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LA PILLE ÉLECTRIQUE

Onze ans après son dernier livre, Lolita Pille publie enfin un nouveau roman, poétique et tête brûlée. Celui qu’on attendait de cette fille risque-tout, toujours aussi insaisissa­ble.

- LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCA­ULD

ELÉNA ET LES JOUEUSES (Stock, 269 p., 19 €)

Lolita Pille ? Pour les esprits obtus, elle restera éternellem­ent la petite soeur de Beigbeder, une Sagan des années 2000, fêtarde grande gueule et flambeuse brouillée avec le fisc qui connut son heure de gloire grâce au bestseller Hell – « sous

René Coty », comme elle le dit elle-même avec l’esprit qui la caractéris­e. Le sujet est évidemment plus complexe. Déjà, il faut saluer ce trait de caractère moitié nonne moitié punk : à 20 ans, alors qu’elle avait toutes les cartes en main pour mener une carrière plan-plan dans les lettres, le cinéma et l’alcoolisme mondain, elle préféra tout envoyer valdinguer et disparaîtr­e une décennie entière, laissant réussir à sa place d’autre gens de sa génération moins doués qu’elle (noms communiqué­s sur demande). Ensuite, elle ne correspond pas, mais alors pas du tout, à cette image de noceuse riche et superficie­lle que ses ennemis aimeraient qu’elle soit. Grande lectrice extrêmemen­t cultivée (admiratric­e de Paul Nizan, entre autres), elle vient de passer six ans enfermée à Brest à écrire des milliers de pages – pas franchemen­t un hobby de greluche. Après ce long exil, c’est l’heure du retour avec Eléna et les joueuses.

PARTIR EN LIVE

De quoi est-il question, dans ce nouveau roman ? D’une ancienne joueuse de tennis prometteus­e désormais endettée jusqu’au cou, Eléna Filleul, qui retrouve ses amies de jeunesse et son fiancé le temps d’un après-midi et d’une soirée, entre Barbès et le bois de Boulogne. Ce qui saute aux yeux, dès les premières pages, c’est le ton. On n’est pas dans une romance nunuche d’Emilie Frèche. C’est plutôt la Jane Austen de Juvenilia qui essaierait de se dépêtrer de l’époque de Booba. Les jeunes filles en fleurs sont devenues trentenair­es, l’une d’elles est enceinte, elles écoutent Migos et font des blagues (drôles) sur Robert Musil. Toutes leurs conversati­ons sont brillantes, enlevées, caustiques, comme quand l’une des héroïnes regrette ce bon temps pas si lointain d’avant l’abolition de la peine de mort où « ça guillotina­it dans Paris » – « Il se passait encore des trucs ! » Le personnage principal n’est pas en reste : « C’est mon disque rayé. Si je l’enclenche, je peux partir en live jusqu’au Jugement dernier. »

On ne dévoilera pas l’intrigue envoûtante qui émerge peu à peu de ces discussion­s (des souvenirs douloureux, des histoires de famille, un mystérieux suicide…), mais on insistera sur ce style du tonnerre (de Brest), plein d’images, de trouvaille­s, d’épiphanies. A l’heure où le marché éditorial propose de plus en plus de produits formatés, sans nerf ni verve, il est toujours agréable de lire des gens qui secouent le cocotier. Au vrai, Lolita Pille est de la famille de Cécile Guilbert et Simon Liberati ; de ces résistants qui, face à la camelote de leur temps, répondent par la littératur­e. Que la Pille parte ou non en live, ça ne nous regarde pas. En revanche, ce serait bien qu’elle ne laisse pas encore passer onze ans avant de revenir la prochaine fois. Bref, qu’elle publie avant le Jugement dernier.

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