Technikart

« LA RURALITÉ, JE CONNAIS ! »

POUR TECHNIKART, L'AVOCATE D'ENGRENAGES DÉLAISSE LES PRÉTOIRES ET NOUS LA JOUE « GENTLEWOMA­N FARMER ». L'OCCASION D'ÉVOQUER SON ENFANCE EN BOURGOGNE, LE CINÉMA FRANÇAIS… ET LES NOUVEAUX SNOBISMES DE NOS AMIS BOURUS.

- ENTRETIEN LAURENCE RÉMILA PHOTOS ÉDDY BRIÈRE

Vous êtes à l'antenne de la sixième saison d'Engrenages, série très urbaine, et de la dernière d'Un Village français, série on ne peut plus campagnard­e. Vous êtes une parfaite « bourgeoise-rurale », non ? Audrey Fleurot : Ah ah ! Pas tout à fait. Je connais bien la campagne, j'en viens : mes parents sont issus d'un petit village en Bourgogne où j'ai passé mes vacances pendant dix-sept ans de ma vie. La ruralité, le terroir… je connais tout ça par coeur. C'était super quand j'étais môme, mais à l'adolescenc­e je n'avais qu'une seule envie : me barrer de là et venir à Paris. Je vois bien l'engouement actuel pour tout ce qui est rustique, mais je m'en méfie un peu. Ma vision de la campagne n'est pas hyper sexy. Car ce sont aussi des agriculteu­rs qui ont du mal à exercer leur activité, qui se suicident… Des jeunes qui se font chier à mourir, qui se bourrent la gueule le weekend au disco-bal pour finalement se manger un arbre en bagnole…

C'est gai ! Mais vous voyez bien que la « valeur terroir » prend de l'ampleur en ce moment.

Bien sûr. Des amis comédiens sont partis vivre à une heure et demie de Paris, à la campagne. Ils ont leur potager et tout… Pour ma part, j'ai dû m'installer en banlieue, à Saint-Ouen, pour des raisons de famille recomposée. Au début, je l'ai super mal vécu. Mais maintenant, je surkiffe !

Et la vie de campagne ne vous fait pas du tout rêver ?

Je ne pense pas en être capable, tout simplement. J'ai besoin de me divertir, de pouvoir aller au théâtre tous les soirs de la semaine, etc. La campagne, j'aime bien l'idée, un peu moins la réalité. Mais à chaque fois que je m'y rends, je réalise qu'effectivem­ent ça m'avait manqué.

Vous y êtes donc régulièrem­ent.

Avec des amis, je fais de la randonnée en montagne pendant une semaine tous les ans. À chaque fois, je suis assez émerveillé­e. Mais après, j'ai besoin d'interactio­n. Je dois sortir 4 à 5 fois par semaine quand je suis à Paris…

Et dans votre appart de banlieue, vous avez bien un petit coin jardin, non ?

J'ai fait mettre de la verdure partout, j'ai mon érable du Japon… Et en discutant avec des amis qui, eux, ont leur potager, je me rends compte de la satisfacti­on primaire que tu dois ressentir en consommant tes propres légumes. Par exemple, je suis fan de Koh-Lanta et je me dis que si tu parviens à pêcher ton poisson, à faire toi-même du feu, tu dois quand même ressentir une joie totale ! (Rires.) Vous venez de tourner les tout derniers épisodes d'Un Village français, qui seront diffusés en novembre. Pas trop dur de quitter le personnage de Hortense Larcher, que vous jouez depuis huit ans ?

Ah si, c'est terrible ! En plus, là, elle part en vrille, ce qui nous permet de montrer les débuts de la psychiatri­e en France. Ils mettaient les femmes dans des baignoires couvertes, le corps complèteme­nt immergé dans l'eau chaude pendant des jours et des jours, pour faire soi-disant « tomber leur humeur ». J'imagine que ce genre de rôle anxiogène est surtout possible dans les séries et au théâtre, moins au cinéma. En ce moment, la créativité se place plutôt du côté de la télé, le cinéma ayant délaissé grand nombre de sujets repris par la télé. En plus, quand les gens font la démarche de sortir pour aller voir un film, alors qu'ils peuvent en voir à profusion sur le câble ou internet, ils veulent se détendre avant tout. Mais des personnage­s comme Hortense, ce sont bien évidemment des rôles beaucoup plus excitants à jouer. Après le carton d'Intouchabl­es, on a dû vous proposer toutes sortes de comédies populaires. Vous refusez beaucoup de projets ? Oui, je dis beaucoup non, même si j'adore la comédie. Je trouve que les personnage­s féminins servent trop souvent de faire-valoir aux mecs. C'est eux qui ont le rôle comique. La nénette est généraleme­nt psychorigi­de et casse-couilles, un frein pour les hommes, qui leur met la pression et fout la merde dans leurs amitiés. Ce schéma féminin est vachement daté, alors que dans les comédies américaine­s, les femmes peuvent avoir la part belle, elles ne sont pas uniquement là pour servir la soupe aux hommes ! Vous avez quand même joué dans Les

Gazelles (Camille Chamoux, 2014), une comédie féminisant­e. Je me reconnais davantage dans les personnage­s féminins de ce film que dans la plupart des autres comédies, avec des femmes d'arrière-plan qui existent sûrement – mais que je ne connais pas. Je préfère de loin jouer un rôle « beigbedere­sque » de femme forte dans L’Idéal (Frédéric Beigbeder, 2016). J'ai lu que vous comptiez lever le pied après Engrenages et Un Village français. C'est vrai ? Non, j'ai tourné huit épisodes avec Michael C. Hall ( Dexter) d'une série anglaise pour Netflix cet été. Le scénario est signé Harlan Coben, avec un ton décalé, ça se passe dans une « résidence sécurisée »… Donc vous ne levez pas le pied ! Face à un projet qui me botte, ça me parait inconcevab­le de dire « non, j'ai trop travaillé ». En plus, les tournages, c'est quelque chose d'addictif. C'est la possibilit­é d'être quelqu'un d'autre pour un temps. J'ai beaucoup de mal avec le fait de n'avoir qu'une seule vie, je ne comprends pas comment les gens font, je m'ennuie. Alors qu'être régulièrem­ent quelqu'un d'autre permet d'exprimer des parties de soi qui sont refoulées. Dans ce cadre, c'est même nécessaire de l'exploiter. Mais bon, en ce moment je me dis surtout : je vais avoir du mal à retrouver des séries qui me bottent autant qu'Engrenages et Un Village français. Et des rôles comiques ? Vous vous êtes fait repérer grâce à votre participat­ion à Kaamelott. Pour le moment, non. Alexandre Astier a senti que je pouvais jouer des rôles comiques quand il m'a vue au théâtre. À la base, j'ai commencé ce métier pour faire rire, j'étais plus dans la catégorie clown que tragédienn­e. Le stand-up, c'est la discipline qui me plaît le plus. D'être dans un bar devant des mecs qui boivent de la bière et d'arriver à les embarquer dans ton truc, c'est beaucoup plus dur que de jouer du Racine devant mille personnes. Là, t'es vraiment à poil. Pour moi, le standup, je le classe au-dessus de tout. Si tu es capable de faire ça, tu peux tout faire. Tourner Engrenages et Un Village français vous prenait une bonne moitié de l'année. Vous ne vous dites jamais « il faut absolument que je joue dans un film prochainem­ent pour continuer à faire partie des acteurs auxquels on pense » ? Absolument. Parfois tu te dis : « Ce film va peut-être faire deux millions d’entrées et m’apporter trois bons films après. » Sauf que le scénar te tombe des mains ! Je pense qu'on ne peut absolument pas prévoir le succès d'un film, et heureuseme­nt d'ailleurs. Tu peux aussi faire un film raté qui ne te rapporte rien et qui en plus ternit ton image. Tout ça, c'est compliqué… En plus, je n'ai pas une identité profession­nelle très claire. Je passe mon temps à faire des grands écarts entre le mainstream et le pointu, à me dire que je ne correspond­s pas vraiment à l'époque… Engrenages saison 6, en diffusion sur Canal+. Un Village français, seconde moitié de la saison 7, sur France 3 en novembre

Newspapers in French

Newspapers from France