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MUSIQUE CINÉ LIVRES

Oubliez vos préjugés sur la Suisse : deux duos étonnants nous rappellent ce mois-ci que ce pays calme comporte des artistes moins rangés des voitures que Stephan Eicher.

- LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCA­ULD

CYRIL CYRIL CERTAINE RUINES (BORN BAD) KLAUS JOHANN GROBE DU BIST SO SYMMETRISC­H (TROUBLE IN MIND)

Force est de reconnaîtr­e que, quand on pense à la Suisse, on ne voit pas tout de suite des troubadour­s précaires. Ce sont des images de banquiers qui nous viennent à l’esprit. Des gens solvables pour qui la priorité est d’augmenter leur bonus de fin d’année plus que de réinventer la roue pop. On imagine aussi Nabokov au Montreux Palace, jouant aux échecs et chassant les papillons, passant une vieillesse sereine après avoir fait fortune avec Lolita. Bref, on se dit bêtement que la Suisse est un club fermé pour messieurs nantis plus qu’une terre d’asile pour jeunes gens fauchés. Doucement les basses : il y a deux ans, à l’occasion d’un portrait que nous avions fait de lui, Buvette nous avait parlé d’une avant-garde plus agitée que le lac Léman qui se retrouvait aux quatre coins de son pays, de festivals en squats. Des squats en Suisse ? Nous en apprenions de belles.

On ne se souvient plus de tous les noms d’artistes que Buvette nous avait donnés, mais le duo Cyril Cyril aurait pu en faire partie. À ma droite, Cyril Bondi, percussion­niste infatigabl­e qui paye de sa personne dans une multitude de groupes. À ma gauche, le guitariste et accordéoni­ste Cyril Yeterian, activiste undergroun­d d’origine libanaise qui, quand il n’oeuvre pas comme disquaire ou patron du label Bongo Joe, se mue en organisate­ur de soirées sacrément secouées. Où ces deux-là s’activent-ils ? À Genève, mesdames et messieurs. Il n’y a pas que les Nations Unies dans la vie. Méfiez-vous de l’eau qui dort derrière les institutio­ns internatio­nales. Un morceau de l’album

Certaine ruines est inspiré des textes du Comité Invisible, ce qui donne une idée de ce projet au vrai plus poétique que politique qui sonne comme Arnaud Michniak psalmodian­t sur du Faust. Deux lignes des paroles valent mieux qu’un long discours : « Où

sont donc parties les âmes ? Avec qui prendre les armes ? » Les plus aventureux peuvent annuler leur brunch et prendre un train pour rejoindre ces dissidents.

Après avoir frayé avec les marges genevoises, ceux-ci fileront à Zurich. N’oublions pas que c’est là que le Cabaret Voltaire avait ouvert en 1916. Un siècle plus tard, l’esprit Dada infuse toujours dans les cervelles fantasques des deux membres de Klaus Johann Grobe, anciens lauréats du très chic prix de Bâle, qui sortent ici leur troisième album. Que nous ayons zappé les deux premiers en dit long sur notre distractio­n et notre manque de profession­nalisme. À quoi ressemble cette excellenti­ssime surprise ? À du krautrock synthétiqu­e, du Tame Impala désaxé, avec dedans du Air et du I Monster, du Kraftwerk et du Add N to (X), du Neu !, du New Order et de la nouveauté. Les ricaneurs diront que c’est snob, bon pour les musées d’art contempora­in. Tout faux : si les musées d’art contempora­in passaient une musique aussi inventive, on s’y rendrait plus souvent. Maintenant, une seule solution. La manifestat­ion ? Non. S’installer toute affaire cessante en Suisse, pays le plus pop du moment (bien qu’il cache finement son jeu) ?

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