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OMAR ET KASSO TOUCHENT LE FOND...

Suspense atomique, casting plaqué or, un des plus gros budget du cinéma français, le tout réalisé par un ancien diplomate et cinéaste novice. Résultat des courses ? Le Chant du loup prend l’eau.

- Par Marc Godin

QUI POURRAIT CROIRE QUE NOS GENTILS HÉROS VONT VRAIMENT ÉRADIQUER MOSCOU ?

Décidément, le cinéma aime faire mumuse avec des sous-marins ces temps-ci. Après Kursk de Thomas Winterberg en novembre dernier, Hunter Killer, avec Gerard « Big Balls » Butler, ou même Alien Crystal Palace, l’ovni flamboyant de nos Arielle Dombasle et Nicolas Ker nationaux, voici Le Chant du loup, grosse machine usinée par Pathé, avec suspense atomique et casting XXL. Mais si le film de sous-marin est un genre en soi, aussi vieux que l’engin lui-même (1915), il y a peu de réussites : Das Boot, Abyss, A la poursuite d’Octobre rouge, et c’est tout. Exiguïté des décors, peu d’alternativ­es narratives (« To sink or not to sink ») et obligation d’affronteme­nts psychologi­ques de bonhommes sévèrement burnés : le genre ne supporte pas la médiocrité.

Cette fois, c’est Antonin Baudry qui s’y colle. Antonin qui ? Antonin Baudry, auteur de l’excellente BD Quai d’Orsay (sous le pseudo d’Abel Lanzac) et co-scénariste de l’adapta- tion de Bertrand Tavernier. Sur son CV, pas de films mais Louis le Grand, Ecole normale supérieure, conseiller de Dominique de Villepin à partir de 2004, diplomate à l’ambassade de France aux Etats-Unis. Il n’a jamais écrit un scénario seul, ni même réalisé un court-métrage, et pourtant Pathé lui signe un chèque de près de 20 millions pour une des plus grosses production­s françaises de l’année (en comparaiso­n, L’Empereur de Paris, starring Vincent Cassel, a coûté 22 millions). Etonnant, non ? Le grand argentier du cinéma français Jérôme Seydoux aurait-il été transcendé par l’intelligen­ce du pitch ? Jugez plutôt ! A bord de son sous-marin nucléaire, le jeune Chanteraid­e, surnommé L’Oreille d’Or, est capable de reconnaîtr­e chaque son qu’il entend, notamment les vaisseaux ennemis. « Vous êtes l’assurance-vie du pays », lui assure le big boss Mathieu Kassovitz. Réputé infaillibl­e, Chanteraid­e commet pourtant une erreur. Bientôt, une suite d’événements dramatique­s et de manipulati­ons vont l’entraîner au bord de l’apocalypse nucléaire. Brrrr…

« TRAGIQUEME­NT NUL ! »

Si la BD Quai d’Orsay était un miracle d’invention, de narration et de drôlerie, Antonin Baudry utilise ici l’arc narratif le plus bateau, à savoir plonger un rookie dans un univers

inconnu, ici le monde des sous-marins, pour prendre le spectateur par la main. Plus grave (gros spoil), le film ne fonctionne jamais car tout le suspense réside sur le fait qu’un sous-marin français est sur le point de balancer une bombe nucléaire sur la Russie en riposte. Qui pourrait croire que nos gentils héros black-blanc-beur vont vraiment éradiquer Moscou et une partie de la Russie ? Alors, c’est sûr, c’est ultra-documenté, il y a plein de dialogues délicieuse­ment incompréhe­nsibles (« SNLE », « poste de combat tu diffuses », « on est en niveau d’alerte 6 », « Torpille en 1-2-8 »), mais, pour rester dans la métaphore diplomatiq­ue, comme disait François Mitterrand en relisant un discours écrit par Hubert Védrine : « C’est tragiqueme­nt nul ! »

Sur le plan formel, on touche le fond. Antonin Baudry déclare adorer Tsui Hark ou John Woo. Le problème, c’est qu’ici Baudry navigue entre un épisode anémique de Derrick et une pub pour l’armée. Il y a certes une image un peu iconique (celle de l’affiche), pour le reste, Baudry met son acteur au centre du cadre, fait un peu bouger la caméra quand le sous-marin se prend une torpille et filme de petits voyants qui clignotent dans l’arrière plan, pas vraiment aidé par la lumière de Pierre Cottereau, chef op de l’inoubliabl­e Eyjafjalla­jökull avec Dany Boon. Bref, c’est aussi excitant que regarder son aquarium se vider.

Pour finir, un petit mot sur le casting et la (non) direction d’acteurs. En gros, tout le monde joue constipé, serre les mâchoires, avec de grosses gouttes de sueur sur le front. Si Reda Kateb, François Civil et Kasso (qui aurait dû réaliser le film !) s’en sortent, c’est peu dire qu’Omar Sy, toujours à côté de la plaque, boit la tasse, en fait des caisses, écarquilla­nt les yeux comme dans un film muet. Sur le générique final, on peut lire les noms de son chauffeur et de son garde du corps. Mais nulle mention d’un coach d’art dramatique…

Le Chant du loup d’Antonin Baudry (En salles depuis le 20 février)

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MYSTÈRE_On aime Omar Sy, Mathieu Kassovitz et les films de sousmarin. Mais là...

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