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ASAP ROCKY

QUITTE À DÉCEVOIR LEURS FANS, LES RAPPEURS SE METTENT, EUX AUSSI, AUX MÉTHODES MARKETING DE SUPREME. CAS D’ÉCOLE AVEC A$AP ROCKY, DE PASSAGE À PARIS POUR VENDRE QUELQUES PIÈCES DE SA MARQUE VLONE.

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New York, le 20 mai dernier. Les élégants locaux de la maison Sotheby’s accueillen­t le rappeur A$AP Rocky pour une performanc­e artistique. Les invités déambulent, flûtes en main. Ces derniers sont occupés à manipuler de façon apparemmen­t experte des mannequins semblables à ceux utilisés pour les crash tests. Au centre de la vaste pièce, une bâche recouvre une installati­on cubique qui intrigue les visiteurs. Le bruit strident d’une alarme rompt l’ambiance feutrée. Le rideau se lève. Le rappeur apparaît, recroquevi­llé dans un bac rempli d’eau. La performanc­e peut commencer.

Pour ce happening intitulé « Lab Rat » (rat de laboratoir­e), le rappeur – en combi’ de travail orange signée Calvin Klein – répond aux questions, à travers son hygiaphone, de deux scientifiq­ues en combinaiso­ns blanches qui se trouvent sur place. Pendant cette perf’ montée pour annoncer la sortie de son troisième album,

Testing, un des scientifiq­ues demande au fashionist­a d’ouvrir le sac jaune à ses côtés. Il en sort une paire de chaussures noires, le fruit de plusieurs semaines de collaborat­ion entre A$AP Rocky et la marque de sport américaine Under Armour. Elles s’inspirent très directemen­t du modèle Osiris D3, chaussure de skate mythique du début des années 2000. « What I see ?

Some jiggy shit » (« Ce que je vois ? Un truc vraiment cool »)...

TICKET PERDANT

Un mois plus tard, j’apprends que le rappeur de 29 ans est à Paris pour la Men’s Fashion Week. Pour marquer le coup, il a ouvert, rue Vertbois dans le Marais, un pop-up store de sa marque Vlone (montée par le rappeur Young Lord, rejoint par A$AP, son acolyte A$AP Bari et Edison Chen de la marque de streetwear CLOT). La façade est striée des fameuses bandes en plastique jaune qu’on retrouve sur les scènes de crimes US. Sauf que le « Do not cross » est remplacé cette fois par « VLONE TESTING ». Ouf... Mais lors de ma première visite, le magasin est fermé.

Le lendemain, je tombe sur l’Insta d’A$AP. Il y a posté une vidéo annonçant qu’on peut gagner des paires de chaussures à son pop-up

store, mais qu’il est conseillé de venir très tôt. Ni une ni deux, je me rends sur la scène de crime. De nombreux teenagers habillés en complets Suprême, Off-white et faux Gucci y attendent patiemment. On a bien reçu le même message. Je remarque cependant que j’ai gardé mon short et ma bonne vieille paire de Nike « LeBron Zoom Soldier VII ». Dans ce genre d’événement, c’est quitte ou double… Je me faufile dans la queue sans trop savoir pourquoi. Faire comme tout le monde ? Derrière moi j’entends un type dire à son pote « T’es sûr qu’il va venir ? » « Mais ouais t’inquiète ! Par contre si il nous la met à l’envers je retourne son shop. » « Ouais enfin si tu m’as amené ici pour rien, c’est toi que je retourne ». Ambiance bonnenfant donc.

NUMÉRO 44

Après une bonne heure d’attente, un premier van débarque. Tous les regards sont rivés sur les vitres teintées du carrosse. Petite déception : ce n’est pas A$AP Rocky qui en sort mais le rappeur Skepta, roi de la grime en Angleterre, que l’on retrouve en featuring sur l’album. Il s’engouffre dans le shop. Un agent de sécurité passe sur le côté et nous distribue des tickets numérotés. J’ai le numéro 44. Un second van arrive. Cette fois c’est la bonne : le tant attendu Rocky surgit. Mouvement de foule. Je m’accroche à mon ticket. Il se poste devant le shop et pioche dans un sachet. « Number eleven ! number eleven ? » pas de réponse, il en prend un autre « number fifty-four ? ». Le premier chanceux s’approche des vigiles pour prouver qu’il a bien ce numéro. Il tape le check avec Rocky et entre pour prendre sa paire de chaussures, celles présentées pendant la performanc­e. D’autres numéros seront cités, mais pas le numéro 44. Je repars bredouille.

En repartant les mains vides (mais le portefeuil­le plein), je me mets à gamberger : que dire de la condition sine qua non pour pouvoir accéder au lieu ? Avoir sur soi au moins 150 euros, prix minimum pour un t-shirt Vlone (le vigile est là pour vérifier), afin d’être sûr que la clientèle est là pour consommer. Drôle de manière en tout cas, que celle qui consiste à faire miroiter cadeaux de luxe, distribués par cet enfant de Harlem, sous couvert de stratégie commercial­e des plus agressives. Ce jeu de dupes, version chic de la loterie de kermesse, me fait jeter un oeil neuf et attendri sur mes vieilles baskets...

« SI TU M’AS AMENÉ ICI POUR RIEN, C‘EST TOI QUE JE RETOURNE. » – UN FAN DE VLONE

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