PIMP MY POP- ART !
TRENTE ANS AVANT L’ÉMISSION PIMP MY RIDE, BMW FAISAIT APPEL À WARHOL, CALDER ET LICHTENSTEIN POUR CUSTOMISER SA M1. NOTRE REPORTER EST PARTI À MUNICH, QG DE LA MARQUE, SUR LES TRACES DE CES BOLIDES MYTHIQUES…
Printemps 1979. Andy Warhol se retrouve au siège de BMW, à Munich, pinceaux en mains, la firme bavaroise lui ayant confié « l’habillage » de la M1 destinée à courir les 24 heures du Mans au mois de juin. Seul hic : Jochen Neerpasch, le patron de l’écurie BMW Motorsport (et ancien pilote de course), vient de rejeter les deux premières propositions du pape du Pop-Art, envoyées depuis New York. « Il voulait modifier la carrosserie et même peindre les vitres ! », raconte Neerpasch aujourd’hui. Autant agacé qu’intrigué, Warhol quitte les US pour rejoindre illico l’usine munichoise de BMW, décidé à peindre luimême la bagnole. Pendant 28 minutes, l’ancien dessinateur industriel danse autour du bolide avec son pinceau. Une fois ce coupé de course repeint, il sourit : « J’aime cette voiture. Elle est plus réussie que la plupart de mes oeuvres. À plus de 300 km/h, on ne verra plus qu’une seule couleur... mais laquelle, I don’t know ! »
Quarante ans plus tard, le musée munichois de BMW rend hommage à celui qui inventa le concept de « l’Art Car » : Hervé Poulain, un fringant jeune homme de 78 ans, longtemps LE spécialiste des enchères de voitures de collection chez Artcurial (et pilote à ses heures lui aussi). Jusqu’en février 2019, on pourra admirer ces monstres mécaniques passés, à son initiative, entre les mains d’Alexander Calder, de Roy Lichtenstein et de Jeff Koons, entre autres, avant de courir (voire gagner) les 24 heures du Mans. Au volant ? Hervé Poulain, bien sûr !
SCULPTÉE POUR LA PERFORMANCE
Dans l’enceinte du BMW Museum où se tient le vernissage de l’expo Art cars, nous tournons autour des 3.0 CSL de 1975 customisées par Calder et Franck Stella. Poulain me raconte cette époque : « J’avais 35 ans, les cheveux longs et des pantalons à pattes d’éph’. J’étais un jeune commissaire-priseur qui marchait bien (avec un bureau situé sur les Champs-Élysées, ndlr), je voulaisêtreunhommecomplet,donneràmavieunedimensiond’action. Et je l’ai trouvée dans la course automobile. Mon rêve était de participer aux24he uresduMans.Etjecherchaisunmoye ndem’ouvrirlesportes d’un constructeur. » Lui vient alors l’idée d’associer un artiste contemporain et un constructeur de voitures de course. « Personne n’avait jamais fait ça. J’avoue qu’au début, j’ai eu un doute : une voiture de course, c’est déjà une oeuvred’art.C’étaitpeut-êtrepaslapeined’enrajouter, poursuit-il. Elle est déjà belle, parce qu’elle est sculptée pour la performance et dessinée par le vent. Y’a qu’à la regarder, avec ses gros biscotos et ses excroissances aérodynamiques... Et puis, finalement, j’ai fini par me dire : “Si Phidias ose peindrel’AthénaduParthénon,onpeutsûrementpeindreunevoiturede course !” »
Il sait qui il veut. En 1975, l’artiste Alexander Calder est au sommet de sa notoriété. Ce dernier vient de collaborer avec Jacques Prévert sur la création du livre Fêtes, et ses mobiles s’exposent sur toutes les grandes places de l’art contemporain. C’est pour cette raison que Hervé Poulain s’adresse d’abord à lui : « Puisque cette 3.0 CSL allait devenir une sculpture mobile, j’ai tout de suite penséaux“mobiles”deCalder ( desoeuvresenmouvementmécanique ou naturel, à la merci du vent, ndlr). Une chance, il vivait en France et je le connaissais personnellement ! Mais encore fallait-il trouver une oreille, du côté des constructeurs, pour écouter mon projet. Le contexte, c’est qu’en 1975, l’art et l’industrie étaient deux mondes qui s’ignoraient totalement. Aujourd’hui,celaabienchangé! »
CHOC PÉTROLIER
Hervé Poulain commence alors par aller voir de grands constructeurs français… « Mais j’ai subi un cuisant échec. Quand je leur ai parlé d’Alexander Calder, ils m’ont répondu : “Qui c’est Calder ?” J’étais un peu dépité. Et là, je croise Jean Todd, le grand navigateur de rallies. Jean me dit : “Je sais exactement qui peut comprendre ton idée. C’est Jochen Neerpasch, de BMW Motorsport. Je l’appelle tout de suite !” » Jochen répond, et saisit de suite le potentiel de ce projet. L’ancien pilote automobile allemand réplique : « C’est une idée géniale, mais c’est dommage, toutes nos voitures sont aux États-Unis. Je vous rappelle ! » À ce moment-là, l’Europe est en plein choc pétrolier, rouler coûte cher... Et BMW avait décidé d’aller voir ailleurs et de partir à la conquête du marché américain. Au bout de quelques mois, Jochen réussit pourtant à convaincre ses patrons de revenir sur les circuits français. Poulain décrypte : « Je crois que c’est le fait que Calder soit américainquiluiapermisd’emporterlemorceau.Eneffet,BMWrevenait en Europe tout en parlant au public américain. D’une voiture, deux coups ! »
RAMAGE ET PLUMAGE
Nous sommes le 14 juin 1975. C’est le jour J, le départ va bientôt commencer, Hervé Poulain frétille, il est au volant de la 3.0 CSL façon Calder, prêt à se lancer sur le circuit des 24 heures du Mans. Son rêve. Il met en branle le moteur, le pot crache, le volant vibre, le tapis roulant du macadam passe lentement sous la voiture. « On se tuait sur les circuits à
« J’AIME CETTE VOITURE. ELLE EST PLUS RÉUSSIE QUE LA PLUPART DE MES OEUVRES.» - ANDY WARHOL
cette époque-là, rappelle-t-il. Je ne vous dis pas les risques qu’on prenait pendant ces courses en rallye : les voitures explosaient, brûlaient. Et puis, jemerendaiscomptequej’étaisauvolantd’unmobiled’AlexanderCalder, une pièce unique ! Je me souviendrai toujours de la réaction de l’artiste audépartdelacourse.Uncaméraman,venufilmernospréparatifs,luia demandé:“Maispourquoitoujourspeindredubleu,dujauneetdurouge sur la voiture ?” Il l’a regardé et lui a répondu : “C’est tout ce que je sais faire !” Ensuite, cette espèce de géant, qui aimait tant la vie, m’a pris dans ses grosses pattes d’ours et m’a dit avec son accent américain : “Harvey, gagne, maisplease,vadoucement!”. » 24 heures plus tard, Hervé Poulain termine 44ème sur 55, une performance tout à fait honorable… pour un amateur !
Le vernissage de l’exposition se poursuit. En tournant autour de la voiture confiée à Roy Lichtenstein, autre artiste pop-art, je demande à Hervé Poulain comment il est parvenu à convaincre des stars de l’art comme Frank Stella ou Jeff Koons. Sa réponse me laisse pantois : « En fait, ça n’a pas été si difficile. Après la Calder, tout le monde voulait entrer dans le panthéon. Toutes ces voitures, ce sont des totems. Elles me font penser aux masques aborigènes, dont la valeur symbolique réside dans le fait qu’un chamane les ait portés pour danser lors d’un rituel. Ce qui fait la valeur de ces voitures, c’est qu’elles ont dansé ! Surtout, la force de ce projet était que le ramage coïncidait au plumage. C’est-à-dire que la qualité de la voiture était au niveau de celle des artistes. Et ces voitures étaient stupéfiantes : je mesouviens,lorsd’unecourseen1975,d’avoirdoubléuneFordMirageen 3.0CSL. »
Aux 24 heures du Mans, course à laquelle il participe régulièrement entre 1975 et 1982, il finit souvent dans les 10 premiers au classement général. « Et, puis, il y avait la dramaturgie de la course : le bruit, la fureur, l’honneur d’une firme, le risque… Le public se passionnait vraiment pour les voitures. Quand je passais devant les tribunes, tous les gens se levaient comme un champ de fleur ! C’était une formidable vitrine pour les artistes, et ils en étaient bien conscients. Après Calder, le second artiste à qui j’ai proposé l’idée était Frank Stella : ce ne fut pas très difficile de le convaincre, il adorait la course automobile ! Il voulait à tout prix en faire une. Et nous avons accepté car, si la Calder était faite pour le grand public, la Stella, dont les lignes suggèrent la beauté mécanomorphe et l’ingénierie, s’adressait davantage aux initiés. À partir de là, nous avons démontré que l’art contemporain n’était pas réservé à une élite, mais accessible à tous… et les choses se sont enchaînées. Après Calder et Stella, Lichtenstein. Suivi de Warhol…
Retour à Munich, au printemps 1979. Warhol vient de terminer son oeuvre. Il croise le regard d’un ingénieur de BMW, venu s’assurer que l’artiste ne touche pas à la mécanique de précision de la M1. Comme il reste de la peinture dans les pots, Warhol propose à l’ingénieur de peindre sa voiture personnelle - une banale E21. « Nein, surtout pas ! » lui répond le Bavarois, outré. Son banquier ne le lui a jamais pardonné.