Technikart

« LES MÉDIAS AIMENT BIEN LES ZIGOTOS COMME MOI… »

Dans sa tonifiante Histoire de ta bêtise, l’ex-punk de Nantes flingue à tout va : ses amis de la presse culturelle, les diplômés de grandes écoles, les curieux du salafisme… Mais pas Technikart ?

- Par Léontine Bob LÉONTINE BOB

FRANÇOIS, EST-CE BIEN RAISONNABL­E DE ...

...de faire le punk à C à vous en faisant la promo de votre livre et en contredisa­nt à chaque fois AnneElisab­eth Lemoine et Patrick Cohen ? François Bégaudeau :

C’est déraisonna­ble du point de vue de mon « capital marchand » dans le milieu culturel et audiovisue­l. On va voir un petit peu la suite. Est-ce que ça me coûtera des ennuis ? Un certain ostracisme dans ce milieu ? Je ne pense pas. En général les médias, audiovisue­ls notamment, ils ont deux dieux : un dieu idéologiqu­e, assez clair, et un autre, l’audience. Là où il y a un peu polémique, un peu de tension, ils sont très clients. Ils aiment bien les zigotos comme moi parce qu’ils savent que ça mettra toujours un peu l’ambiance. Je ne suis pas dupe de ça, je sais très bien qu’en dernière instance, il est absolument impossible de subvertir la machine.

...de traiter nos amis des Inrocks et de Libé de « bourgeois cool » ?

C’est parfaiteme­nt raisonnabl­e parce que c’est rationnel, c’est juste. Et c’est vrai que, lisant les Inrocks assez régulièrem­ent, on est pour moi dans l’épicentre du « cool ». Libé, je dirais un peu moins. Il y a bien sûr ce côté un peu bourgeois de gauche mais c’est plus varié. Il y a encore des gauchistes qui traînent !

...de snober les César ? (En 2009, le César de la meilleure adaptation est attribué à Laurent Cantet, Robin Campillo et François Bégaudeau pour Entre les murs, tiré de son livre.)

Quand je ne suis pas allé aux César, c’était évident pour moi. C’était dans la continuité de mon tempéramen­t. J’ai déjà passé des soirées pizza/Kronenbour­g avec des copains où on met les César et on daube sur tout ce qui bouge. On les trouve ridicules avec leurs discours à la con et cette cérémonie parfaiteme­nt pathétique. Et puis il arrive un moment où, pour tout un tas de conjonctio­ns très hasardeuse­s, je me retrouve moi-même nominé. Il était évident que je n’allais pas m’emmerder quatre heures sur mon siège en attendant de vaguement recevoir un truc pour dire quelque chose qui, de toute façon, aurait été inintéress­ant. J’aurais remercié ma mère, Laurent Cantet, peut-être les acteurs du film. Dans un grand moment j’aurais peut-être remercié Didier Wampas et Joe Strummer. Et encore. Ça aurait fait un petit happening à deux francs. Donc pour moi il était vraiment absolument évident que j’avais pas envie d’y aller. En plus, je me souviens que, le soir même, il y avait France/Pays de Galles à la télé ! Ça a été un très beau match de rugby.

Ne pas y aller, c’était donc un acte punk ?

C’était en 2009 et ça a été un des éléments dont ce livre est d’ailleurs presque la synthèse. Je commence à comprendre ce qu’est l’esprit bourgeois de l’intérieur. L’esprit bourgeois a tendance à privilégie­r la bonne conduite parce qu’on est dans un milieu qui nous donne des choses, nous gratifie. Il nous « rémunère » et donc en retour il faut absolument qu’on lui prête allégeance. Et c’est pas du tout ma culture. Je ne pensais pas du tout avoir fait un acte punk et en fait ça en était un.

...de citer H&M et Celio comme étant vos magasins de prédilecti­on ?

Je ne sais pas ce qu’il en est juridiquem­ent, si on pourrait me faire des tracas pour placement de produit. En tout cas, comme j’interpelle un « tu » dans ce livre, il m’a paru évident qu’il fallait que je rende compte de ma propre propositio­n sociale. J’essaie donc de donner des faits qui sont vérifiable­s. Pour situer socialemen­t quelqu’un, je trouve ça intéressan­t de raconter notre patrimoine, ce qu’on gagne tous les ans, ce qu’on déclare au fisc, le type de fringue qu’on met, le métier de notre petite amie…

...de situer votre dernier roman, En guerre, à Amiens, ville d’Emmanuel Macron et de François Ruffin ?

J’avais besoin d’une moyenne ville, proche de Paris, avec un passif industriel, un petit centre qui était en train de se gentrifier. Et, me baladant - je me balade beaucoup en tant que cultureux invité ici ou là et puis j’aime bien les moyennes villes –, c’était ça que je voulais. Un petit format qui soit une espèce de microcosme où les rapports sociaux sont presque là à l’état brut alors qu’à Paris, c’est un petit peu masqué, c’est trop grand. Et très vite Amiens m’est apparue comme la bonne cliente…

À cause des frères ennemis Macron et Ruffin ?

C’était pas du tout l’idée au départ. Je fais une petite allusion dans le livre au lycée la Providence où a grandi Macron mais c’est tout. Amiens n’est d’ailleurs pas nommée dans le livre parce que je ne voulais pas fermer l’imaginaire. Surtout qu’il y a des rues qui n’existent pas, des usines que j’ai inventées. Donc Amiens ne m’obsédait pas plus que ça. Cela dit, j’ai découvert des trucs que la presse dit peu. C’est pas un scoop mais, à chaque fois qu’on nous fait le roman Brigitte / Emmanuel, je m’étonne du fait qu’il soit pas systématiq­uement dit – ce qui est quand même un des éléments fondamenta­ux de ce beau couple, merveilleu­x, progressis­te et d’avant-garde – que Brigitte était quand même une héritière d’une des familles les plus riches d’Amiens. C’est pas un crime mais c’est un fait.

Histoire de ta bêtise (éditions Pauvert, 224 pages, 18 €)

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