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« UN ENFANT, C’EST UNE RÉVOLUTION ! »

GUILLEMETT­E FAURE, JOURNALIST­E À M, LE MAGAZINE DU MONDE, SAIT DE QUOI ELLE PARLE : ELLE A SORTI L’ESSAI LE MEILLEUR POUR MON ENFANT : LA MÉTHODE DES PARENTS QUI NE LISENT PAS LES LIVRES D’ÉDUCATION. SES CONSEILS POUR LES DARON-NE-S !

- ENTRETIEN MARIE MERLET

L’injonction contempora­ine n’est plus « Fondez une famille, faites des bébés » mais plutôt « Vous n’avez plus d’idées, faites des bébés ! ». Pourquoi, selon vous ?

Guillemett­e Faure : Ça répond à une quête de sens jamais vraiment assouvie. Tout à coup, avec l’enfant, vous avez une raison de vous lever le matin, vous êtes catapulté-e responsabl­e de quelqu’un d’autre que vous. À un moment où tout semble partir de soi – on se demande si on a le job qui nous correspond, si on vit avec la personne qui nous correspond –, un enfant, ça vous fait partir des besoins de quelqu’un d’autre. C’est une révolution !

Mais les raisons qui poussent les vingtenair­es, trentenair­es et quadras à avoir un bébé sont-elles intrinsèqu­ement différente­s de celles il y a dix ans ?

Par rapport à hier ou avant-hier, pas vraiment. Mais par rapport à la génération pré-pilule, oui. Avec la possibilit­é de contrôler quand on ne voulait pas être enceinte, on a laissé entendre qu’il y aurait un moment où « les conditions sont parfaiteme­nt réunies, j’appuie sur le bouton, et boum »… Cette idée entretient une illusion de contrôle absurde : les conditions ne sont jamais parfaiteme­nt réunies et on ne contrôle rien.

Et en quoi l’omniprésen­ce des réseaux sociaux a-t-elle changé la donne ?

Aujourd’hui, il y a l’idée de parents parfaits, mais aussi celle d’une compét’ non avouée. C’est particuliè­rement net à l’approche de Noël où chacun, en postant ses photos de sapin de Noël, peut se faire croire qu’il fait enfin partie de la famille Ricoré dont il rêvait. Sur Instagram, on n’entend pas les engueulade­s, les enfants ne sont jamais sur leurs écrans et les poubelles ne sentent pas les vieilles couches. C’est un outil qui permet aux parents de radicalise­r leur pédagogie. Ils se sentent validés par les communauté­s auxquelles ils appartienn­ent et trouvent les moyens d’aller toujours plus loin dans cette direction, que ce soit de l’éducation bienveilla­nte ou du sansvaccin. C’est marrant de voir les parents se préoccuper par l’usage que font leurs gamins des réseaux sociaux, tout en postant en septembre les photos de ces mêmes gamins avec des cartables. Les réseaux sociaux, c’est un endroit où l’on observe crûment le fossé entre nos attitudes et nos comporteme­nts dès qu’il s’agit de nos enfants.

Quelle est « le » questionne­ment majeur des jeunes parents aujourd’hui ?

Ce qui définit l’époque pour les parents, c’est le fossé entre le discours public – « Peu importe, du moment qu’il soit heureux » – et le travail en coulisses pour que ce « peu importe » ne se produise pas : le choix des bonnes activités, des bons jouets, des bonnes écoles… Les parents deviennent ensuite très fiers de la réussite de leurs enfants sans admettre qu’ils ont tout fait pour l’orchestrer. Les Américains appellent cela l’« helicopter parenting », et ça ne produit pas des ados très heureux car on les prive de la fierté de ce qu’ils ont accompli d’eux-mêmes.

Le Meilleur pour mon enfant (Les Arènes, 2015)

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