SANS STRESS NI VIOLENCE
UNE BANDE D’ESCROCS 2.0 A-T-ELLE INVENTÉ LE PARFAIT BRAQUAGE, RÉALISÉ SANS ARME NI VIOLENCE ? PLUS À L’AISE AVEC UNE SOURIS D’ORDINATEUR QU’UNE KALASH’, ELLE EST CAPABLE DE BRAQUER DES MILLIONS AVEC UNE CLÉS USB. NOTRE REPORTER EST PARTI SUR SA TRACE.
Le 30 juillet 2018, les policiers du commissariat central de Nice reçoivent la visite de Mr. Yoo, un homme d'affaires sudcoréen de passage sur la Côte d'Azur, pour un dépôt de plainte. Venu en France signer un accord avec des investisseurs européens intéressés par sa plateforme d'échanges de cryptomonnaies basée à Singapour, il repartira délesté de deux millions d'euros… Un record !
Ce millionnaire discret est la dernière victime en date d'un « rip deal » d'envergure (« transaction pourrie » en anglais) commise en France. Le « casse » a été préparé sur plusieurs mois par deux hommes venus d'Europe de l'Est et installés dans le sud de la France. L'un d'eux se faisait passer pour un héritier de la famille royale d'un pays arabe, l'autre pour un as des affaires. Se créer une « légende » (un personnage convaincant) disent les policiers. Pour mettre la victime en confiance, le tandem ne lésine pas sur les moyens : rendez-vous dans des palaces, dîners aux meilleures tables de la région, voitures de luxe… Alors qu'ils font miroiter un investissement de 500.000 euros pour la plateforme de l'homme d'affaires, c'est finalement le rachat pour deux millions d'euros de bitcoins (« une monnaie virtuelle qui repose sur un protocole informatique de transactions cryptées et décentralisées » selon l’Institut national de la consommation, ndlr) qui sera retenu.
Dans un des immenses salons du Negresco, le palace qui trône sur la promenade des Anglais, les deux hommes remettent une valise contenant des billets de 500 euros à Mr. Yoo. Lui leur file en échange une clé USB sur laquelle sont stockés ses bitcoins. Après un virement, suivi de plusieurs autres, sur des comptes à l'étranger, la somme disparaît. Quant à l'homme d'affaires, il s'aperçoit, une fois de retour dans sa chambre d'hôtel, qu'il a été réglé en faux billets. L'entourloupe est réussie, les deux escrocs sont déjà loin…
Pourtant, après six semaines d'investigation, un escroc notoire est interpellé dans un grand hôtel cannois. À son poignet, une montre de luxe dont la valeur excède les 100.000 euros. De nationalité serbe, il est placé en détention provisoire le 19 août. Son comparse court toujours...
ESCROCS POLYGLOTTES
À la base, le Bitcoin a été inventé pour échanger des valeurs, sans passer par une banque. Cette technologie de geek, incompréhensible aux communs des mortels, a été créée en 2008 en pleine crise des subprimes. Elle permet d'échanger des valeurs, acheter des services ou stocker des actifs sans avoir recours au système monétaire classique. Et on garde ses bitcoins dans un e-wallet : une clé USB sécurisée. Enfin, presque…
Ces derniers temps, seize « rip dealers » ont été arrêtés à Bruxelles, une douzaine à Paris, d'autres encore à Londres, Lyon, Grenoble… Des équipes bien organisées et très structurées écument les plus beaux palaces en Europe et en Asie, le Vegas du bitcoin. « Ce sont souvent des Roms d’ex-Yougoslavie sédentarisés depuis des années en Seine-Saint-Denis » nous indique un policier.
Bien sûr, le rip deal n'est pas une nouveauté : des escrocs polyglottes, à la présentation soignée, et ayant une bonne connaissance de la législation en vigueur, vous proposent une affaire alléchante, mêlant petits arrangements et dessous de table. Sauf qu'à la fin du deal, vous vous retrouvez avec une mallette de faux billets. Et vos bitcoins perdus permettront, dans la grande majorité des cas, à votre interlocuteur de blanchir une somme rondelette – sans trop se fatiguer.
À côté du rip deal, d'autres escroqueries à la cryptomonnaie se développent. Les arnaqueurs créent d'abord un joli site sur lequel ils proposent de laisser noms et coordonnées pour recontacter les futures victimes. Ensuite ils promettent d'improbables retours sur investissement (sachant que la crypto-monnaie est un investissement risqué à très fort potentiel). Une fois la confiance gagnée, la victime est prête à sortir quelques dizaines – ou centaines de milliers, ou millions – d'euros…
Pour la commissaire divisionnaire Corinne Bertoux, patronne de l'Office Central pour la Répression de la Grande Délinquance Financière (OCRGDF) « cette “délinquance astucieuse”
L’ENTOURLOUPE EST RÉUSSIE, LES DEUX ESCROCS SONT DÉJÀ LOIN…
affectionne les cryptomonnaies car c’est facile de manipuler des victimes qui ne maîtrisent pas le sujet. De plus, elles sont légales et faciles à faire disparaître. Après quelques rebonds sur des comptes à l’étranger, elles disparaissent à jamais dans des paradis fiscaux ».
300 SITES D’ARNAQUES
Chaque jour, Roman Beyon, chargé d'opérations à la Coinhouse (anciennement Maison du Bitcoin, 35 Rue du Caire, 75002 Paris) reçoit des appels de victimes. « On a un site qui référence ces arnaques, on le garde à jour en temps réel mais il y a près de 300 sites douteux en France actuellement, détaille-t-il. Il y a même de fausses plateformes Coinhouse, nous c’est coinhouse.com et non coinhouse.eu. D’ailleurs, les escrocs utilisent régulièrement notre notoriété, même certains noms de personnes qui travaillent dans la boîte. » Pour éviter les arnaques, Roman a une solution toute simple : « Ayez le réflexe Google ! C’est très facile de vérifier en tapant le nom de la plateforme. Trois questions suffisent pour éviter de se faire plumer. Est-ce que des documents d’identité sont demandés ? (Une société sérieuse demandera toujours au moins une pièce d'identité et l'origine des fonds dès qu'il s'agit de sommes importantes, ndlr). La deuxième question à se poser : est-ce qu’on vous a promis un rendement ? Si on vous promet 10 %, fuyez ! Le seul rendement sûr aujourd’hui, c’est de prendre une assurance-vie à 3 % maximum. Et enfin, si la personne au bout du fil est agressive, tentez de forcer la vente ou insistez pour faire un virement à l’étranger, raccrochez... »
Aujourd'hui, le Serbe du casse de Nice croupit en détention provisoire en attendant son procès pour escroquerie en bande organisée ainsi que détention et mise en circulation de billets contrefaits.