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AU CAFÉ-RESTAURANT QUI FAIT L’ANGLE

- PAR JEAN-CHARLES CHAPUZET PHOTO NIVAN

QUE SE SERVIR EN LISANT LA DISPARITIO­N D’ADÈLE BEDEAU DE L’AUTEUR ÉCOSSAIS GRAEME MACRAE BURNET ? LA GÉNIALE INTRIGUE SE SITUANT DANS UN BAR-RESTAURANT D’UNE PETITE VILLE ALSACIENNE, LES VINS LUNAIRES DE MARCEL DEISS FERONT PARFAITEME­NT L’AFFAIRE. DÉGUSTATIO­N EN COMPAGNIE DU JOURNALIST­E JEANCHARLE­S CHAPUZET.

Manfred Baumann est un banquier qui déteste les samedis.

Orphelin, anxieux et solitaire, il traîne une pulsion adolescent­e qui l’avait poussé au meurtre. Jamais inquiété, Baumann, dans sa petite cité alsacienne austère de Saint-Louis, traîne désormais une vie d’adulte réglée comme du papier à musique, de la masturbati­on aux horaires de boulot. Timide maladif, on soupçonne même son orientatio­n sexuelle dans cette France profonde.

Georges Gorski, lui, est devenu policier. Après un passage au lycée à découvrir qu’il était éjaculateu­r précoce, il choisit le métier d’enquêteur et une femme qui bosse dans la mode - en se la pétant. Elle méprise son mari. Pire, elle n’a pas de poitrine alors que Gorski rêve de gros pomelos. L’infortuné met trop de sucres dans son café d’autant qu’il a en travers un meurtre non résolu alors qu’il commençait sa carrière.

ÊTRE SUSPECT…

J’oubliais… Baumann et Gorski se croisent de temps à autre. Ils aiment s’en jeter derrière la cravate au bar-restaurant de la Cloche, une brasserie qui fait l’angle et où la jolie serveuse, Adèle Bedeau, vient mystérieus­ement de disparaîtr­e.

Le vin et la banalité du quotidien les réunissent dans cette brasserie où le menu du jour est convenable. Sans doute un vin ordinaire. Au contraire, s’il est un domaine alsacien à se verser en lisant ce brillant polar psychologi­que, c’est celui de Marcel Deiss. On touche ici au monument des rieslings sur la minéralité avec des finales cérébrales que la famille biodynamis­te Deiss caresse. Les vins rouges en Alsace ont longtemps été mis à l’index mais on trouve désormais d’exigeants pinots qui regardent vers la grande Bourgogne. Toujours chez Deiss avec La Colline brûlée qui vous replonge dans l’Est, plus encore à Saint-Louis, précisémen­t au café de la Cloche où les hasards peuvent se cogner…

…NE REND PAS COUPABLE

« C’était la première fois que j’enquêtais sur un meurtre, et mes seuls repères venaient de ce que j’avais lu dans les livres, confie Gorski à Baumann. Mais ce que les livres ne vous disent pas, c’est que parfois un meurtre est juste une affaire de hasard. Et on ne peut pas enquêter sur le hasard. Deux personnes se croisent et quelque chose tourne mal. Peut-être même par accident ». Avec La Disparitio­n d’Adèle Bedeau, Graeme Macrae Burnet tape où ça fait mal, passant au scanner les petites habitudes, les grandes solitudes, les malaises de chacun. C’est un livre sur l’intimité et sur les troquets qui font les angles. Dans la préface, GMB ajoute une histoire à son livre en expliquant que le manuscrit est en fait de Raymond Brunet. Publié en 1982, ce roman est peu remarqué. Il faut attendre un septennat et Claude Chabrol pour que le film redonne vie au livre. A l’issue de la projection en guise d’avant-première, l’auteur Burnet s’enferme dans les toilettes au siège de Gaumont à Paris pour pleurer. Chabrol le réconforte dans un bistrot, non loin. Trois ans plus tard, Burnet, devenu pestiféré de Saint-Louis, se jette sous un train… Attention, tout ça est une deuxième fiction !

 ??  ?? Domaine Marcel Deiss Burlenberg 2015 (75cl, 37€)La Disparitio­n d’Adèle Bedeau Graeme Macrae Burnet (Sonatine, 354 p., 21€)
Domaine Marcel Deiss Burlenberg 2015 (75cl, 37€)La Disparitio­n d’Adèle Bedeau Graeme Macrae Burnet (Sonatine, 354 p., 21€)
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