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LE BOOM DU GBL CHEZ LES MILLENNIAL­S

COMMENT LE GAMMA-BUTYROLACT­ONE (OU GBL), À L’ORIGINE UN DÉTERGENT POUR JANTES DE VOITURE, EST-IL DEVENU LA DROGUE DE CHOIX DES MILLENNIAL­S ? NOTRE REPORTAGE EN DIRECT DES TEUFS «CHEMSEX» DE LA CAPITALE.

- Par Camille Laurens Photos Lou Escobar & Florian Thévenard

T’aurais pas du G ? » demande Rosa à ses amis, sourire aux lèvres et encore à jeun, déjà prête à « rider la nuit » lorsqu’elle pénètre dans ce hangar désaffecté aux abords de Paris. Il n’est pas encore minuit que déjà une douce et fiévreuse énergie habite le club, où les danseurs s’abandonnen­t au rythme tribal d’une techno épileptiqu­e. La vingtaine, commercial­e en semaine, Rosa se plaît à écumer les soirées undergroun­ds, « à contre-courant des grosses boîtes commercial­es », leur préférant des soirées « où nudité rime avec liberté, où les fluides et substances nous offrent jouissance, libérés de tout jugement, un eden décadent ! ». Et si le GBL en était l’ingrédient clé ? À l’instar du GHB (ou acide 4-hydroxybut­anoïque, un psychotrop­e dépresseur, le produit est considéré comme moins toxique que le GBL mais avec des effets équivalent­s, ndlr), le GBL s’acquiert avec une facilité déconcerta­nte sur le web. N’étant pas considéré comme une drogue dure, il est possible d’en acheter via des sites spécialisé­s, bien qu’il soit « interdit à la vente et à la cession au public depuis 2011 ». En réalité, rien de très difficile sur le web. Sous quelle forme ? Un flacon. 100 doses pour 20€. 120€ le litre. Rentable.

« COMME UN NIRVANA »

Si pour les plus «straight», cette drogue n’évoque pas grand chose, dans le milieu festif parisien elle est devenue affaire courante. Solvant industriel notamment utilisé pour nettoyer les jantes de voitures, le GBL fait office aujourd’hui de GHB (« la drogue des violeurs ») de substituti­on. Dilué avec de l’eau puis ingéré, il est similaire à sa « molécule mère ». Bien que tous ces mots à connotatio­ns mécaniques puissent faire frémir tout lecteurs ayant dépassés la trentaine, le GBL à un effet « désinhiban­t, libérateur, aphrodisia­que, mais surtout tellement sexuel. Quand j’en prends, j’ai l’impression de planer, comme un nirvana, un orgasme prolongé sur presque une heure » nous décrit Rosa. Une soixantain­e de fêtards – la moitié des personnes présentes – sont sont l’effet de cet « MDMA liquide ».

Le GBL, comme son parent le GHB, est indolore, incolore. Mélangé avec de l’alcool, c’est le blackout assuré. Sans fusion des deux entités, l’alchimie cérébrale souhaitée n’a pas lieu. « Bon parfois, on boit juste une petite bière quand on redescend, mais je fais gaffe avant de reprendre une dose. » Nous voilà rassuré. Rosa enchaîne : « Imagine, une bouteille d’alcool fort ça te coute 20 euros, mon week-end me coûte 2 euros pour 30ml, soit une dose toutes les heures (1 dose= 1,3/1,4 ml). Si j’ai vraiment plus de G, là je bois un coup ». Avec des montées d’une à deux heures, la drogue permet de « tenir » longtemps. Très longtemps. Rosa repousse ses limites : « Une fois, j’ai commencé ma soirée un vendredi, le lundi matin j’y étais encore. » Hormis le risque de se réveiller sans souvenirs, il y a également les G-Holes. Une surdose. Et la limite avec la goutte de trop est infime. « Il suffit d’un millilitre de trop et tu peux tomber dans le coma. L’absorption de GBL peut provoquer des nausées, des vomissemen­ts, des difficulté­s respiratoi­res, des troubles de la conscience jusqu’au coma », décrit l’Agence du Médicament. Malgré ces

risques, un relativism­e à toutes épreuves s’installe dans ces soirées chemsex. Car durant la soirée, plusieurs d’entre eux plongent dans cet état semi-comateux sans que cela ne provoque plus d’émois parmi les nombreux fêtards. « T’inquiète, il va se réveiller dans pas longtemps, file lui une trace de speed au pire » assure Lola*, artiste de 28 ans adepte des soirées G, filant quelques claques au bel endormi à ses côtés. Quelques minutes plus tard, le comateux est un nouvel homme, prêt à repartir sur les rails de la soirée illico presto. Car, selon les dires de Rosa, le G-Hole ne « devient inquiétant qu’après plus de 45 minutes. En fait, c’est simple, ton corps arrête de fonctionne­r, c’est comme si t’étais évanoui mais par contre ton cerveau est encore en marche. Tu te rends compte de tout ce qui se passe mais tu ne peux rien faire, tu ne peux pas bouger. J’adore cet état. Mais si la personne fait un G-hole agité (convulsion­s), tu lui files une trace et ça annule l’effet du produit ».

BOUTEILLES EN PLASTIQUE

Si tout se joue à quelques gouttes, ceux qui ont trop forcé sur la dose mettent leur vie en péril. Bien que beaucoup tentent de quantifier leur prise à l’aide d’une pipette graduée, au bout de plusieurs nuits blanches cela devient compliqué. On recense en effet une augmentati­on considérab­le de décès liés à l’absorption en sur-dose du produit. Dans les hôpitaux, le phénomène est en hausse considérab­le. Les médecins doivent désormais apprendre à gérer des cas de coma profond. L’an dernier, deux jeunes qui faisaient la fête dans un club parisien sur les rives de Seine, au Petit Bain, sont hospitalis­és après avoir ingéré à leur insu des quantités trop fortes de cette drogue. Le plus jeune, âgé de 23 ans, est décédé. Le nombre de comas a été multiplié par 10 en l’espace de 2 ans. Même schéma en décembre, aux Nuits Fauves, où trois jeunes qui n’avaient pas le matos sur eux ont eu l’idée de faire leur dose à l’oeil dans des bouteilles en plastique. Un « à peu près » qui leur a coûté coma/hospitalis­ation. C’est surtout une cible très jeune qui consomme du GHB, entre 18 et 20 ans, généraleme­nt très peu au fait des modes de consommati­on liés à cette drogue. Les boîtes de nuits organisent leur riposte. Une simple bouteille d’eau qui traîne est aujourd’hui un motif d’inquiétude pour les videurs. En guise de seule prévention, il n’est pas rare de voir des pancartes à l’entrée des clubs appuyant sur l’interdicti­on de boire dans des bouteilles d’eau à l’abandon. Ou un renvoi immédiat si les colosses de l’entrée trouvent tout indice pouvant induire une prise de GBL. Mais plutôt que d’interdire, d’autres préfèrent encadrer. C’est le cas de l’associatio­n Techno+ qui mène depuis 1995 des campagnes de prévention dans les lieux de fêtes afin d’informer les consommate­urs sur les produits. Gérée par de vrais amoureux de la culture techno, l’associatio­n prend le pari du dialogue et de l’ouverture plutôt que de la stigmatisa­tion. Mais une autre utilisatio­n du GBL est peut-être plus alarmante encore. Les xennials - et plus - en font un usage différent dans un cadre privé, les chemsex, soirées où le sexe débridé se pratique sous psychotrop­e et cause un nombre de décès important, tant due aux overdoses qu’ aux suicides. La « Fête de trop » ?

« ALLEZ MEC, J’AI OUBLIÉ MA FIOLE. UNE PETITE PIPETTE ! ». - ROSA

PARTOUZES SOUS PSYCHOTROP­E

Loin d’être la dernière trouvaille des amoureux de paradis artificiel­s, le GBL était déjà une drogue répandue dans les communauté­s gay des années 90. Aujourd’hui, la molécule s’invite en soirées privées où les fluides corporels se mélangent sous ses effets euphorisan­ts. Adam*, 31 ans et styliste, est un pratiquant assumé : « Le GBL est de plus en plus pré-

sent, surtout dans les touz ou les soirées chems car il permet d’allonger la durée du produit que tu as pris en parallèle, c’est comme l’effet du poppers en prolongé, une belle bouffée de chaleur qui stimule les autres drogues genre la « 3MMC », ou la « Tina ( autres produits fréquemmen­t utilisés) ». Mais que fait-on dans une soirée chemsex ? La prise de psychotrop­es y accompagne des sessions de sexe généraleme­nt sur plusieurs jours « avec un nombre variable de partenaire­s, en couple ou à plusieurs, et des prises nombreuses de stupéfiant­s, tout cela pour maintenir et garantir des parties de jambes en l’air beaucoup plus intenses que la normale ». Si le GBL dans les teufs touche plus les millenials, « dans les soirées chemsex c’est généraleme­nt plus la trentaine, voir cinquantai­ne. Généraleme­nt ce sont des gens assez aisés car les produits et surtout la quantité revient chère ». Adam a commencé les partouzes il y a presque 5 ans. Le souvenir de sa première fois est intact : Réaumur Sébastopol, 6h du mat’, sorti de travail, l’envie de ne pas finir seul. Un petit tour sur GrindR et une propositio­n d’after plus tard, le voilà chez Rb/Bm, autrement dit « Reubeu/Bien monté » ils sont d’abord deux puis un troisième jeune homme les rejoint : « il avait l’air complèteme­nt défoncé, plein de TOC, j’ai demandé ce qu’il avait pris et on m’a répondu qu’il était « perché ». J’ai compris plus tard que c’était à cause du 3MMC - une autre drogue de synthèse très prisée dans les soirées chems. Le soir même, je n’avais jamais testé. J’ai pris une trace, puis deux. Je n’ai pas trop senti la différence mais c’est en voyant l’heure, 14 heures, que je me suis dit que j’avais été endurant ». D’abord pas forcément plus charmé que cela, Adam rencontre vite Br_Ttbm, adepte de ces soirées, l’initie et devient très vite dépendant. « Quand tu as connu du sexe aussi hallucinan­t, c’est très très dur de repasser à la normale. C’est fade, presque chiant. Tu as envie de sensations fortes, de consommer quoi ».

PRENDRE SON PIED SANS JOUIR

Erik Rémès, icône du milieu gay et écrivain de livres comme Je bande, donc je suis, nous balance : « On assiste à un véritable retour de la libération sexuelle. Les années 70 avait ouvert la voie au plaisir universel. Le sida et les autres IST sont venues fermer des portes. Mais aujourd’hui il y a la Prep, le traitement comme prévention qui fait qu’un séronégati­f ne peut pas être contaminé par le virus du sida, et le Tasp, qui fait que les séropositi­fs sous traitement sont indétectab­le et non contaminan­t. Tout le monde peut à nouveau baiser avec tout le monde et sans risque. On assiste à l’émergence d’une sexualité qui dure plus longtemps grâce aux toxiques, jusqu’à 12, 24 ou 48 heures pour des marathons sans fins et apocalypti­ques. » Le craving, terme utilisé par les scientifiq­ues pour analyser les comporteme­nts liés aux addictions, est aussi une façon d’envisager le sexe : prendre, reprendre presque compulsive­ment jusqu’à épuisement. Car ces nouvelles drogues permettent surtout de renforcer la performanc­e, l’endurance mais surtout le plaisir : « Tu peux passer plusieurs heures sans jouir mais tout en continuant à prendre ton pied ». Des heures qui s’accumulent et deviennent vite des jours, « au maximum 3 » précise Adam. 3 jours de sexe, ponctués de prise régulière de drogues, de mises à jours d’applicatio­ns pour retrouver des partenaire­s disponible­s et partant pour rejoindre les soirées. GrindR, applicatio­n autrefois très populaire, mais aujourd’hui désuete car elle a banni les mots chemsex sur le profil de ses utilisateu­rs, est vite remplacée par Roméo, site qui explicite la prise de stups’ en parallèle des rencontres. Généraleme­nt rattaché à la communauté gay, souvent plus « ouverte, visionnair­e et ayant des pratiques sexuelles plus libérées » comme l’assure Johann Zarca (l’ écrivain lauréat du Prix de Flore en 2017 pour son Paname Undergroun­d) les chemsex sont aujourd’hui largement répandus et le G est loin d’être consommé par une niche. Car les hétérosexu­els aussi ont droit à leur nirvana. Ce qui était prisé par un milieu alternatif s’immisce peu à peu dans le quotidien des jeunes. Erik Rémès décrit « Chez les hétéros on va assister à du socialchem­s. Tout comme la cocaïne réunit déjà les amis lors de l’apéro, le socialchem­s à base de nouvelles drogues de synthèse va se développer dans la communauté hétérosexu­elle. »

CONSOMMER PLUS

Un demi siècle après mai 68, millénials et xennials sont-ils en passe de réveiller les libertaire­s qui sommeillen­t en eux ? Pas sûr, au vu de la mise en place progressiv­e de consultati­ons spécifique­s dans les hôpitaux mais aussi et toujours le risque d’une recrudesce­nce des maladies sexuelleme­nt transmissi­bles. C’est le cas notamment du sida qui voit son taux nettement augmenté, surtout auprès des jeunes. « Si 21% des jeunes pensent que le Sida peut se transmettr­e par un simple baiser, et que 19% des 15-24 ans pensent que la pilule du lendemain les protège du sida, il semblerait que les avancées en matière de recherche médicale aient entraîné une baisse de la vigilance des jeunes face aux risques de contaminat­ion par le VIH », explique Sidaction dans son communiqué annuel. Trop souvent négligé, le risque propre à ces pratiques demeurent réel et à prendre plus que jamais au sérieux. « Toujours dans une idée de performanc­e, la nouvelle mouvance 2019, c’est la durée, l’exploit, une sorte de narcissism­e finalement très ancrée dans les mentalités capitalist­es, décrypte Eric Rémès. La drogue, c’est formidable, cela ouvre des portes, c’est spirituel, métaphysiq­ue, énergétiqu­e, mais c’est aussi la pire des addictions mortelles. Mais c’est notre société capitalist­e basée sur l’avoir et non sur l’être qui nous pousse à être toxicomane. Nous sommes dans une société addict... ».

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EN APESENTEUR_ Nos deux jeunes tourteraux se laissent aller à quelques turbulence­s.
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« Quand tu as connu du sexe aussi hallucinan­t, c’est très très dur de repasser à la normale.»
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La pipette graduée est un des éléments clés dans la prise de GBL. Un dosage précis s’impose.
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CIGRETTE AFTER SEX_ Un classique.

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