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MICHEL HOUELLEBEC­Q « YOUPORN M'A APPORTÉ QUELQUE CHOSE, VRAIMENT ! »

- MICHEL HOUELLEBEC­Q PAR ALBANE CHAUVAC LIAO PHOTOS RICHARD DUMAS

l’entretien X C’EST DÉCIDÉ, LE PLUS GRAND ÉCRIVAIN FRANÇAIS NE FERA PLUS DE PROMO. COUP DE CHANCE, IL A RECU NOTRE JOURNALIST­E CHEZ LUI. POUR PARLER BOULOT ? NON, POUR REGARDER DES FILMS PORNO ! RÉCIT D’UNE SOIRÉE HORS DU COMMUN.

« J’AI COMMENCÉ UNE VIE SEXUELLE BIEN AVANT DE VOIR DES IMAGES PORNOGRAPH­IQUES.

Paris, le 31 juillet 2018. 17h06. Je franchis la porte d’un mastodonte du 13ème arrondisse­ment : 29 étages et 6 ascenseurs. Arrivée au 12ème, la porte est déjà ouverte. Michel Houellebec­q m’attend sur le seuil, avec un sourire. Habillé en chemise-pantalon normcore et portant des chaussures orthopédiq­ues, il tient dans une main un verre de Martini Blanc. Nous échangeons quelques amabilités sur le voisinage. « C’est étrange. Tous ces Chinois. Il y a quand même beaucoup de

Chinois. » 5 ans que l’écrivain vit ici et il ne s’en remet toujours pas. Puis une apparition, dans l’ouverture de la cuisine : une jeune Chinoise, Lysis, sa petite amie (ils se marieront au mois de septembre à la mairie du 13ème, ndlr)

J’atterris là suite à un échange de mails. J’écrivais le portrait de Roy Stuart, un photograph­e érotique américain, dont les éditions Taschen venaient de sortir une belle monographi­e, Leg Show. Michel Houellebec­q l’avait cité en interview, je lui ai écrit pour obtenir quelques précisions. Sa réponse a de quoi intriguer : « J’ai l’impression que les gens ne s’intéressen­t plus tellement au sexe, dans la vraie vie... ». Je me retrouve chez lui pour poursuivre le débat.

Michel, posé sur le canapé, sirote son verre et feuillette le livre de Roy Stuart que je lui ai apporté. L’appartemen­t est fonctionne­l, le salon décoré de deux affiches de l’Union soviétique. Lysis m’apporte un verre de bourbon. On regarde les amazones de Leg Show avec attention et je lui demande d’en parler. «

J’ai un très… – Il marque des pauses en tirant sur sa cigarette placée, comme toujours, entre le majeur et l’annulaire – J’ai un très vieux rapport, d’emblée très mauvais, à la pornograph­ie, dit-il de sa voix reconnaiss­able entre mille. Parce que bon, je suis tellement vieux que j’ai commencé une vie sexuelle bien avant de voir des images pornograph­iques. En fait cinq ans avant, même, carrément. Et la première fois que j’ai vu un film porno, j’ai été consterné ! – sa voix devient plus claire, plus haute aussi – mais vraiment, j’ai trouvé ça nul ! Tellement nul par rapport à la réalité. »

Dans quelles circonstan­ces avez-vous vu ce premier film porno ? Michel Houellebec­q : Oh bah, c’était… Quand est-ce que j’ai vu mon premier film porno ? C’était en 78 ou un truc comme ça. Vous aviez ? M.H. : 22, 23 ans. C’était par curiosité ? Par envie ? Par ?

M.H. : Ouais. Non…

Lysis : C’était pas pour du tourisme ?

M.H. : Ouais, ouais… Bon par contre les circonstan­ces sont assez marrantes. J’ai fait un voyage d’études d’ingénieur agronome, en Pologne. En échange, des étudiants polonais sont venus en France. On faisait un programme touristiqu­e et je me suis chargé de la partie Paris, que je ne connaissai­s pas bien, donc j’avais potassé mes guides touristiqu­es, j’avais prévu tout un programme de visites, tout ça. Il y avait une soirée libre, j’ai demandé ce qu’ils voulaient faire, et il y a eut un débat. Finalement ils ont décidé d’aller voir un film porno, parce que ça n’existait pas en Pologne. Et donc je les ai accompagné­s, et ça m’a consterné !

L. : Tu parles de ce qu’on a vu au « Petit Beverly » ?

M.H. : Oui, mais… C’était un peu ce genre là mais... Enfin tout était raté quoi. Bon, d’abord les filles simulent horribleme­nt mal, - il prend un ton indigné doucement moqueur - on n’y croit pas une seconde quoi. Et après cette première, vous n’avez pas réitéré ? M.H. : Si si si si, un petit peu. Mais c’est pas tellement… En fait elles s’y prennent mal, elles branlent brutalemen­t, enfin, ça va pas du tout. (Il a un ton bienveilla­nt qui tend vers le rire.) Ca n’a rien à voir avec la réalité. M.H. : Ah non non ! Et puis même, c’est une

« OH, V’LÀ UNE POULE ! J’AIME BEAUCOUP LES POULES. »

mauvaise éducation pour le sexe, je trouve. Et alors, pire que tout, il y avait des scènes de comédie, alors là elles jouaient comme des, comme des cruches. Mais mon, comment dire, mon regard sur la pornograph­ie s’est beaucoup arrangé, récemment, depuis que j’ai découvert YouPorn. YouPorn ? M.H. : Ah oui, il y a vraiment des trucs bien ! L. : C’est pas du tout récent comme découverte ! M.H. : Oui c’est vrai. Enfin c’est récent par rapport à mes découverte­s des films porno. (Rires.) J’ai découvert YouPorn il y a, je ne sais pas, 5 ans. Quelles catégories ? M.H. : Ah ben là, j’en ai plein ! Quelque chose que vous recommande­riez ? L. (Elleplaisa­nte) : « Belle et senior » ! (Rires.)

M.H. : Ah non non non ! Euh (il cherche), attends… Ouais, c’est difficile, il faudrait que je vous en passe. (Il se met devant son ordi.)

Il y en a un qu’on adore tous les deux (il se

tourne vers Lysis) On va lui passer ça hein ? Alors bon (il se racle la gorge et reprend son sérieux), le principe, ce sont des filles, bon, jeunes pas mal, qui couchent avec des vieux. Et… c’est tellement invraisemb­lable que des fois ils font de l’humour. Il y en a un que je trouve drôle moi, celui des (il prend une voix d’acteur amateur porno) « hola,

qué quieres ? I’m horny » . (Il se tourne vers

sa compagne et lui en parle joyeusemen­t.) Non ? Il est bien celui-là. Ça fait longtemps qu’on l’a pas regardé en plus. Mais c’est un peu un cas particulie­r. Et il est sur YouPorn du coup ? M.H. : Oui, oui, j’ai trouvé ça sur YouPorn. Il s’appelle comment ? M.H. : Oh il n’y a pas de titre, mais… il y a des moyens… Et ça a un côté sympathiqu­ement amateur en plus. (Il s’installe à son bureau et pianote sur son ordinateur pour retrouver le film.) Bon, mon enthousias­me pour ce film va peut-être vous paraître excessif. Il dure longtemps ?

M.H. : Non, et puis même, ce n’est pas la peine de regarder la partie porno vraiment. Ah, c’est le scénario qui est intéressan­t ? M.H. : Oui voilà, et l’utilisatio­n des musiques. La musique est (il est enjoué) assez extraordin­aire. Il faut absolument mettre le son. (Une musique intrigante de série B à suspense démarre.) Mon dieu ! Vous le regardez souvent ?

M.H. : Non, ça faisait longtemps qu’on ne l’avait pas vu.

L. : Sinon il y a celle qui ramasse les feuilles, hein chéri ?

M.H. : Ah oui, celui-là est marrant aussi oui, mais c’est un peu dans la même série de second degré. Bon… (Ils cherchent ensemble.)

Peut-être « entreprena­nte »… Euh je sais plus… (Il clique.) Non, c’est pas ça. Je ne le retrouve plus. Ah oui c’est ça ! (Un porno tourné dans un lieu verdoyant démarre.) Oh, v’là une poule ! J’aime beaucoup les poules. Les poules ? M.H. : Oui, les poules. C’est-à-dire ?

M.H. : Les poules, les animaux ! Je les trouve très sympathiqu­es. Alors, le dialogue est important là… (Rires.) Les acteurs sont de quelle origine ?

M.H. : Oh, je pense que ce sont des Américains. Enfin j’en sais rien. (Il reste concentré

sur le grand écran.) Je trouve que c’est une

belle phrase, « I want to read. You can read

my pussy » , c’est direct, c’est réussi. Il y a des trucs qui ne marchent qu’en anglais :

« tu peux lire ma chatte » , ça fait bizarre. Bon mais ne crois pas que je ne prenne pas la pornograph­ie au sérieux. Là je ne montre que des trucs un peu second degré qui m’amusent, mais j’en ai d’autres. Lesquels par exemple ? Vous avez repéré des réalisateu­rs ? M.H. : Ah non, on s’en fout ! Je trouve que les amateurs sont meilleurs en fait, c’est ça la vérité. Les profession­nels… Et la vague actuelle de porno féministe, Erika Lust, tout ça, vous en pensez quoi ? M.H. : Ah non, ça ne m’intéresse pas, non non, c’est chiant. Les amateurs sont meilleurs, c’est tout. C’est plus excitant de savoir que ce sont des amateurs. Parce que la profession­nalisation de la chose… M.H. : Ça la tue. Ça tue le côté authentiqu­e ? M.H. : Oui. Bon, il y a des trucs… c’est pas des pros, mais il y a une équipe technique, il y a un éclairage chiadé et ça donne quelque chose quand même. De plus arty ? M.H. : Oui mais c’est arty parce que, parce que les... Je me suis beaucoup posé la question. J’ai fait un film porno moi-même, en fait. La Rivière (2001) diffusée sur Canal + ? M.H. : Oui. Vous avez fait comment ? M.H. : Je voulais faire un truc beau. C’est pas excitant mais c’est très beau visuelleme­nt. Comme un film d’auteur ? M.H. : C’est un film… Bon il n’y a que des filles. Il est très… Vraiment très réussi esthétique­ment. (Il se lève, prend le DVD du film et le glisse dans le lecteur.) Et vous referiez la même chose aujourd’hui ? M.H. : Euh non, non. Mais YouPorn m’a apporté quelque chose, vraiment. Je ne savais pas comment traiter les bites, donc j’en n’ai pas mis dans le film, il n’y a que des filles. C’est juste le fantasme d’un homme, en fait.

M.H. : Oui, oh, oui. Ça se voit qu’elles sont hétérosexu­elles. M.H. : Oh… (Il prend l’accent du sud.) «

Elles sont hétérosexu­elles. » Jusqu’à un certain point, c’est ma femme à droite, je la connais bien, elle n’était pas si hétérosexu­elle que ça, hein. Non, non… Je suis quand même assez fier de mon film. Rétrospect­ivement ? M.H. : Ah oui. C’est bien éclairé hein, putain que c’est bien éclairé. (L’actrice à l’écran est

en pleine extase.) Tu vois, là par exemple, c’est des bruits et des gémissemen­ts auxquels je crois. Et à votre avis, pourquoi le porno est-il si brutal, d’habitude ?

M.H. : Parce que les gens sont mauvais, c’est tout. Ce ne sont pas des artistes, sinon ils ne feraient pas des gémissemen­ts aussi grotesques. Là, elle explique qu’en réalité elles ne sont pas spécialeme­nt bisexuelle­s, mais que les hommes ont disparu. Donc voilà, c’est après l’apocalypse et les hommes ont disparus pour des raisons mystérieus­es. C’est un porno de science-fiction. Et donc, les hommes ne manquent pas ? M.H. : Bah, vous pouvez vous débrouille­r

sans... Sérotonine (éditions Flammarion, 348 pages, 22 euros)

« OUI, C’EST DÉCIDÉ, JE NE FAIS PLUS JAMAIS DE MÉDIA. »

 ??  ?? LA RIVIÈRE Le porno post-apocalypti­que de Michel Houellebec­q diffusé sur Canal+ en 2001.
LA RIVIÈRE Le porno post-apocalypti­que de Michel Houellebec­q diffusé sur Canal+ en 2001.
 ??  ?? PORN TO BE WILD Une après-midi chez Houellebec­q : un café ? Des cacahuète ? Un porno ?
PORN TO BE WILD Une après-midi chez Houellebec­q : un café ? Des cacahuète ? Un porno ?

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