Technikart

DES PROPHÈTES POUR LA POP

- LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCA­ULD

La pop ne propose plus que du carton-pâte affriolant à l’extérieur et creux à l’intérieur ? Deux moines-soldats du synthé l’ancrent dans la mystique médiévale pour lui redonner de l’âme. RENART FRAGMENTS SÉQUENCÉS (CRACKI) ★★★☆ JOHN MAUS SCREEN MEMORIES (RIBBON/DOMINO) ★★★☆ À ceux qui pensent que c'était mieux avant, Rod Dreher propose d'emprunter les couloirs du temps.

Dans son excellent livre Comment être chrétien dans un monde qui ne l’est plus (Artège), l’essayiste américain aux faux airs de James Murphy nous invite à nous inspirer de saint Benoît et de sa fameuse règle rédigée dans les années 530. Son guide de survie au monde contempora­in est riche en conseils pratiques. Il manque néanmoins un chapitre sur la pop (au sens large), genre de moins en moins supportabl­e pour l’auditeur pointilleu­x. Comment ne pas devenir débile en écoutant les disques qui font l’actu ? Comment sortir de cet enfer climatisé conformist­e et radoteur ? Où trouver une musique moins terre-à-terre que les chansonnet­tes de Booba et le derrière de Nicki Minaj ? C’est notre quête quotidienn­e – et elle nous donne souvent l’air ahuri d’un des Monty Python dans Sacré Graal. Le jour où on reçoit par mail le premier album de Renart, présenté par son attaché de presse comme « un précieux grimoire sonique de techno médiévale futuriste », on se dit qu’on tient peut-être enfin une piste sérieuse pour le salut de nos oreilles. Renart a piqué son pseudo dans Le Roman de Renart. Il s’intéresse à l’histoire et glisse dans ses interviews d’alléchants fromages : « C’est vrai que le passé joue un rôle important dans mes recherches. J’utilise des modulateur­s électro-scolastiqu­es permettant de recréer les caractéris­tiques sonores de lieux anciens ou qui auraient pu exister. Nous avons par exemple un filtre carolingie­n nous permettant d’émuler l’acoustique d’une bâtisse du XIIe siècle. » Son album Fragments séquencés brasse ambient, techno et oraison ; oscille entre Derrick May, KLF et Chrétien de Troyes. Idéal pour ceux qui se rendent en rave en robe de bure. Si le jeune Renart est encore au séminaire, ça fait longtemps que John Maus a été ordonné grand prêtre de la pop exigeante. Six ans après le grandiose We Must Become the Pitiless Censors of Ourselves, il revient avec sa voix d’outre-tombe de crooner de confession­nal. Le docteur en philosophi­e politique est fidèle à lui-même : il fait un usage très parcimonie­ux des réseaux sociaux, construit ses synthés lui-même, vit discrèteme­nt près d’un champ de maïs dans un coin reculé du Minnesota et cite comme références Josquin des Prés ou Guillaume de Machaut, des compositeu­rs respective­ment morts en 1521 et 1377. À l’écart des modes passagères, l’ermite moyenâgeux continue de construire une oeuvre qui ne ressemble qu’à lui : des chansons sombres, illuminées par leurs mélodies, où l’on passe du purgatoire au paradis. Il y a encore plein de sommets dans Screen Memories, à commencer par « Over Phantom », où il se prend pour un Morrissey des sacristies, et surtout « Pets », où cet enfant de choeur de Jimmy Somerville de Bronski Beat serait saisi par une extase mystique. Là-dessus, retournons prier le bon Dieu et adressons-lui ce voeu : à quand une collaborat­ion entre Renart et Maus, avec orgue d’église et chant grégorien ?

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