LES DRAG QUEENS DE PARIS
PARIS EST DÉSORMAIS ENDORMIE PAR LES COUCHESTÔT, LES RABATS-JOIE, LES RIVERAINS HYGIÉNISTES... TOUTE LA VILLE ? NON ! CAR UNE COMMUNAUTÉ D’IRRÉDUCTIBLES DRAGQUEENS – PLUS VARIÉES QUE LEURS HOMOLOGUES AMÉRICAINES OU ANGLAISES – RÉSISTE ENCORE ET TOUJOURS. RENCONTRE.
Un jeudi soir, le Yono (37 Rue Vieille du Temple, Paris 4ème), 22h30. Des applaudissements retentissent du fond d’une cour où se trouve une taverne mi-indus mi-chamallow. L’endroit est bondé : il est presque impossible de se frayer un chemin à travers la foule. Et quelle foule ! Une femme fume une Vogue dans un manteau de fourrure assorti d’une paire de talons à motifs léopard qui approche les 15 cm de hauteur. À côté, un groupe de jeunes hommes maquillés, chacun compressé dans ce qui semble être des leggings en cuir, me lance des regards suspects. Je commande une pinte et questionne le barman pour savoir d’où viennent les applaudissements entendus depuis la rue. Il sourit et me conseille de m’approcher des escaliers du fond. Je m’exécute. Je suis les notes d’un tube de Tina Turner, « Private dancer ». La scène est intense et envoûtante. Les concurrentes livrent des danses animées de passion et d’énergie. Ambiance électrique. Le public est bigarré, séducteur, bienveillant. Et le dancefloor composé quasi-exclusivement de magnifiques drag-queens, …
Pour comprendre la renaissance parisienne de cette scène, je prends rendez-vous avec ses plus éminentes représentantes : Parizhair, Calypso Overkill, Nomai, Cookie Kunty et Keiona Mitchell.
Les drag-queens n’ont jamais été aussi présentes dans la nuit parisienne avec l’ouverture de nouveaux lieux, l’émergence de nouvelles figures… On sent pourtant une différence avec la scène anglo-saxonne vue dans l’émission RuPaul’s Drag Race. Pourquoi cette « exception française », selon vous ?
Calypso Overkill : Je pense que le public s’est rendu compte qu’à Paris, on a des influences, mais on a quand même des styles très très différents de ceux de RuPaul’s Drag Race. Rien à voir ! La Drag Race présente un seul type de drag. En France, nous sommes beaucoup trop individualistes pour ça.
Parizhair : N’oubliez pas : être drag-queen, c’est surtout une manière de s’exprimer à travers un autre personnage que celui que tu peux être dans la vie de tous les jours. Ça peut prendre plein de formes : ton personnage peut même être lui-même plusieurs personnages différents.
Cookie Kunty : C’est être un artiste, une showgirl, qui présente un personnage monté de toutes pièces et qui vient vendre du rêve. Ça te permet de t’évader de ta routine, d’assouvir ta propre curiosité – et au public d’exprimer et expérimenter des choses qu’il ne pourrait pas faire autrement qu’à travers les artistes drags.
Et pourquoi vivons-nous une renaissance des drag-queens en ce moment ? Cookie Kunty : On est sortis d’une longue période médiévale à Paris où il ne se passait vraiment pas grand chose. Ici, il y avait des drags dans les années 90-2000 et après il y a eu une coupure.
Parizhair : À Paris, ça vient de revenir donc c’est tout frais.
Calypso Overkill : C’est une scène très jeune, on a su s’adapter avec la modernité, on absorbe, on voit les nouvelles tendances. Du coup je pense qu’à Paris on est les dragqueens les plus versatiles d’Europe. On peut tout faire !
Nomai : Tu nous reconnaîtras toujours : les Parisiennes vont toujours te défoncer
« À PARIS, ON EST LES DRAG-QUEENS LES PLUS VERSATILES D’EUROPE. » – PARIZHAIR
les bouteilles d’alcools partout. En terme d’alcoolémie, c’est le bordel. Les dragqueens françaises sont très bruyantes mais ce sont des filles qui aiment beaucoup ce qu’elles font, elles adorent, elles se battent pour ça. Essayez ! Mettez-vous des talons, une perruque, une robe et du maquillage, et allez marcher dans la rue. Vous verrez ! Au début quand je sortais, j’étais choquée, mais aujourd’hui je ne me pose même plus la question, car si on ne le fait pas, qui va le faire ? Et puis avec Charlie Hebdo, le 13 Novembre, l’underground a commencé à émerger et le milieu gay s’est affirmé.
Parizhair : À Paris il n’y a pas de règles pour le moment, il y a plein de styles différents et tant mieux. Et comment cette scène s’organise-t-elle ?
Cookie Kunty : À Paris, c’est assez variée : on peut vendre du show, montrer du maquillage, donner de la mode et du luxe, faire du comique et du cabaret. On a cette culture en France avec le transformisme, on a le burlesque… On est entouré de plein de possibilités.
Calypso Overkill : En fait, c’est le découpage entre la vieille école, qui à Paris était de ressembler à une femme notamment avec les transformistes, et la nouvelle, qui s’en fout du genre et utilise le corps et le maquillage pour montrer des choses qu’on n’a jamais vus. On pousse les traits presque comme des ovnis, des créatures, on ne ressemble plus du tout à des femmes à Paris ! Parizhair : On n’était pas bookés par les promoteurs comme c’est le cas dans d’autres pays, donc on s’est dit qu’on allait créer nos propres soirées, et ça marche assez bien. On essaye d’aller draguer les promoteurs partout pour leur montrer que le public augmente et que les gens s’intéressent à nous. Je pense que ça va aller assez vite, on a de très bons retours, on est précis et pointilleux.
Et la suite ?
Parizhair : J’espère et je pense que ça va aller très loin : en Europe, les gens connaissent de plus en plus et très vite les drags parisiennes.
Nomai : L’avenir du drag c’est d’essayer de faire avancer ici, au mieux, les normes LGBT. Mais quand je dis « ici », je ne parle pas que de ce pays. En France, il y a énormément d’étrangers, c’est une terre d’immigration, il y a tous les pays francophones du monde… Si tu changes un peu les mentalités ici, ça va influer ailleurs, aussi. Cookie Kunty : Ce que j’aime à croire c’est qu’on va être de plus en plus nombreuses et de plus en plus exposées, ça va devenir quelque chose d’incontournable. Tu pourras croiser des drags en soirée, dans les anniversaires, dans les bar mitzvah et les enterrements de vie de jeune filles et garçons ! On sera incontournables !
« SI ON NE LE FAIT PAS, QUI VA LE FAIRE ? » – NOMAI