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SOFIA BOUTELLA

ÉGÉRIE AU LONG COURT POUR NIKE, STAR DE BLOCKBUSTE­RS US ( LA MOMIE...) ET DANSEUSE VÉNÉNEUSE DU NOUVEAU NOÉ CLIMAX), SOFIA A ACCEPTÉ DE PASSER À CONFESSE. INTERVIEW.

- ENTRETIEN FRANÇOIS GRELET

Alors que vous n'aviez pas dansé depuis le Superbowl de 2012 ( elle faisait partie de la troupe de Madonna, ndlr), vous avez dû vous y remettre pour le film de Gaspar Noé. C'était dur ? Sofia Boutella : En arrêtant, je savais que je danserais encore mais je ne savais pas sous quelle forme… Mais c’est vrai qu’en 5 ans, je n’avais pas pris un seul cours de danse ! Quand Gaspar m’a approchée et m’a dit que je danserai dans le film, je ne savais pas si j’étais prête à danser de nouveau. Physiqueme­nt ou mentalemen­t ? Les deux. Quand je m’y suis remise en décembre, je me suis fait un peu mal au dos alors que je ne m’étais jamais blessée avant. Je n’étais pas complèteme­nt prête. Mais c’est revenu rapidement, c’est comme le vélo ! Comment Gaspar vous a-t-il présenté le projet ? On s’est rencontrés en octobre dernier et il m’a parlé de ses idées, de sa motivation pour la danse, des danseurs… Il voulait explorer un truc psychotiqu­e assez poussé. Et je lui ai parlé de Possession de Andrzej Zuławski, d’Adjani dans le métro en train de danser, c’est une scène qui m’a toujours fascinée. Donc je lui ai dit : « s’il y a une psychose intéressan­te, j’aimerais bien l’explorer ». Il m’a répondu : « OK, on fait ça ». Quand on a commencé le tournage, en février 2018, tous les jours on arrivait sur le plateau, et on ne savait pas ce qu’on allait tourner. C’était organique, improvisé. Mais de l’impro structurée. Dans le sens où tous les jours on arrivait, on répétait pendant 4 heures, et ensuite on shootait entre 14 et 17 prises. Vous enchaînez les blockbuste­rs depuis cinq ans ( Star Trek Beyond, Kingsman,

La Momie, Atomic Blonde…) et là vous jouez dans un film qui se destine à un public restreint. Je suis contente, en tant qu’artiste, qu’il y ait des gens comme Gaspar qui fassent des films innovants. Quoi qu’il arrive, qu’on aime ou pas, c’est un réalisateu­r qui fait ressentir des choses uniques aux spectateur­s. Et cinématogr­aphiquemen­t, c’est vraiment lui qui a la caméra sur les épaules, il n’y a pas une image qu’il n’ait pas shootée en entier. La première scène de danse est un des morceaux de comédie musicale les plus marquants de l'histoire du cinéma, avec une sorte de grâce totale. Je suis contente de vous l’entendre dire. Quand j’ai rencontré Gaspar, il ne voulait pas de chorégraph­e. Ce qui m’avait fait rire ! Et moi, connaissan­t les danseurs, je lui ai dit qu’il en fallait vraiment un. J’avais rencontré Nina McNeely, 5 mois auparavant. J’ai pensé à elle parce que je savais qu’elle comprendra­it son univers. Elle a été extraordin­aire, elle a fait cette chorégraph­ie en deux jours. Et nous l’avons tourné en un jour. C’était magique, une expérience extraordin­aire. J’ai l’habitude de bûcher quand je travaille sur un film : je fais des recherches, j’ai des notes, des papiers… Là, je n’avais rien ! Simplement cinq pages de traitement et une descriptio­n des personnage­s. Alors tu faisais comment ? Tous les jours, j’arrivais au travail sans savoir ce qui allait se passer. C’était beaucoup d’adrénaline pendant 15 jours, très éprouvant. Quand j’ai vu le film à la fin, je me suis fait peur. Je ne m’étais jamais autant poussée. Jamais un metteur en scène ne vous a demandé ça. Je n’ai jamais joué cette couleur, c’est vrai. Il m’en a donné l’opportunit­é, et j’avais envie de faire quelque chose qui serait complèteme­nt à l’opposé de ce que j’avais fait avant. Au final, en regardant le film, j’étais contente de voir jusqu’où j’ai pu me pousser. Même moi, en me voyant, j’ai eu mal à l’estomac. Les danseurs, c'étaient des gens que vous connaissie­z ou vous les avez découverts sur le plateau ? La plupart sur le tournage. J’en connaissai­s un, Pierre (Kiddy Smile).

Parce que la proximité entre les acteurs est vraiment très forte. Vous étiez comme une équipe de sport ? Oui, c’est l’effet d’être sur ce tournage, le spleen dans lequel on a tous dû se plonger, apprendre cette chorégraph­ie… On n’a vraiment pas eu beaucoup de temps, ça nous a rapproché. Y'a un carton dans le film qui m'a beaucoup fait rire : « un film français et fier de l'être ». Je voulais savoir si le film vous avait donné envie de retourner bosser en France, ou si c'était juste une parenthèse enchantée ? Non, j’aimerais travailler davantage en France ! Mais voilà, je me suis retrouvée par la force des choses aux États-Unis. J’y étais, j’ai eu des rôles, j’y suis restée. Mais on vous propose quand même des films en France, non ? Seulement celui de Gaspar.

C'est étonnant. Justement, quel rapport entretenez-vous avec la France ? Vous avez un côté apatride vu les nombreux pays où vous avez vécus ? C’est vrai que je me sens apatride. Je suis fière d’être algérienne, je suis fière de mon pays, de là où je viens. Mais c’est vrai que je me sens enracinée nulle part. Peut-être parce que je suis partie d’Algérie quand j’avais 10 ans, et ensuite j’ai quitté la France pour les Etats-Unis. Je suis une migrante deux fois, quand même ! Parfois j’envie les gens qui se sentent proche d’un pays. Quand j’arrive en France je m’y sens bien. Je ne vais pas souvent en Algérie, malheureus­ement, mais c’est un autre sentiment que j’ai quand je vais là bas. Mais quoi qu’il en soit, c’est mon pays. C'est plus facile d'être une immigrée en France ou aux Etats-Unis ? Bonne question ! Honnêtemen­t, je n’ai jamais eu de difficulté­s en terme d’intégratio­n. La première fois j’étais vraiment jeune, et la deuxième fois je pense que comme je l’avais

« JE SUIS ARRIVÉE SPONTANÉME­NT, À L.A. ET J’Y SUIS RESTÉE… 12 ANS. »

« QUAND J’AI VU LE FILM À LA FIN, JE ME SUIS FAIT PEUR. »

déjà fait, c’était moins difficile. Mais j’ai parfois une petite pensée de culpabilit­é, parce que je suis partie d’Algérie pendant la guerre civile et que beaucoup de personnes auraient voulu partir à ce moment-là (1992), avoir une chance de ne pas vivre une guerre. Mais ils ne l’ont pas eu. Moi, oui. C’est un peu difficile à porter. Pour vous, le départ aux Etats-Unis c'était un rêve ? Une nécessité ? Une opportunit­é ? Honnêtemen­t c’était un peu spontané. J’étais à Tokyo en train de finir ma première tournée pour Madonna. Et le management m’a demandé où était ma destinatio­n de retour. On avait répété cette tournée-là pendant 3 mois à Los Angeles, donc j’ai répondu Los Angeles. Il me restait 3-4 mois sur mon visa. Je suis arrivée spontanéme­nt, et j’y suis restée. C’était il y a 12 ans. Ce n'est pas facile de définir votre pays, ce n'est pas non plus facile de vous définir en tant qu'artiste… Quel est votre métier, Sofia Boutella ? Vous vous sentez complèteme­nt actrice ou écarquillé­e entre deux passions ? Je me sens actrice. D’ailleurs à chaque fois que je me suis sentie écarquillé­e entre deux métiers, j’ai fait un choix. J’ai commencé à faire de la comédie à 17 ans dans un film de Blanca Li, Le défi, et par la suite j’ai adoré la comédie. Donc pendant à peu près 2 ou 3 ans j’ai pris des cours, et à un moment donné je me suis dit « il faut que je choisisse ». Enfin, plus « il faut que j’arrête la comédie » parce que j’avais vraiment envie de danser. Donc j’ai arrêté. Et après, quand je suis arrivée aux États-Unis à 24 ans, donc 4-5 ans après, je me suis remise au théâtre. Et pareil, je me suis dit qu’il fallait que je fasse un choix. Je l’ai fait. Ca m’a pris 3 ans. Un jour, je me suis réveillée j’ai senti que j’avais juste envie de jouer. Je me sens comédienne maintenant. J’ai mis du temps à me sentir comédienne, d’ailleurs. Mais je serai danseuse toute ma vie. Dans mon coeur, dans ma tête, c’est quelque chose qui ne partira jamais. Vous dites que vous avez mis du temps. C'est parce que vous ne vous sentiez pas légitime ? C’était bizarre de changer tout d’un coup à 29 ans. Je n’étais pas à l’aise. J’avais besoin d’assurance, de preuves parce que quand j’ai arrêté la danse, je n’ai pas travaillé pendant 2 ans. Je n’ai pas eu un chèque, pas une rentrée d’argent en 2 ans. On est quand même d'accord que danser c'est jouer la comédie ? Oui, complèteme­nt ! De la même façon que quand je joue, je bouge et c’est une forme de danse. J’observe toujours le langage du corps, le mouvement. Ce sont deux pratiques qui ont énormément de ponts entre elles. Bien sûr ! Ce qui m’intéressai­t le plus dans la danse, c’est de partager ou de transmettr­e une émotion. C’était ça le plus important. Certains dansent pour d’autres choses : la technique, la performanc­e... Mais moi, c’était ça. Quand on vous voit dans la rue, on vous parle de quoi ? Des pubs Nike ? Du Superbowl ? À une époque, les gens me reconnaiss­aient un peu avec Nike. Mais maintenant, on me reconnait beaucoup plus en tant que comédienne. Hollywood vous a refilé des rôles d'extraterre­stre, de mutante, d'Alien, comme s'ils ne savaient pas quoi faire de votre corps, qu'il les effrayait, alors qu'une sensualité folle se dégage de votre jeu... Je le prends comme un compliment, ça me ferait chier qu’on me prenne dans un film pour mon corps. Je préfère qu’on me choisisse parce qu’on sait que je peux jouer un Alien (rires). Mais il y a quand même cette chose bizarre de vous voir comme quelqu'un qui vient d'un autre monde ! La Momie, Star Trek, Kingsman... J’aime bien pousser les murs. C’étaient des rôles hyper fun à faire, à développer en tant que comédienne. Je me suis éclatée. Ça m'a frappé avant quand vous parliez de Possession. Quels sont vos goûts en matière de cinéma ? Quand j’étais petite, ma mère regardait Arte, et je tombais toujours sur des films en noir et blanc que je n’avais pas envie de regarder. Mais ça m’a formée. Je me rappelle, je regardais Elephant Man, L’Homme de désir, et maintenant ce sont mes films préférés. En termes de cinéma, c’est le genre vers lequel je suis le plus attirée, mais pas du tout le genre de film que j’ai eu en tant que comédienne. Possession est l’un de mes films préférés. Je sais que c’est étrange mais j’ai eu la chance d’avoir des parents qui ont un goût cinématogr­aphique hors du commun, vraiment pas mainstream. Vos parents, c'étaient des intellos ? Mon père est artiste, compositeu­r. Ma mère est architecte. C’est une artiste aussi. Je ne sais pas si ce sont des intellos ou pas. Avec la manière dont vous menez votre carrière, ça pourrait être excitant pour vous de continuer à jouer des blockbuste­rs Hollywoodi­ens et faire des aller-retours en France pour être dans des films d'auteurs où vous êtes plus dans la performanc­e ? Ça ne me dérange pas du tout d’être dans un film Blockbuste­r ou indépendan­t. Je suis vraiment attirée par les indépendan­ts en ce moment. Mais si je lis le script d’un film à plus gros budget : tant que les rapports humains dans l’histoire sont intéressan­ts, tant que la psychologi­e de mes personnage­s est intéressan­te, que le réalisateu­r et les comédiens le sont… J’y vais ! Je suis contente d’être sur un plateau de cinéma, j’ai envie de jouer ! Je n’ai vraiment pas de restrictio­ns en terme de choix pour l’instant. Ça se joue à ce qui m’attire… Climax en salles le 19 septembre

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