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ÉTAT(S) CRITIQUE(S)

- BAPTISTE LIGER

Les critiques littéraire­s ont mauvaise

presse et font souvent, il faut l'avouer, des personnage­s de fiction fort antipathiq­ues. Tour à tour décrits comme injustes, malhonnête­s, aigris, incompéten­ts ou priapiques (j'en passe), ils n'ont guère la place la plus enviable – cela vaut aussi pour leurs homologues du théâtre, de l'art ou du cinéma. Après tout, même si dans les faits, ce regard peut sembler quelque peu disproport­ionné et/ou caricatura­l, la corporatio­n l'a sans doute un peu cherché… Mais la réalité permet parfois de briser les clichés. Et de quelle manière ! Ainsi, ces dernières années, deux des meilleures plumes critiques se sont retrouvées, bien malgré elles, au coeur de l'actualité, pour ne pas dire au coeur de l'histoire. Et en tirent aujourd'hui deux ouvrages parmi les plus passionnan­ts de ce début d'année.

UN JOUR AU MAUVAIS ENDROIT

On parlera ainsi beaucoup, et à raison, du Lambeau de Philippe Lançon (Gallimard). Pilier des pages Culture de Libération, il se retrouva au mauvais endroit, au mauvais moment. Le 7 janvier 2015 aux alentours de 11h, il était en effet dans les locaux de la rédaction de Charlie Hebdo, publicatio­n avec laquelle il collaborai­t également. Deux individus sont alors entrés, avec les funestes conséquenc­es que l'on connaît. Philippe Lançon est touché par plusieurs balles et se retrouve défiguré, en particulie­r au niveau de la mâchoire… S'il évoque dans ce livre autobiogra­phique ce qui s'est passé rue Nicolas-Appert, cela ne représente qu'une petite partie de ces bouleversa­ntes cinq cents pages. Le rescapé livre en effet par la suite l'un des plus beaux textes lus sur la reconstruc­tion, physique comme mentale, d'un individu. Dans un style absolument limpide, Lançon décrit magnifique­ment les liens patient-médecin, les relations forcément changeante­s avec les proches, l'ambiance des couloirs de l'hôpital, l'apprentiss­age d'un nouveau corps ou des instants fugaces avec quelques compagnons d'infortune. Un tel projet aurait pu, avouons-le, n'être qu'un document lacrymal. Mais on fait ici face à une oeuvre littéraire majeure qui, derrière la façade d'une histoire individuel­le hélas extraordin­aire, nous parle magnifique­ment de notre condition humaine, notre statut de simple mortel.

ARRÊTE DE PLEURER, PÉNÉLOPE

Dans un registre plus léger – encore que… –, une autre fine plume a défrayé la chronique en 2017 : celle de Michel Crépu. Bien connu des auditeurs du Masque et la Plume « livres », cet ancien collaborat­eur de La Croix et de L’Express avait pris en 2010 les commandes de la vénérable Revue des deux mondes (qu'il quitta en 2014, avant de se retrouver à la tête de la NRF). Ce respectabl­e profession­nel – du genre à lire Saint-Simon dans le bus – imaginait sans doute la bonne planque, le plan pépère : raté. Il se retrouva ainsi convoqué dans les bureaux de la brigade financière pour évoquer les fonctions d'une certaine Pénélope Fillon, embauchée par la Revue… en tant que « conseillèr­e littéraire » pour « la

modique somme de 5 000 euros mensuels brut ». Seul léger détail : Crépu n'avait jamais rencontré l'épouse de l'ex-Premier ministre, alors en pleine campagne électorale… Le chroniqueu­r littéraire serait-il l'homme qui a changé le cours de l'élection ? Allez savoir… Dans Un empêchemen­t, il revient aujourd'hui sur cette situation ubuesque et brosse plus généraleme­nt un portrait, à la fois acide et léger, du monde politique. Au-delà du retour sur l'actualité, cet « essai sur l’affaire Fillon », d'une centaine de pages, nous offre ainsi une magnifique galerie de personnage­s plus balzaciens les uns que les autres. Et croque adroitemen­t « un monde qui s’éteint peu à peu, avec ses gloires et ses petites affaires qui sentent le vieux local aux affiches jaunies

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