« UN CONTRE-POUVOIR À CELUI DU BLANC DOMINANT »
POUR LA JOURNALISTE MODE ALICE PFEIFFER ( INROCKS, ANTIDOTE...), L'INTÉRÊT DU LUXE POUR LES CODES DE BANLIEUE SERAIT LE RÉSULTAT D'UN ÉNIÈME PROCESSUS DE COLONISATION. RIEN QUE ÇA ?
Pourquoi le luxe s'approprie-t-il la culture de banlieue ?
Alice Pfeiffer :
À l'heure d'un politiquement correct autour du racisme, de notions d'appropriations culturelles grandissantes et de peur du « bad buzz » sur internet, le luxe – qui fonctionne sur un processus de safari, de relecture et de fétichisation – cherche actuellement des nouvelles zones de récupération sans être taxé de racisme. Et à quoi ressemble le fantasme du banlieusard fashion aujourd'hui ?
Le cliché du banlieusard, c'est PNL, ou les personnages du film Le monde est à toi de Romain Gavras. Il ne s'agit plus de citations de l'Amérique (raciste, en crise et plus ridicule que jamais depuis Trump), mais traduit plutôt l'envie d'un contre-pouvoir à celui du blanc dominant. Aux États-Unis, le rappeur fashionista incarne cette image de réussite et
d'ascension sociale. Alors qu'en France, on a encore du mal à associer rap et luxe. Pourquoi ?
Les marques s'allient à des rappeurs américains ou anglais, mais rarement à des français. Car ce que l'Amérique appelle « self-made man », ou « working class hero » en Angleterre, est traduit par « parvenu » ou « arriviste » en France. En Amérique, la méritocratie est un mythe actif, puissant, valorisé, c'est le récit fondateur du pays. En France, à descendance aristocratique, tout rappelle qu'une qualité avec laquelle on n'est pas née n'a pas de valeur – jusqu'au mythe parisien du « effortless », de tout geste de travail sur soi trop marqué, d'envie de progression qui est immédiatement dévalorisé, type « nouveau riche ». Sauf pour quelques exceptions de la banlieue chic !