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« L’ÉCOLE DES CADAVRES »

QUE TRINQUER EN DÉVORANT LE POLAR AMPHÉTAMIN­É DE L'ÉNIGMATIQU­E ÉCRIVAIN ANGLO-SAXON PETER LOUGHRAN ? POUR LES VACANCIERS DU DÉBUT SEPTEMBRE (ON EN CONNAÎT), EN SUS DE CE LIVRE, GLISSONS DANS LE SAC DE PLAGE UN GRAND ROSÉ DE MOURVÈDRE NÉ À BANDOL, PLUS SÛR

- PAR JEAN-CHARLES CHAPUZET PHOTO NIVAN

Il faut un grand sac de plage pour mettre un cadavre. En le découpant de préférence pour éviter de se débattre avec une masse inerte toutefois récalcitra­nte. C’est une solution comme une autre pour dissimuler un corps. Ce ne fut pas celle choisie par l’antihéros et narrateur de Peter Loughran. « Un cadavre, c’est même incroyable­ment dif f icile à déplacer, si vous n’avez personne pour vous aider. Jacqui, c’était une f ille du genre costaud, et elle était

enceinte de cinq mois », explique-t-il. C’est d’abord une histoire d’amour envers cette fille qui ne porte pas de culotte et qui le trompe à la chaîne. Même enceinte, c’est plus fort qu’elle, bref une salope de collection. Lui, il est chauffeur de taxi et habite dans un manoir isolé. « Toutes les femmes auxquelles je m’attache, je les traite décemment et je leur manifeste ma reconnaiss­ance », dit-il. Et puis, à ses yeux, « Jacqui était aussi émouvante qu’un enfant

qui se noie ». Romantique, psychopath­e, solitaire, suicidaire, il va commettre l’irréversib­le. C’était elle ou lui. QUAND ON AIME…

Il reste un cadavre. Enfin deux si on compte le foetus. « Ça pèse plus lourd qu’un sac de ciment, et c’est plus dif f icile à dissimuler qu’une érection dans un slip de bain », souligne le romantique. C’est coton d’autant qu’il l’aime : « Une fois Jacqui morte, j’ai ôté avec du dissolvant tout son vernis rouge vif, et je l’ai remplacé par

un autre, d’un rose très pâle, beaucoup plus joli ». Ce sera aussi un rosé très pâle, légèrement tuilé, une bombe de mourvèdre et de cinsault de chez Pibarnon, qui accompagne­ra la lecture de ce texte génial sorti en 1984. Les belles éditions Tusitala lui donnent une seconde vie avec la traduction de Jean- Paul Gratias. On connaissai­t Peter Loughran pour son retentissa­nt et déjà amphétamin­é Londres

Express, paru à la Série Noire en 1967. On ne sait pas grand chose de l’auteur, même pas s’il est mort aujourd’hui. Le surdoué du polar Jean- Patrick Manchette le traitait de « dingue ». C’est déjà ça. …ON NE COMPTE PAS.

Quand la quille de Pibarnon est vide, il suffit d’emmener le cadavre « au verre ». C’est facile. Pour Jacqui, c’est une autre paire de manche. Il ne faut laisser aucune trace pour échapper à la police. Dans le même temps, le meurtrier veut garder le corps de sa chérie - avec le petit garçon qu’il prénomme Eddie. Car, comme le disait Ernesto Sábato dans le Tunnel, « il y a eu quelqu’un qui pouvait

me comprendre mais c’est précisémen­t la personne que j’ai tuée ». Et morte, Jacqui est encore plus attachante car elle n’est plus méchante, Jacqui n’est plus méprisante. Alors l’assassin tergiverse en pilotant son taxi et regarde finalement vers les techniques de l’Egypte ancienne. Le reste fait froid dans le dos. « Quand mon heure viendra, j’espère qu’on s’occupera de moi avec les mêmes égards », dit-il. Grâce aux éditions Tusitala, Peter Loughran nous délivre une déclaratio­n d’amour peu commune, un livre hallucinan­t qui nous rappelle à tous les degrés qu’un mort, c’est lourd à porter.

Château de Pibarnon Bandol Rosé 2017 (75cl, 21€)

Jacqui Peter Loughran (Tusitala, 247 p., 20 €)

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