Technikart

LA REINE JANELLE

Elle fut la protégée d’OutKast, puis la petite soeur de coeur de Prince. Maintenant que son mentor est mort, son règne est venu, et ne semble pas près de s’arrêter.

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JANELLE MONÁE DIRTY COMPUTER (BAD BOY/WARNER)

Début mars, pour fêter Dirty Computer, le nouvel album très attendu de Janelle Monáe, une soirée privée était organisée à La Maison Sage, près de la place de la République. Il ne fallait pas être aux pièces. Au comptoir, nos semblables ne commandaie­nt que des cocktails sophistiqu­és. Les barmen, impeccable­ment tatoués et coiffés, mettaient dix minutes à préparer chaque verre. On regrettait le bon vieux temps de la bière, des vins et du champagne, plus rapides à servir. Notre impatience n’était pas liée qu’à la soif : la reine Janelle devait débarquer d’une minute à l’autre. Quand elle est enfin arrivée, flanquée de six danseuses à faire passer Beyoncé pour Arlette Laguiller, l’ivresse nous est montée d’un coup à la tête. Avionsnous déjà eu affaire à un tel charisme ? La dernière fois qu’on avait ressenti un choc comparable, c’était à l’un de ses concerts, à La Cigale, le 9 décembre 2010. Là, à La Maison Sage, il s’agissait juste d’un showcase en playback. Et pourtant. Les morceaux inédits qui passaient dans les baffles trouaient les tympans, sa présence irradiait – une grande dame dans un si petit bout de femme. Miss Monáe et nous, c’est une passion fixe qui dure depuis plus de dix ans. En 2006, elle file un coup de main à ses amis d’OutKast sur Idlewild. La jeune fille est alors dans le vent, mais prend le temps de peaufiner ses chansons et son image. Elle attend 2010 pour sortir son premier album, l’époustoufl­ant The ArchAndroi­d : dix-huit morceaux d’une ambition folle, une soul mélancoliq­ue et futuriste où elle s’inspire de Fritz Lang, reprend Debussy, chante comme personne. Qui est cette exception qui vient d’ailleurs ? À cette époque, elle est toujours habillée d’un smoking, surclasse la concurrenc­e à tous les niveaux – la suite ne décevra pas. En 2013, elle revient avec The Electric Lady, encore un disque au-dessus du lot, où elle fait des clins d’oeil à Jimi Hendrix et Stevie Wonder, se situe surtout comme l’héritière surdouée de son grand ami Prince, présent sur un titre. Décidément, en voilà une qui défrise votre afro, même quand vous êtes un blanc-bec qui perd ses cheveux. Avec Dirty Computer, elle décolle encore plus haut, si c’était possible. Qu’elle tâte du funk, du gospel ou de la pop, elle met toujours en plein dans le mille. Mélodies, paroles, production, voix, on ne cesse de se pincer. Nouveauté : Janelle est ici moins dans la science-fiction, plus dans le présent. Et miracle, elle arrive à faire un album qui parle de la société sans se prendre les pieds dans le tapis de la démagogie sentencieu­se. Quand elle défend brillammen­t les droits des femmes, on est loin des pénibles chanteuses de variété à la Caroline de Haas. Et si Dirty Computer était une mise à jour du What’s Going On de Marvin Gaye ? On ne voit pas qui réussira à la dépasser cette année. Rappelons qu’il y a trois ans, Monáe avait repris le « Heroes » de Bowie, dont elle pourrait être la réincarnat­ion en jeune femme noire – elle est notre héroïne, et pas que pour un jour. LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCA­ULD

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