« LES PLEURS NE DURAIENT MÊME PAS UNE MINUTE, JUSTE LE TEMPS DE PRENDRE LES PHOTOS... »
GRANDE PHOTOGRAPHE POUR LA PRESSE MAG ( TIME, WIRED, ENTERTAINMENT WEEKLY…), JILL GREENBERG REVIENT SUR « END TIMES », LA SÉRIE CULTE QUI LA FAIT CONNAÎTRE. PRÉPAREZ VOS MOUCHOIRS !
Àvos débuts dans les années 90, vous étiez surnommée « The Manipulator ». Pourquoi ?
Jill Greenberg : Dès mes débuts, j’ai toujours retouché ou manipulé mes images, de toutes les manières possibles : expositions multiples, solarisation, cyanotypes, dessiner ou peindre sur les sujets, sur les impressions... Cette série « End Times » montrant des enfants en larmes a été
vivement critiquée au moment de sa première diffusion en 2005. Vous comprenez qu’on puisse vouloir en savoir plus sur son making-of en la découvrant ?
C’est une des raisons pour lesquelles la photographie ne m’intéresse plus, vous savez. Je crée des images pour qu’elles parlent d’elles-mêmes, pour qu’elles soient vues, et que ceux qui les découvrent ressentent quelque chose. Voire même qu’elles aient du sens pour moi, qui sait. Et elles peuvent avoir un sens différent pour les autres – tant qu’ils ne m’attaquent pas. C’est la raison pour laquelle je me suis tournée vers la peinture : on ne me demande pas quel pinceau j’utilise, etc. Pour moi, la photographie, c’est simplement un moyen plus simple pour illustrer les images que j’aies en tête. Comment est née cette série « End Times » ?
J’ai toujours pris énormément de photos, je prenais les enfants des autres en photo bien avant d’avoir les miens... Et mes préférées étaient celles où ils pleuraient. Je m’étais servi d’une photo de mon cousin qui chiale pour en faire un poster pour une soirée DJ quand j’étais étudiante. J’étais à son mariage à Toronto le mois dernier… Tout ça a commencé
bien longtemps !
Et pourquoi cette série a-t-elle eu un tel impact, selon vous ?
L’émotion a quelque chose d’intense et d’honnête dès qu’il s’agit d’une photo d’enfant. En plus, ce style de photo – des portraits extrêmement soignés – de gamins marquait les gens… Comment se passaient les séances ?
Tout était planifié – les pleurs ne duraient même pas une minute, juste le temps de prendre les photos. Les mamans réclamaient les sucettes à leurs enfants, et ils éclataient immédiatement en sanglots pour essayer de nous manipuler, pour qu’on leur les rende. Moi j’étais à deux mètres, à attendre calmement pour pouvoir capter leurs réactions. Je ne supporte pas qu’on dise que j’arrachais des sucettes aux petits ! Vos enfants ont-ils participé à la série ?
Oui, les deux. Ils en rigolent aujourd’hui, ils s’en fichent complètement. Toutes les amies dont j’ai photographié les enfants en sont contentes – même si celle de l’enfant noir a été énormément volée et détournée par des activistes voulant en faire des images politiques pour Black Lives Matter etc. Ils ne semblent pas se rendre compte que sur chaque photo, il
« JE NE SUPPORTE PAS QU’ON DISE QUE J’ARRACHAIS DES SUCETTES AUX PETITS ! »
y a un être humain qui peut mal le vivre. Par exemple, un artiste noir avait dessiné un noeud coulant autour du cou du petit garçon et ça a été énormément partagé sur Instagram. Du coup, j’ai passé trois jours sur Instagram, à demander aux gens de l’enlever… Et eux n’acceptaient pas qu’une blanche leur demande d’enlever la photo, il fallait que je les mette en relation avec les parents du petit. Le bordel ! « End Times » a été en partie inspirée par George W. Bush.
Bush était très copain avec les religieux qui prêchent la Fin des temps. Il semblait vraiment content de saccager l’environnement – comme Trump aujourd’hui d’ailleurs. Il se réjouissait presque quand une catastrophe naturelle se produisait car pour lui, ces signes annonçaient que la Fin des temps était imminente. Vous savez ce que cela signifie ? Ces idiots sont persuadés que certains iront au paradis tandis que d’autres vont simplement mourir. Et Bush était copain avec eux. Je venais juste d’avoir un bébé et je n’étais pas du tout satisfaite de voir la planète saccagée de la sorte. Les enfants pleuraient comme s’ils savaient ce qui les attendaient. La première photo s’appelait « Quatre ans de plus »,
comme Bush venait de se faire réélire… Quels sont vos projets actuels ?
Je prépare un roman-photos autour d’un gang de justicières féministes, je l’avais imaginé en 1990 et j’ai enfin fait les photos l’année dernière…
« L’ÉMOTION A QUELQUE CHOSE D’INTENSE ET D’HONNÊTE DÈS QU’IL S’AGIT D’UNE PHOTO D’ENFANT. »