LES VRAIS HOMMES PORTENT DU ROUGE À LÈVRES
Notre chroniqueuse a rendez-vous avec le sublime Félix, fan de maquillage. Elle en reviendra toute chamboulée... La chronique de Violante Segal
« FÉLIX FOUILLE MES POCHES ET CHOISIT ENFIN MON ROUGE À LÈVRES ROUGE FONCÉ. »
J’attends Félix au Grand Pigalle Hotel. Dans un des fauteuils en velours, je suis assise face à l’entrée, de manière à le voir arriver. J’aperçois enfin sa grande et longiligne silhouette désarticulée, surplombée de ses cheveux longs, obéissants aux mouvements de sa tête, balayant le bar pour me trouver. Je lui fais signe pour qu’il me voie et fende une petite foule de gens qui, devant sa grâce, s’égare.
Son sourire précède l’ouverture de ses bras pour m’inviter à m’y livrer et constater avec quelle maîtrise il hiérarchise les opérations de son corps. Ses membres certes frêles sont impeccablement proportionnés. A la fin de notre verre, déçu de la vitesse du temps qui passe, il me propose de venir à son dîner. J’accepte et remarque l’attention particulière qu’il porte à mon manteau de fourrure blanche à taches noires irrégulières.
« On échange? », me lance-t-il comme un pari, le visage illuminé de malice. Il porte une longue parka blanche Martin Margiela. Je ne suis pas contre. Alors que mon manteau couvrait mes fesses, voilà qu’il ne remplit plus que des fonctions de poncho sur lui, révélant complètement ses avant-bras et le bas de son ventre. Son allure clownesque assumée finit par me convaincre que sa parka immense m’arrivant aux mollets me va comme un gant.
En sortant du bar, il emboîte le pas, ce qui me permet de noter les regards mi-interloqués, mi-admiratifs que son apparence suscite. En arrivant au restaurant, ses amis se moquent à peine de lui, sans doute trop au fait quant à la difficulté de déstabiliser le déstabiliser. Au moment d’aller fumer une cigarette tous ensemble, nous formons un petit groupe de cinq, Félix droit devant moi fouille mes poches en m’adressant un clin d’oeil adorable pour choisir enfin mon rouge à lèvres rouge foncé, l’ouvrir, se regarder dans la vitre du restaurant et l’appliquer soigneusement sur ses lèvres néophytes. Cette personne est sublime.
MESSAGE AMBIGU
Une fois revenu à l’intérieur du restaurant, il m’a fallu très peu de courage pour chasser la personne qui était assise à côté de lui, m’installer à sa place et passer le reste du dîner à témoigner à Félix ma disponibilité.
Félix n’est pas homo, il a de l’humour sur lui-même. Félix n’est pas provocateur, il est lucide, conscient de son physique et de sa capacité à diffuser un message ambigu.
Au même titre que certaines filles qui défoncent à coup de moccasins les barrières du genre, en repoussant avec désinvolture leurs manches pour faire de grands gestes, en écartant les jambes pour être plus confortables. Les filles aux voix graves et autoritaires, capables de maintenir le silence et le regard d’hommes assourdis par leur virilité.
C’est ceux qui choisissent, ceux qui mangent à tous les râteliers, ceux qui ont compris qu’un petit coup de crayon noir autour des yeux de temps en temps, rend tout à fait irrésistible, celles qui pensent qu’elles ont raison de mettre des mains au cul des garçons en leur proposant avec le plus inoffensif des sourires une vodka tonic, ceux qui n’ont pas peur qu’on les prenne pour des homos parce qu’ils finiront de toute façon à se lasser de leur sexualité et demander comme tout le monde à leur femme de leur foutre des godes dans le cul. C’est ceux-là qui ont toute mon attention parce qu’ils transpirent l’urgence de s’affranchir du regard des autres, parce qu’ils portent en bandoulière la promesse selon laquelle ils essaieront et toléreront presque tout.
La liberté a-t-elle de plus fidèles et sensuels ambassadeurs ?
V.S.