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«LES VINS DE BORDEAUX DOIVENT AVANT TOUT ÊTRE RESPECTÉS !»

L’AN DERNIER, L’ÉCRIVAIN BORDELAIS (IL EST NÉ À TALENCE) DÉFRAYAIT LA CHRONIQUE EN AFFIRMANT « Y A-T-IL UN VIN AILLEURS QU’À BORDEAUX ? J’EN DOUTE. » IL PERSISTE ET SIGNE.

- ENTRETIEN HUGUES PASCOT

L’indomptabl­e Philippe Sollers (l’écrivain de 81 ans vient de publier sa correspond­ance amoureuse avec la romancière Dominique Rollin) nous reçoit dans son bureau des éditions Gallimard, une pièce exigüe envahie de piles vertigineu­ses de livres et de quelques bouteilles de vins de Bordeaux, offertes par ses admirateur­s.

Vous êtes né avant-guerre dans la commune de Talence (33). Est-ce vos origines qui font de vous l’amateur de Bordeaux le plus connu de France ? Philippe Sollers : Certaineme­nt ! Même s’il faut garder présent à l’esprit que le Bordeaux demeure le vin le plus étranger à la civilisati­on française. Bordeaux est une capitale européenne avant d’être une ville française. À travers son histoire, elle a noué un lien très intime avec l’Angleterre (ma famille est d’ailleurs extrêmemen­t anglophile). N’oublions pas qu’avant de monter sur scène, Shakespear­e avait l’habitude de boire un verre de Bordeaux. D’autre part, la ville de Bordeaux est LA capitale du Sud. Tout le reste de la France a-t-il de l’importance ? Pas vraiment. Revisitons notre histoire : ailleurs, tout n’était qu’affronteme­nts. Pensez à la confrontat­ion violente entre les Bourguigno­ns et les Armagnacs. Cette ville très discrète avec un savoir-vivre séculaire a su s’affranchir des frontières et attirer très tôt des propriétai­res venus d’Angleterre, d’Irlande et de Hollande.

Quelle relation entretenez-vous avec le vin ?

Une relation sanguine. Il faut avoir en tête la façon dont le vin vous saisit. Ce n’est pas tout à fait par hasard que quelqu’un de très connu a voulu faire boire du vin à ses disciples. Ma relation est donc sanguine et profonde : enfant, je passais beaucoup de temps dans les pressoirs. Adolescent, je regardais les vignes du château Haut-Brion en sortant du lycée. C’était un enchanteme­nt permanent. Quoi de plus beau que les rosiers au bout des rangées ? Il y a aussi les chais, les caves. Leur odeur vous fait entrer dans la substance de la matière. Et puis il y a le souvenir des vendanges, c’est quelque chose d’extraordin­aire en termes de fête populaire. Aujourd’hui, je regarde vieillir mes bouteilles. Les ouvrirai-je un jour ? Peut-être… Mais il n’est pas forcément nécessaire de les ouvrir ! Une chose est certaine : le vin m’inspire dans ma façon de vivre.

« JE SUIS UN ‘‘ÉCRIT-VIN’’. »

Surtout les vins de Bordeaux ?

Les vins de Bordeaux doivent avant tout être respectés ! Ils sont infiniment liés au climat, au temps qui passe, à leur ancienneté. Avec un grand vin de Bordeaux ( il fait allusion au classement 1855, ndlr), il ne faut jamais se presser. Ce ne sont pas des vins apéritifs. Il sont associés au repas. Mais attention, quand il s’agit de Bordeaux, ce n’est pas le vin qui accompagne la nourriture, c’est la nourriture qui accompagne le vin.

Le vin girondin trouve son origine sur une confluence de terrains extrêmemen­t précis : jusqu’à un certain point on est dans la possibilit­é du vin de Bordeaux, quelques kilomètres plus loin, ce n’est plus ça.

Sauternes...Yquem...Saint-Émilion… l’incroyable Château Margaux ! J’éprouve un intérêt tout particulie­r pour le Château Giscours.

Et vous avez un vin préféré ?

Sans hésitation : le château Brane-Cantenac avec son étiquette si caractéris­tique, lettres noires sur fond doré.

Un conseil aux jeunes amateurs ?

Il faut manger très peu. Je dis bien « manger » car c’est une nourriture. Et je précise qu’il faut en manger très peu car on peut facilement être grossier avec le vin.

Et ce château Cantemerle 2012 ?

Ah ! C’est un vin franc. Et comme disait Alfred de Musset, « j’aime tous les vins francs, parce qu’ils font aimer ».

D’autres vins que le vin de Bordeaux ?

Il n’y a pas LE vin, il y a DES vins. Tous ne se valent pas et en ce qui me concerne, je suis un inconditio­nnel et un fanatique des vins de Bordeaux : leur splendeur est très grande.

Les hommes de lettres sont souvent des amateurs de vins. Avez-vous lu des textes viticoles ?

Non. Je les écris moi-même. Je suis un « écrit-vin ». Dans mes romans, j’ai beaucoup mis en scène le Brane-Cantenac. Ceci dit, le vin, je l’associe à Baudelaire: « Aujourd’hui l’espace est splendide ! Sans mors, sans éperons, sans bride, Partons à cheval sur le vin. Pour un ciel féerique et divin ! ». Quand je vais à Bordeaux, je suis accueilli par le libraire Denis Mollat. On va dîner et là, c’est une splendeur car les vins sont méticuleus­ement choisis.

Ça vous va si on vous qualifie d’épicurien ?

Si on savait qui était Épicure, on serait plus prudents avec l’usage de cet adjectif. Ce que je reproche au terme « épicurien » c’est qu’on lui associe toujours une connotatio­n péjorative : l’épicurien est souvent perçu comme le bon vivant et parfois dans sa forme la plus répugnante. Disons que je me sens plus baudelairi­en qu’épicurien. Il faut aller à la poésie pour comprendre le vin. Sans poésie on ne peut pas saisir le vin. Montaigne disait : « Revenons à nos bouteilles ». Pour revenir à Épicure, n’oublions pas que c’est le premier à avoir introduit les femmes en philosophi­e.

Un verre de vin par jour ?

Absolument ! Et si vous arrivez à finir la bouteille à deux c’est que vous vous entendez très bien avec ce quelqu’un… ou plutôt dans mon cas, avec cette quelqu’une.

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 ??  ?? « JE SUIS UN FANA DES VINS DE BORDEAUX ! » — Le maître inspectant sa dernière acquisitio­n, un Château Cantemerle 2012.
« JE SUIS UN FANA DES VINS DE BORDEAUX ! » — Le maître inspectant sa dernière acquisitio­n, un Château Cantemerle 2012.

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