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SOLDAT, À VOTRE CHNOUF!

L’ARMÉE REGORGERAI­T-ELLE DE « BULLSHIT JOBS » ? ET LA DOPE PERMETTRAI­T-ELLE AUX TROUFIONS DE TENIR LE COUP ? UN EX-MILITAIRE TÉMOIGNE.

- PAR LOUISIANE C DOR

Matthieu, 27 ans :

« C’était comme un collège : une bande de gamins, pour la plupart des petits branleurs illettrés, obligés à se côtoyer tous les jours. Du bachelier à la racaille, de l’abruti de base au type perdu qui ne sait pas trop pourquoi il s’est engagé moi et, pour finir, des mecs des Dom Tom qui, avant l’armée, n’avaient jamais rien vu d’autre que la forêt. Nous étions tous jeunes, nous aimions les femmes, la fête et tout ce qui va avec : alcool, fumette et cocaïne. Dès qu’on avait camp libre, on « décompress­ait ». La plupart du temps, ça finissait en baston. L’alcool étant dur à se procurer, nos familles nous envoyaient des colis. Le cannabis se trouvait sur place en Afghanista­n, qu’est-ce qu’on a pu se défoncer avec la weed locale ! Quant à la coke, en France, des collègues la ramenaient au camp ; et à l’étranger, nous la trouvions sur place. Comme pour la weed, il y avait toujours moyen de « moyenner ».

Je n’ai pas eu droit à la coke tout de suite : il fallait que les dealers du camp aient confiance avant de nous en vendre. Ils prenaient de gros risques car la hiérarchie ne cautionne pas que la cocaïne circule. À l’armée, nous ne sommes soumis à aucun test d’urine, sauf si un supérieur a un doute et dans ce cas-là, c’est contrôle obligatoir­e. En arrivant, et pendant des mois, j’ignorais que la coke était présente. Ceux qui tapent le dissimulen­t, on ne fait pas tourner la poudre sur un plateau… La cocaïne, chez les militaires, n’est pas encrée dans les moeurs comme l’alcool. Il faut attendre d’être bien incorporé pour pouvoir y toucher. Disons que c’est le dessert. Tu bois, tu bois, tu bois, et si t’as encore faim, tu cokes. Et à l’armée, si tu ne bois pas, t’es juste bon à rentrer chez ta mère...

«ENGAGEZ-VOUS»

Qu’est-ce qu’on peut faire d’autre, à l’armée, que de se saouler et se défoncer ? Se défoncer pour se donner du courage, pour relâcher la pression. Taper quand nous partons marcher en pleine nuit, pendant des heures, dans le froid et lourdement chargés. On boit, on fume, on coke, on speed, on tue la fatigue et le cafard.

Parfois, on part en mission ivre de la veille, on a dormi deux heures, on n’a pas les yeux en face des trous. Une fois, on s’est défoncés toute la nuit et le lendemain matin, cinq heures, nous partions en mission en hélicoptèr­e... Je me suis engagé à l’armée parce que j’étais un petit con. Je n’avais rien à perdre et, surtout, je n’avais pas conscience que “la guerre” était “la guerre”. C’est en arrivant sur place, en mission, que j’ai vu la boucherie insensée que c’était et que je me suis dit “Quel con, quelle connerie !” Dans les gares, on voit souvent ces panneaux publicitai­res “Engagez-vous pour votre pays” ou “Engagez-vous pour la paix”, quelque chose du genre. Ah ah. Mon oeil. La guerre, ça n’est rien d’autre qu’un gros bordel ridicule. J’aurais pu crever dix fois. Deux de mes collègues sont morts, dont un qui est tombé à mes pieds. La guerre, c’est l’enfer. Alors l’ivresse, la défonce, comment ne pas les justifier ? »

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