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« ON RÉAC N’EST PLUS DE LA MÊME FAÇON… »

LA CLASSE MOYENNE EST MORTE, VIVE L’ALLIANCE DES POPULISTES ET DES FACHO-BOHÈMES ? L’AUTEUR DE NO SOCIETY NOUS DÉCRYPTE LES COULISSES DE CE MARIAGE CONTRE-NATURE.

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Ces derniers temps, nous assistons à une boboïsatio­n de la droite conservatr­ice et réac. C’est à cause du creusement entre les différente­s classes sociales dont vous parlez dans No Society ? Christophe Guilluy :

Il ne faut pas oublier que les classes populaires se tapent complèteme­nt des passages télé de Charlotte d’Ornellas, des livres de Zemmour ou d’Eugénie Bastié. À l’échelle de la France, ils écrivent pour un lectorat de niche, ce sont les mêmes qui achètent à chaque fois. Vous pouvez faire un carton au niveau des ventes en touchant une fraction de la société.

Ce sont pourtant eux, les voix dominantes du moment.

Mais là on est à un moment où les intellectu­els de droite arrivent comme des chiens dans un jeu de quilles, c’est hyper facile pour eux. Les « facho-bohèmes » répondent aux demandes du marché : on veut qu’il y ait une diversité intellectu­elle dans chaque émission : un réac, un progressis­te… On a besoin de réactiver les clivages, sinon on s’endort. C’est donc logique qu’on ait eu droit, dix ans après les débuts télé de Zemmour, à une nouvelle génération qui présente mieux : les gens de droite font des gosses aussi ! Aujourd’hui, on n’est plus réac de la même façon qu’il y a trente ans. Donc oui, certains de ces mecs ont l’air branchouil­le, mais c’est un effet génération­nel et naturel. On ne pourrait plus avoir un réac dans les médias qui ressembler­ait à celui d’il y a trente ans.

D’un côté, on constate cette montée du populisme. De l’autre, un retour à des valeurs conservatr­ices – avec un goût pour la transgress­ion provoc’ à la Trump.

Mais ce sont deux franges de la population qui ont du mal à s’allier. La vieille théorie de l’alliance de la droite et de l’extrême droite, je n’y crois pas. Si vous n’avez pas les deux peurs – l’insécurité sociale et culturelle –, qui se rejoignent, vous n’aurez pas véritablem­ent le populisme. L’insécurité culturelle, le « J’aipeur

del’Islam », ça donne du Fillon, pas du Le Pen. La bourgeoisi­e de droite elle, est toujours calée sur un modèle économique qui massacre les classes populaires, donc de toute façon ils sont dans une contradict­ion. Le peuple ne demande pas seulement une protection culturelle mais aussi une protection sociale, et le modèle libéral que propose la bourgeoisi­e ne permet pas cette alliance. Idéologiqu­ement c’est impossible.

D’où l’incapacité de la droite classique à capter l’électorat populaire. Bizarremen­t, la rhétorique utilisée par les « facho-bohèmes » leur parle davantage.

Toutes les classes sociales ont été chamboulée­s ces dernières années, et du coup on se retrouve avec des marqueurs complèteme­nt inédits. Il y a l’ouvrier, ou équivalent, qui veut tout faire péter, c’est-à-dire voter Brexit ou Trump ; le bobo, qui ne sait plus où donner de la tête ; etc. Tout ça est le résultat d’une perte totale de repères. Il y a d’abord eu la classe ouvrière qui a coulé dans les années 70-80, et petit à petit, d’autres catégories ont suivi : les paysans, les petits employés et maintenant les profession­s intermédia­ires comme des cadres B et C. Quand on s’en aperçoit, on l’analyse toujours par les marges, car c’est rassurant de se dire « Ça merde en banlieue » ou « La campagne, c’est loin » . C’est oublier l’essentiel : toutes ces marges dont on parle forment une société toute entière. C’est ça, l’effondreme­nt de la classe moyenne occidental­e. Jusqu’ici, elle portait en elle les valeurs de la société. Quand ce n’est plus le cas, l’intelligen­tsia et l’upper-class se mettent à dégueuler sur les classes populaires en les traitant de « raciste » etc. C’est comme ça que la classe moyenne s’est cassée la gueule socialemen­t, économique­ment et même géographiq­uement.

Du coup, la seule voix à se faire entendre, c’est celle de l’extrême-facho ?

On a un énorme conflit de classe qui vient d’en haut et d’en bas, un conflit qui est brouillé par nos amis les bobos – de gauche comme de droite – qui n’assument pas une position de classe. Et le facho-bohème, c’est l’écume de ce refus. ENTRETIEN JEAN-BAPTISTE DOTARI No Society : la fin de la classe moyenne (éditions Flammarion, 240 pages, 18 euros)

« LE BOBO NE SAIT PLUS OÙ DONNER DE LA TÊTE. »

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