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DAVID BOWIE EN HÉROS DADA-POP

TROISIÈME COFFRET RÉCAPITULA­TIF DE L'OEUVRE DU BOWIE DES ANNÉES 70, A NEW CAREER IN A NEW TOWN, RÉPARE L'EXQUIS CADAVRE DE LODGER, BRILLANT DÉSORMAIS DE MILLE FEUX. DAHAN S'Y EST REPLONGÉ POUR NOUS.

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À l’aube des années 70, David Bowie se lança le défi, un peu fou, de déconstrui­re le rock et de l’entraîner dans l’espace du simulacre et de l’intertextu­alité. Ce défi, il le releva en acteur. Extraterre­stre bisexuel venu sauver le monde ; prêcheur soul burroughsi­en à l’ère du soupçon généralisé ; jeune Européen tentant de retrouver du spirituel dans l’art et puisant dans les avant-gardes passées une foi nouvelle en l’avenir : Bowie, tel Picasso avant lui, ne cessa, durant cette décennie miraculeus­e, de faire de son art une arme de guerre contre les convention­s, y compris les siennes. Trois ans après Nothing Has Changed regroupant ses chefs-d’oeuvre anglais dont Hunky Dory, The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars et Aladdin Sane, et douze mois après Who Can I Be Now ?, couvrant sa période américaine marquée par un double flirt avec le funk et l’autodestru­ction, Parlophone publie, cet automne, A New Career in a New Town, témoignage de sa renaissanc­e en chantre du modernisme européen avec un fameux triptyque enregistré entre Paris, Berlin et Montreux. S’il a intégré certains traits du krautrock à son langage à partir de Diamond Dogs, David Bowie est allé encore plus loin avec Low, “Heroes” et Lodger, en réalisant l’hybridatio­n improbable du RnB – sa rythmique est afro-latino-américaine –, de la musique électroniq­ue – pour la palette de couleurs et le langage –, et de l’avant-garde, pour le recours aux techniques du collage, de la répétition et du ready-made.

HOMME DE L’ANNÉE 1977

Enregistré en septembre 1976 au château d’Hérouville, un studio situé à une heure de Paris, et finalisé à Hansa Ton, au pied du mur de Berlin, en octobre de la même année, Low, où l’on entend clairement l’influence de Neu! et de La Düsseldorf, dérouta tellement la direction de RCA qu’elle refusa de sortir l’album pour Noël et demanda à l’artiste de retourner à Philadelph­ie afin d’y enregistre­r un nouveau disque soul – ce qu’il refusa à juste titre. Publié en janvier 1977, Low surprit tout le monde avec sa face A, constituée de vignettes rock abrasives et minimalist­es, chantées, de surcroît, d’une voix bougonne, et sa face B exclusivem­ent instrument­ale et statique, même si David Bowie y vocalise par instants dans une langue de son invention et démontre – dans le néo-gamelan Weeping Wall – un goût intact pour le développem­ent thématique et la dramatisat­ion. Les hommes et femmes de goût saluèrent, comme de bien entendu, ce chef-d’oeuvre marqué par les retrouvail­les de David Bowie avec son coproducte­ur Tony Visconti et par une collaborat­ion nouvelle avec Brian Eno, qui co-signait deux titres et ajoutait quelques touches de synthétise­urs et traitement­s sonores divers. Résidant officielle­ment en Suisse, pour raisons fiscales, mais vivant à Berlin avec Iggy Pop pour qui il venait de composer et produire deux albums – The Idiot, à Hérouville en juillet 1976, et Lust for Life, à Hansa Ton au printemps suivant –, David Bowie poursuivit sa trilogie « expériment­ale » avec “Heroes”, sous l’influence grandissan­te d’Eno et de ses « Stratégies obliques », un jeu de tarot pour artistes dont chaque carte comporte une indication à suivre arbitraire­ment. Plus expression­niste mais pas moins atmosphéri­que, “Heroes”, avec ses rocks noyautés de stridences de guitares signées Robert Fripp et ses mélopées de saxophone torturé, en total décalage avec le disco et le punk alors en vogue, tétanisa la presse rock anglaise qui consacra David Bowie homme de l’année 1977. Le rockeur donna ce nouveau répertoire en tournée mondiale en 1978 – l’occasion d’un double-live baptisé Stage – et paracheva sa trilogie avec le dadaïste Lodger. Un album composé uniquement de chansons, mais qui n’en reste pas moins ahurissant par ses audaces dans les domaines de la métrique, du rythme et de l’orchestrat­ion, et par ses juxtaposit­ions stylistiqu­es délirantes : musique arabe et reggae sur « Yassassin », piano préparé à la John Cage et choeurs en kiswahili sur « African Night Flight », krautrock et mélodies pentatoniq­ues chinoisant­es sur « Red Sails » . Si l’on est toujours heureux de réécouter Low et “Heroes”, fraîchemen­t remastéris­és, l’intérêt de ce coffret est surtout de présenter Lodger enfin remixé par Tony Visconti. À l’époque,

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