Technikart

MÉNAHEM LE MAUDIT

- XAVIER MAGOT

Avec ce portrait saisissant d’une victime de pédophilie au coeur de la communauté juive ultra-orthodoxe, Yolande Zauberman vient probableme­nt de réaliser son chef d’oeuvre. Un documentai­re édifiant et nécessaire sur la résilience.sans conteste notre film du mois. M

YOLANDE ZAUBERMAN (au cinéma le 20 mars)

Extérieur nuit, plage de Tel-Aviv. Menahem, 35 ans, ancien petit chanteur prodige hurle à la lune sa mélopée lancinante. Sa voix d’or nous hypnotise instantané­ment. Très rapidement, M, le maudit, se confie dans la pénombre. Dés son plus jeune âge, il s’est fait abusé par plusieurs hommes dont son rabbin. Il y a dix ans, il a décidé de ne plus se taire et enregistre la confession vidéo de ce dernier. Le scandale éclate dans la communauté hassidique et Menahem décide ne plus jamais revenir dans le quartier de Bnei Brak, capitale de l’ultra orthodoxie.

Genèse : En 2001 Yolande Zauberman découvre Menahem Lang dans Kedma de son ami Amos Gitaï. Éblouie par la maitrise de la langue Yiddish du jeune garçon, elle se renseigne et caresse un jour l’idée de travailler avec le comédien. Quelques années plus tard, alors qu’elle prépare un nouveau film, la cinéaste se rappelle de lui et découvre le scandale qu’il a fait éclater : « J’ai contacté Menahem en lui demandant si je pouvais l’aider à monter financière­ment ce que je pensais être un projet de film mais il m’a alors expliqué qu’il avait tout abandonné par peur des représaill­es. Quelques jours plus tard, il m’a rappelé en me demandant de faire le film avec lui. Nous sommes donc partis caméras au poing, sans réel script dans les rues de Bnei Brak à la recherche d’un de ses bourreaux. » M était né.

Et c’est bien là que réside la force du film. Plus la quête de Menahem avance, plus les barrières tombent jusqu’à ce que le film se fasse réellement jour. Au fil des rencontres le nombre de victimes augmente inexorable­ment et chaque interlocut­eur croisé semble avoir vécu le même trauma. Dés lors apparaît le portrait d’une communauté entière traumatisé­e dans laquelle le viol enfantin ne peut plus être envisagé comme un acte isolé mais prends plutôt des airs de rites initiatiqu­es admis. Face à Menahem, victimes et bourreaux s’abandonnen­t aux confidence­s les plus personnell­es qui, rongées par la culpabilit­é, ne demandent qu’à être entendues.

« C’est ce qu’ils appellent le Galgal, le cercle vicieux. Ils sont obsédés par l’idée de ne pas devenir violeur quand ils ont été violé. Comment ne pas passer à l’acte quand on a ça en soi ? Où et à qui peut-on en parler ? » explique la réalisatri­ce.

Avec cette plongée en apnée dans un univers exclusivem­ent masculin tournée intégralem­ent de nuit, Yolande Zauberman réussit l’exploit de faire un grand film lumineux qui malgré sa dureté parvient à redonner foi en l’être humain. Un exploit dû à la distance parfaite qu’à trouver la cinéaste pour traiter d’un sujet aussi sensible qu’inédit. Un choc indispensa­ble dont on ressort forcément grandit.

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