J-B GUILLOT, ROCKEUR DES ROSIERS
« QUAND JE JARDINE, C’EST RADICAL ! »
Le boss du label le mieux taillé du rock français, Born Bad, vit parmi ses nains de jardin, ses tomates-cerises (et sa collection de 10 000 vinyles) dans un jardin luxuriant du côté de Romainville (93). Rencontre.
Quel city- jardinier êtesvous, Jean- Baptiste ?
Je suis un banlieusard pur sucre. Ça fait 15 ans que j’ai émigré dans le 93, à un moment où peu de gens s’y projetaient. Cela permettait d’accéder à des maisons au jardin étendu. Le luxe ultime pour un citadin !
Et votre approche du jardinage ?
Je ne suis pas du tout dans cette version romantique du jardinier qui, après une bonne journée de labeur, vient se détendre en jardinant avec son petit sécateur. Quand je m’y mets, c’est radical ! Pour virer le liseron, par exemple, je ne fais pas dans la fi nesse.
Être city- jardinier, ça change votre manière de voir le monde ?
Comme je passe l’essentiel de mes journées dans ma véranda, je vois le jardin évoluer. Une façon d’être au plus près de la nature sans être baba- cool.
www. bornbadrecords. net
« AUJOURD'HUI, AVOIR UN ESPACE VERT EST UN ACTE PRESQUE MILITANT ! » – JÉRÉMIE ATTALI
explique la paysagiste Aude Bougeart. C’est ainsi que, du producteur star DJ Khaled (voir la pochette de son album Major key, shootée dans son eden californien), au magnat du luxe Henri Pinault, toute la jet-set overbookée s’adonne désormais au jardinage... et le fait savoir. Sur Instagram, les mises en scène de cageots chic (#interiorplants) et d’outils de jardinage de luxe (#gardentools) rivalisent désormais avec les selfies. Une révolution (verte) ! Car au-delà de la production de mini-légumes ou de laitues murales, le « city-jardinier » est en train de redéfinir nos modes de consommation. Il suffit de lever le nez pour comprendre que la révolution a déjà commencé sur nos balcons. « 7 Français sur 10 disposent d’un balcon ou d’un jardin privé, et, pour la plupart d’entre eux, cet espace vert est devenu la 2ème pièce la plus importante de l’habitation », affirme l’institut LSA, spécialisé dans les analyses de marché, dans leur étude de 2015, « Où jardine-t-on le plus en France ? ». Mieux encore : la France se placerait dans le sillage des Japonais et des Sud-Coréens, pionniers de l’agriculture citadine. En Asie, l’agriculture verticale n’a, en effet, rien d’un épiphénomène. Au Japon, où il s’agit de l’unique alternative crédible à la crise structurelle d’une agriculture locale vieillissante, le pays compte désormais plus de 300 jardins verticaux. Une belle pousée...
« BALCONY GARDENING »
Jusqu’ici, le citadin rêvant d’une vie plus verte, pris dans l’étau de ses horaires à rallonges, était contraint d’alterner entre l’AMAP (assoc’ qui livre des paniers de légumes en circuit court), le primeur du marché, et les rayons bio de grandes surfaces. Mais aujourd’hui, il pourrait se passer de l’un comme des autres – au prix toutefois d’un investissement de quelques centaines d’euros dans un kit complet de potager d’intérieur. Une fois équipé, il se formera devant l’émission Silence ça pousse, qui atteint des sommets d’audimat pour France 5, avec 1 million de téléspectateurs par émission chaque printemps. Et le week-end, le city-jardinier en herbe pourra se ruera chez son libraire préféré pour dévorer des best-sellers venus des champs tels Mon potager d’appartement de la journaliste britannique Zia Allaway (Larousse) ou l’alléchant Construire un potager hyper-productif encore mieux que chez le voisin ! (Marabout)... La pratique du « balcony gardening » en entreprise est même devenue un argument de recrutement pour les géants d’internet de la Silicon Valley. Au pays où les geeks sont rois, l’indoor gardening fait fureur. « Les nerds d’Amazon ou Google sont tous accros à ces “Smart Pots” et autres “Earth box” (des micro-pépinières connectées et quasi-autonomes, ndlr) », explique Jérôme, informaticien chez Cisco System US. En France, la société Ciel Mon Radis propose aux entreprises d’installer un kit potager dans leurs bureaux, pour remplacer les pauses cigarettes par des ateliers semis (« mais qui a encore fumé le basilic-citron ? »). Car au pays de Le Nôtre, l’agriculture attire de plus en plus d’urbains diplômés. « J’ai pour aspiration de devenir paysan, nous explique Louis Thiollet du Jardin 21, parce que j’ai pris conscience qu’on était dans une société qui marche sur la tête. J’ai donc décidé de quitter la carrière d’avocat à laquelle j’étais destiné pour me lancer dans l’agriculture urbaine »... Un pari judicieux, l’agriculture citadine étant en effet un marché florissant en France. Il attire même les investisseurs. La startup Peas&Love – qui propose depuis 3 ans des parcelles de potagers de 3m2 à louer (notamment sur le toit de l’hôtel Yooma dans le XVè arrondissement de Paris) – vient ainsi de lever 1,2 millions d’euros pour ouvrir 150 fermes d’ici 5 ans.
VERTUS APAISANTES
Le city-jardinier parviendra-t-il à donner vie au rêve new-âge d’installer la campagne en ville ? Est-il sur le point de réaliser le fantasme d’Ebenezer Howard, urbaniste-philosophe britannique de la fin du XIXè, inventeur du concept de « cité-jardin » pour, selon ses mots, « jouir des possibilités de vie sociale qu’offre une ville populeuse, tandis que les beautés de la nature baignent chacun de ses habitants » ? Déjà, une nouvelle génération d’agriculteurs des cités émerge, bien décidés à réenchanter l’image de la vie campagnarde. Lors de ses conférences, Jean-Paul Charvet, professeur de géographie-agricole à la fac de Nanterre et co-auteur du livre Agricultures urbaines innovantes (Ed. France
Agricole), constate effectivement « une augmentation surprenante du nombre de jeunes citadins qui se lancent dans l’agriculture, notamment des ingénieurs. Ce ne sont plus, comme par le passé, des enfants d’agriculteurs... ». Mieux, le jardinage « next-gen » offre la possibilité de vivre sa vie en réaction saine à un lifestyle urbain capable de « consommer » la planète comme les gens. « Aujourd’hui, avoir un espace vert est un acte presque militant, qui permet aux gens de se reconnecter avec la nature et entre eux, témoigne Jérémie Attali, éco-paysagiste au Ritz et chroniqueur à Regain, le magazine country-chic qui cartonne depuis son lancement en début d’été. Tout d’un coup, ça nous ramène à des choses qu’on a perdu : la nature à ce qu’elle a de plus beau, et notre envie d’en profiter tout en la sublimant. » « Le city-jardinage participe au passage d’une société basée sur la consommation à une société basée sur l’expérience » , confirme le journaliste suisse Sylvain Menétrey, auteur de l’essai Slow attitude ! (éditions Armand Colin). « Face à l’angoisse environnementale, à la disparition des écosystèmes, au réchauffement climatique, s’entourer de plantes, jardiner, mettre les mains dans la terre – même si celle-ci a été achetée dans le commerce – a des vertus apaisantes. On ne va peutêtre pas changer le monde, on aura au moins changé nos vies pour le mieux...