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« ON CONSOMMERA TOUS BOURU ! »

DANS SON ESSAI LA RÉVOLTE DES PREMIERS DE LA CLASSE, LE HIPSTEROLO­GUE JEAN-LAURENT CASSELY SE PENCHE SUR CES CADRES QUI PLAQUENT TOUT POUR BOURU SUIVRE LEUR VRAIE VOCATION. DE ?

- JEAN-LAURENT CASSELY ENTRETIEN JACQUES TIBÉRI

L’

élite serait-elle en train d'abandonner le modèle yuppy hyperconne­cté, pour celui de l'artisan authentiqu­e érigé en étendard par cette nouvelle classe de BouRus ?

Jean-Laurent Cassely : Nous vivons indéniable­ment un retourneme­nt du modèle. Le néo-artisan, qui était considéré comme un marginal ou un pionnier, est en train de devenir une figure de réussite à laquelle s'identifier, car il renverse les codes de la globalisat­ion. D'abord, au lieu de manipuler des chiffres ou des concepts, il se sert de ses mains. Ensuite, ce n'est plus un cadre hypermobil­e qui vit entre deux fuseaux horaires, mais quelqu'un qui bosse à l'échelle d'un quartier urbain. Et, enfin, c'est quelqu'un qui connaît ses clients, contrairem­ent au cadre sup' qui passe son temps en réunions-projet et ne rencontre jamais le consommate­ur final. Pour l'instant, cette révolte ne concerne qu'une petite partie des diplômés du supérieur, c'est-à-dire une minorité de la population active, ceux qui allaient dans les start-up il y a 10 ans comme antidote à l'ennui dans les grands groupes et les cabinets de conseil. Mais un pan des classes moyennes diplômées est en train de suivre.

Un ex-banquier ou pubard qui ouvre une fromagerie en plein centre de Paris pour répondre à un « besoin de retour à la terre » est donc devenu quelque chose de parfaiteme­nt banal.

Le concept de « retour à la terre » est une formule toute faite qui ne correspond pas vraiment à ce qui est en train de se passer, car cette révolte se joue à territoire constant. En fait, il n'y a pas vraiment de retour à la terre, mais un retour sur terre, au concret et à l'authentici­té. Ça vaut aussi bien pour la manière de produire que dans le rapport, en face à face, avec le client. C'est une lutte « authentiqu­e vs factice » plutôt que « rural vs urbain ». Au final, ce sont des élites urbaines en quête de sens qui vendent des choses authentiqu­es à d'autres élites urbaines en quête de sens. On se demande parfois si l'ex-banquier est sincère ou s'il « joue » au fromager.

Un peu des deux. Dans une économie dématérial­isée où tout le monde travaille dans un open-space derrière un ordinateur, « jouer à la marchande » est devenu cool.

Par exemple, faire un Instagram en tablier de menuisier aura plus de succès qu'un selfie dans un open-space. Ou encore, pour enrichir leur CV, certains vont mettre qu'ils ont fait un CAP cuisine après HEC. Mais ce n'est pas nécessaire­ment un phénomène conscient, ni une marque de cynisme, simplement une tentative de retrouver un sens à sa vie profession­nelle. Même si, vu de l'extérieur, les néo-artisans ont tendance à en faire parfois beaucoup sur le storytelli­ng.

Que pensez-vous de la vision futuriste de La Carte et le territoire de Houellebec­q, qui décrit une France rurale repeuplée de citadins déclassés ?

Houellebec­q a raison, sauf sur un plan : cette révolution sera urbaine. Tous les Français ne deviendron­t pas des néo-artisans comme dans son roman. L'écrasante majorité d'entre eux continuero­nt à bosser dans les bureaux et seront la clientèle de ce nouveau marché de proximité et de l'authentici­té plus ou moins fabriquée… On ne vivra pas forcément une vie « BouRu », mais on consommera tous BouRu ! La Révolte des premiers de la classe (Arkhe, 2017)

LE NÉO-ARTISAN DEVIENT UNE FIGURE DE RÉUSSITE, CAR IL RENVERSE LES CODES DE LA GLOBALISAT­ION.

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