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LE RÉAC LE PLUS SYMPA DE PARIS ?

À SEULEMENT 29 ANS, LE NOUVEAU CHRONIQUEU­R D’ON N’EST PAS COUCHÉ EST DEVENU « L’INFRÉQUENT­ABLE » LE PLUS EN VUE DU PAF. ENFIN UN « FA-BO » QU’ON PEUT INVITER À DÎNER ?

- PAR CLÉMENCE DE BLASI PHOTOS SYLVIE CASTIONI

S’il n’y avait cette légère trace de transpirat­ion qui laisse une marque brillante sur le front, à l’orée des cheveux, Charles Consigny serait plastiquem­ent parfait. Lippe charnue, chemise immaculée, rasage irréprocha­ble, le garçon est foutrement télégéniqu­e. Enfoncé dans le canapé au cuir usé de cet ancien garage auto reconverti en studio photo où nous le retrouvons, à Châtillon-Montrouge, le plus jeune chroniqueu­r d’On n’est pas couché (ONPC) semble apaisé. De l’arrogant petit roquet décrié, du provocateu­r de salon donné par le présentate­ur de l’émission Laurent Ruquier comme « le réac le plus sympa de Paris », on cherche en vain la trace. Le ton, qui relève du vieux barbon, tranche avec un aspect juvénile. Il en sort une impression de fragilité, et quelque chose de légèrement suranné.

Charles Consigny n’a pas trente ans, mais il porte déjà le poids des âges. « À l’époque, nous étions jeunes… » , ose-t-il au souvenir de son adolescenc­e, une période de sa vie dont il ne s’est pas tout à fait défait. « Il a été marqué de façon indélébile par le décès accidentel de sa très jeune soeur,Lara. Ce drame l’a construit. À l’âge de l’insoucianc­e il n’était déjà plus insouciant, ce qui n’est pas rien : il a réfléchi plus vite que d’autres à la vie, l’amour et la mort », observe Jérôme Béglé, directeur adjoint de la rédaction du Point, qui suit sa carrière de près.

L’enfant se présente au monde un 14 juillet, jour de fête nationale. Celui du bicentenai­re de la Révolution française, qui plus est. La légende familiale le place sous le haut patronage du président François Mitterrand, qui se fend à l’époque d’une lettre à ses parents. Charles Consigny déroule, posément : « Du côté de ma mère (la fille de l’un des fondateurs de l’Express, ndlr), je viens d’une famille de Chouans, ennemie des révolution­naires. On descend d’Henri de La Rochejaque­lein, qui s’est illustré pour sa bravoure pendant la guerre de Vendée. » De ce jeune chef d’armée, tué d’une balle au front à l’âge de 21 ans, l’histoire a retenu cette harangue : « J’ai […] contre moi et ma grande jeunesse et mon inexpérien­ce ; mais je brûle déjà de me rendre digne de vous commander. Allons chercher l’ennemi : si j’avance, suivez-moi, si je recule, tuez-moi, si je meurs, vengez-moi. » Les yeux de son descendant brillent d’un éclat violent.

« ENTRER DANS LE RÉEL »

De la lignée de son père, Thierry Consigny, un énarque reconverti avec succès dans la publicité, il détaille : « Je ne peux même pas dire bobo, car

ils n’ont pas le côté bourgeois. Ce sont des bohèmes-bohèmes, des artistes pour l’essentiel. » Avec un peu d’argent ? Pas tellement, observe le fils. L’entourage proche compte bien quelques acteurs et actrices réputés, une plasticien­ne-décoratric­e établie, des hauts fonctionna­ires... Son enfance, Charles Consigny la vit à Paris, au sein d’une famille recomposée, entouré de nombreux frères et soeurs plus jeunes que lui. Il fréquente l’école Massillon, toute proche de l’île Saint-Louis, un établissem­ent privé placé sous l’égide de la Congrégati­on de l’Oratoire. « C’était une école assez folkloriqu­e, qui ne ressemble pas à l’idée qu’on se fait d’un privé catholique mais plutôt à celle d’un mauvais lycée pu blic,avecun niveau peu exigeant mais une bonne ambiance, une population assez mélangée. Il était très mauvais à mon époque – en tout cas j’ai pu m’en sortir d’année en année en étant très mauvais… », débite le jeune homme, qui se dit volontiers « catho des deux côtés, de droite par ma mère et de gauche par mon père ». Plutôt croyant, mais pas vraiment pratiquant, si l’on excepte une messe une fois l’an, pour Noël.

À 17 ans, tandis que ses camarades sont occupés à flirter dans les rues de la capitale, il laisse tomber le lycée pour créer son propre média, Spring. « J’en avais marre d’aller en cours, j’avais envie d’entrer dans le réel. J’ai toujours aimé le monde profession­nel, l’entreprise. À 15 ans je tenais déjà le standard de l’agence de pub de mon père pendant les vacances scolaires. Ça m’a donné le goût des choses concrètes, et achevé de me dégouter de ma scolarité » , assène l’actuel chroniqueu­r d’ONPC. Le gratuit, qu’il conçoit d’abord comme un espace d’opinions pour les jeunes, se transforme vite en magazine branché, aux pages saturées de logos de luxe. Spring tiendra trois ans, et une dizaine de numéros, avant de couler au tournant de 2008.

L’OMBRE DE BOUTIN

Qu’à cela ne tienne, Charles Consigny s’essaie à la télé. Dans Cactus, l’émission d’actualité de Paris Première, il rencontre la présidente du Parti chrétien-démocrate, Christine Boutin. « J’appréciais son côté seule contre tous, passionari­a vilipendée en permanence – je lui ai demandé la permission d’assister à ses réunions, et on s’est bien entendu », résume le jeune homme, qui se défend aujourd’hui de tout rapprochem­ent militant. « À l’époque, je sortais mon premier livre, co-écrit avec mon père, Le Soleil, l’herbe et une vie à gagner (éditions JC Lattès, 2011) . Je me suis amusé à raconter à un journalist­e de Rue89 que je conseillai­s Christine Boutin, qu’on était copains. Je voulais juste attirer son attention, qu’il fasse un article sur mon livre, ce qui n’a pas loupé. Mais depuis, cette

histoire me suit à la trace, ce qui est plus malheureux pour le système médiatique, qui est un système de perroquets paresseux, que pour moi. » Dans ce fameux bouquin, il évoque ses bad trips de cocaïne, la souffrance d’être homosexuel et ses dettes liées à la faillite du magazine qu’il a fondé. « L’humanité me dégoûte », écrit le jeune auteur sous influence breteaston­ellisienne…

S’ensuivront deux autres opus, L’Âge tendre (sorti en 2014) et Je m’évade, je m’explique (2017, aux éditions Robert Laffont cette fois). « Le dernier, qui est un livre de pré-trentenair­e déphasé, tient également de Bret Ea stonEllis au même âge : il se sent sortir de la jeunesse avec mélancolie, il sent une certaine fatigue le gagner . Je ressens souvent la même chose » observe-t-il en jouant, faussement détaché, avec le bracelet d’une montre en acier.

200 BILLETS

Charles Consigny s’est beaucoup cherché. À droite, notamment. Au moment de la campagne présidenti­elle de 2012, il n’est âgé que d’une vingtaine d’années mais publie déjà des chroniques dans le magazine

Causeur – à Elisabeth Lévy, qui en dirige la rédaction, il a laissé le souvenir d’un « type délicieux, talentueux ». Peu avant le second tour de l’élection, il tient fermement sa position, dans une tribune sobrement intitulée

Pourquoi je vote Sarkozy : « Si je vote Sarkozy, c’est parce que je n’ai pas envie de voter comme Le Monde, comme les dealers, comme Gérard Miller, comme les fonctionna­ires territoria­ux (...). » Peu après la défaite de son champion, il intègre l’équipe des éditoriali­stes du site web du Point. Jérôme Béglé, qui l’a recruté, le décrit comme un « anticonfor­miste vif et ambitieux, pas forcément raisonnabl­e mais raisonné, qui s’exprime peu sur des sujets qu’il n’a pas bossés. » Le moins qu’on puisse dire, c’est que la nouvelle recrue à la parole libre est prolifique : ces six dernières années, Charles Consigny a signé près de 200 billets, dans lesquels il éreinte tout autant François Hollande qu’une certaine droite « paresseuse », qui n’hésite pas à flirter avec l’extrême si l’occasion se présente. Par effet de contraste, seulement incité à « un coup de balai plus général et plus franc », le président Macron semble s’en sortir relativeme­nt indemne.

Tout occupé qu’il est avec l’autofictio­n, les éditos et la présence en plateau (il participer­a à la très éphémère Émission pour tous sur France 2 en 2014, déjà présentée par Laurent Ruquier) ou à la radio ( Les Grandes gueules sur RMC), Charles Consigny en vient à négliger quelque peu sa passion première, le droit. « Le barreau, j’ai dû le passer trois fois pour l’avoir. Les deux premières fois je l’ai raté sur le fil, avec rage et désespoir. Je me suis beaucoup acharné. Si tout va bien, j’aurais prêté serment en décembre, janvier dernier carat », rayonne-t-il soudain.

Le très médiatique pénaliste Jérémie Assous, de ses amis, l’a beaucoup conseillé. Le garçon possède un réel entregent, dans toutes sortes de milieux. Il peut bien s’écharper avec Francis Lalanne, Kiddy Smile ou Muriel Robin : Charles Consigny reste très bien entouré. Ses bonnes fées, plutôt riches et âgées, ne demandent pas mieux que de l’aider.

Mais où souhaite-t-il seulement aller ? « Ce dont il rêve, c’est de devenir un grand pénaliste, de la trempe d’Hervé T emime ou DupondMore­tti. La télé, pour lui, c’est seulement un stage accéléré de la force et la faiblesse des mots », souligne encore Jérôme Béglé.

Le jeune chroniqueu­r ne tourne pas le dos à une carrière politique, un jour, peut-être, plus tard. « Plusieurs camps m’ont un peu approché, mais ça ne m’a jamais vraiment botté jusqu’ici. Il n’y a que des coups à prendre, aujourd’hui, dans la politique. » L’univers judiciaire d’abord, donc, le droit pénal ou le contentieu­x des affaires, l’âpreté de la salle d’audience plutôt que les feux des projos. « Le goût des prétoires devrait l’emporter sur celui des plateaux télé », prophétise-t-il. Sera-t-il donc bientôt rassasié du petit écran ? Charles Consigny se fend d’un demi sourire roublard : « il y a une phrase de Charlie Chaplin que j’aime beaucoup, je l’ai même notée dans mon carnet : “Il faut savoir s’effacer avant que ne commencent à pâlir les plaisirs de la foire aux vanités”. »

« JE SUIS CATHO DES DEUX CÔTÉS, DE DROITE PAR MA MÈRE ET DE GAUCHE PAR MON PÈRE. »

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