LES MINI- MAURAS EN TERRASSE
IL Y A QUINZE ANS, LA DROITE INTELLO PORTAIT ENCORE FIER. AUJOURD’HUI, ELLE SE MET AU SERVICE DU RETOUR DE MARION. TOUT ÇA POUR ÇA ?
Connaissez-vous L’Incorrect, lancé il y a un an ? À en juger par son titre, voilà une revue provocatrice, reprenant le flambeau de l’éternel anarchiste de droite, ce franchouillard venu des tréfonds de l’anticléricalisme médiéval pour venir taquiner les esprits sérieux de toutes les époques. L’enseigne est dirigée par Jacques de Guillebon, quarante ans, qui s’occupa d’Immédiatement autrefois. C’est bon signe, pourraiton se dire. Mais non. Cet « incorrect » veut d’abord dire, beaucoup plus trivialement, politiquement-incorrect. « On peut plus rien dire », etc. C’està-dire politiquement correct à l’envers. C’est-à-dire politique, et tout aussi rigide et pénible que ce qu’il prétend affronter. Le but de L’Incorrect n’est pas d’apporter une bouffée d’air frais pour respirer un peu autre chose que de la politique. Au contraire. Il veut tout politiser, mais de son côté. Et de quel côté s’agit-il ? Voyez l’ours. Ces jeunes gens qui cherchent désespérément à rendre la droite branchée à coup de titres à la Libé, de couleurs criardes et de couvertures pop ratées, ne viennent pas de nulle part, mais des cercles vaguement pensants issus de la Manif pour tous et, surtout, de l’entourage de Marion Maréchal, ex-Marion Maréchal-Le Pen.
Leur but, pas dissimulé du tout d’ailleurs : contribuer à « l’union des droites », sous la bannière de leur égérie. Faire tomber ce satané tabou de l’extrême-droite. Pendant que Marion, justement, monte son école à Lyon, l’ISSEP, pour former « l’élite de demain », ses anciens lieutenants font de l’agit prop à Paris. Ce n’est pas la même cible, pas le même mode opératoire, mais c’est le même but. Il faut rendre la droite cool, et l’extrême-droite avec elle. Pourtant, jusque-là, ces jeunes gens gravitaient bien, comme Guillebon lui-même, du côté des revues littéraires. Mais aujourd’hui, cette littérature, on veut la mettre au service d’une cause. On en a marre qu’elle ne serve tout bonnement à rien. Si on parle de Houellebecq (à L’Incorrect, on aime bien Houellebecq), c’est parce qu’il paraît facile à digérer dans un discours idéologique. Pourtant, c’est précisément par ce coin-là que Houellebecq est le moins intéressant. Mais tant pis. On fonce. L’Incorrect parle de livres, de cinéma, de culture, mais seulement à la condition que tout cela serve la nouvelle cause sacrosainte de la droitisation, et même de l’extrême-droitisation, horizon radieux de la politique française.
DE BONNE GUERRE
On se connaît un peu, eux et moi. Nous n’avons jamais été proches, mais on s’est croisés souvent. Justement par le biais de ces sociabilités littéraires qui penchent si régulièrement à droite, mais qui freinent des quatre fers contre toute vision idéologique du monde. Si on se connaît, c’est donc par cette autre droite, celle de Baudelaire, la droite de la contradiction et de l’ambiguïté, la droite des écrivains, celle qui a perdu la partie depuis la geste militante de 2013 ; celle qu’ils ont trahie. L’Incorrect n’était pas content du tout quand je me suis moqué d’eux dans mon dernier livre*, où je décrivais par le menu ce glissement de la droite intello abandonnant la littérature pour le militantisme. Ils ont répliqué dans leurs colonnes, en décrivant mon essai comme une tentative ambitieuse d’ascension sociale à Saint-Germain-des-Prés, à la Bel-Ami, si l’on veut (mais ça existe encore, Saint-Germain-des-Prés ?). C’était de bonne guerre, et ils auraient pu être plus méchants ; peut-être voyaient-ils bien où je voulais en venir, au fond, et se sentaient-ils un peu coupables… Mais voilà que Technikart me propose, comme pour confirmer leurs dires, de contribuer à un numéro sur les « Facho-Bohèmes » et leur omniprésence médiatique. Et de quoi le rédacteur en chef veut-il que je parle ? De L’Incorrect, pardi. C’est fait, donc. Mais ça va finir par devenir une affaire personnelle, cette histoire. Sans rancune, Jacques et les autres. Voyez cela comme une bouée de sauvetage.
« À L’INCORRECT, IL FAUT RENDRE LA DROITE COOL, ET L’EXTRÊME-DROITE AVEC ELLE. »