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L’AUTEUR DU MOIS AMERICA GOT TALLENT

La révélation d’un auteur américain majeur, avec un premier roman stupéfiant : My Absolute Darling.

- BAPTISTE LIGER

GABRIEL TALLENT MY ABSOLUTE DARLING (Gallmeiste­r, 468 p., 40 ¤)

Maxime Le Forestier avait raison : on ne choisit pas sa famille. Pas plus qu'on ne choisit son prénom. Ainsi, elle, c'est Turtle. « Elle est grande, a quatorze ans, une carrure maigrichon­ne et dégingandé­e, des jambes et des bras longs, des hanches et des épaules larges mais délicates, un cou long et nerveux. Ses yeux sont l’atout physique le plus frappant, bleus et en amande sur son visage trop mince, ses pommettes hautes et saillantes, sa mâchoire aux larges dents tordues – un visage laid, elle le sait, et inhabituel. » Qu'importe l'esthétique : on tient avec cette adolescent­e l'une des plus belles héroïnes de la littératur­e américaine récente. À ce titre, il convient de remercier celui qui l'a imaginée, un certain Gabriel Tallent. Qui, dès son premier roman, réussit l'une de ces oeuvres que l'on n'oublie pas – on ne compte déjà plus les fans, aux États-Unis, de My Absolute Darling, édité aujourd'hui en France par l'éditeur Gallmeiste­r qui pronostiqu­e un succès à la manière du magnifique Sukkwan Island de David Vann. Ou, dans un autre genre, du Diable, tout le temps de Donald Ray Pollock.

UN LEWIS MACHINE & TOOL

Aujourd'hui âgé de trente ans, ce natif du Nouveau Mexique, désormais installé à Salt Lake City, a mis près de huit ans à parvenir à ces presque cinq cents pages stupéfiant­es, qui nous plongent dans le Nord de la Californie – un bled nommé Mendocino – en compagnie, donc, de la jeune Turtle. Ou Julia Alveston – son vrai nom. Ou Croquette, comme le dit son père, Martin, dont elle si proche. Trop proche, celui-ci n'hésitant pas à poser les mains, et même plus, sur le corps de sa fille. Il va sans dire que la jeune fille a, dès lors, des sentiments très paradoxaux envers son géniteur qui lui a transmis sa passion : les armes à feu. Ainsi Turtle aime-t-elle traîner dans la nature avec « son fusil à elle, un Lewis Machine & Tool avec une lunette Optics 5-25x44 ». Si ses résultats scolaires n'ont rien de glorieux, Croquette semble en revanche avoir une certaine aisance avec les instrument­s de mort – qu'ils soient à balles ou à lame –, son père se montrant un excellent instructeu­r. Mais la rencontre avec deux garçons, Jacob et Brett, bouleverse­ra quelque peu la vie et les desseins de cette fille à la fois trop jeune et déjà trop âgée…

CHAIR ÉCORCHÉE

Dès les premières pages de My Absolute Darling, le ton est donné. La langue sonne juste avec ses mots écorchés et ses maladresse­s qui « font vrai ». Gabriel Tallent nous plonge dans cet univers rugueux, où les sentiments sont aussi à vif que la chair écorchée. Sa chronique adolescent­e rappelle par instants le meilleur Stephen King, tendance Stand by Me – et il ne faut pas s'étonner que l'auteur de Shining se soit enthousias­mé pour cette histoire d'émancipati­on, de libération. « L’humanité s’autodétrui­t, écrit Tallent, elle chie dans l’eau de son bain, les humains chient lentement, dangereuse­ment et collective­ment sur le monde, juste parce qu’ils sont incapables de concevoir l’existence de ce monde. » À vous de découvrir celui de l'auteur et de son personnage – aux toilettes ou ailleurs…

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