THIS IS NOT AMERICA
Plongée, en haute définition, dans les années 70, quand Dennis Hopper, Peter Bogdanovich et Sidney Lumet offraient au rêve américain un enterrement de première classe.
Arthur Penn («Bonnie and Clyde»), Mike Nichols («Le Lauréat») et Dennis Hopper («Easy Rider») nous avaient prévenus.
Mais c’est à partir de 1970, avec Scorsese, Friedkin, Pakula, Schatzberg, Cimino...que le cinéma a acté la fin du rêve américain et pointé la faillite morale d’un pays dont le président ment à la télévision, l’armée s’enlise au Vietnam, et les centres urbains sont gangrenés par la violence et la drogue.
Dès les premiers jours de cette décennie, Hopper avait lancé au Pérou, le tournage de «The Last Movie» qui allait, selon lui, révolutionner le cinéma. Fort du succès d’ «Easy Rider», qui avait coûté 500 000 dollars et en avait rapporté 60 millions, il avait carte blanche d’Universal pour tourner ce méta-western rousseauiste, à équidistance de Peckinpah, pour la violence chorégraphique, de «la Nuit américaine» pour le film dans le film, et des documentaires ethnographiques de Jean Rouch. Las, quand ils le découvrirent à l’été 1971, les patrons du grand studio hollywoodien furent atterrés. Malgré l’admirable photographie de Laszlo Kovacs —exaltée par une récente restauration du film en 4K— et un Prix de la critique, au festival de Venise, ce brulôt anti-impérialiste dans lequel des américains viennent corrompre des bons sauvages avec leur cinéma et leur voler leur or, fut un cuisant échec commercial, plombant la carrière de Hopper.
Le Lion d’or obtenu à Venise, par Bogdanovich, pour son Saint Jack, ne lui a plus porté chance! Adapté d’un roman de Paul Théroux, produit par Roger Corman, et tourné clandestinement à Singapour, ce polar zen, raconte les déboires d’un souteneur, ruiné par la mafia,
qui accepte de piéger un politicien pour se refaire. Mais c’est surtout le portrait d’un homme à la dérive, dans un monde postcolonial et sans dieu, et qui découvre, inextremis, le sens moral. Rendu à son éblouissante chromie d’origine, ce film porté par un Ben Gazzara fabuleusement désabusé, est un chef-d’oeuvre, à l’égal de Taxi Driver de Scorsese, Who’ll Stop The Rain de Karel Reisz et «Voyage au bout de l’enfer» de Michael Cimino. Trois ans plus tôt, sur la lancée de ses remarquables Serpico et Un aprèsmidi de chien, le vétéran Sidney Lumet avait abattu un Network diablement percutant. En ligne de mire: la télévision, matrice de la société du spectacle et carrefour de calculs politiques et économiques aux conséquences dévastatrices. Sous ses airs de thriller classique mené par Peter Finch, William Holden et Faye Dunaway au taquet, Network vire rapidement au cauchemar visionnaire, à la chambre d’écho du nihilisme assourdissant qui mutile nos vies, comme aurait dit Adorno. Le redécouvrir en hautedéfinition, à l’heure du capitalisme supranational qui réduit les habitants de la Terre à des humanoïdes hébétés, est un choc salutaire.
The Last Movie de Dennis Hopper en Blu-Ray et DVD
Carlotta)
Saint Jack de Peter Bogdanovich en Blu-Ray et DVD
(Carlotta)
Network de Sidney Lumet Blu-Ray, DVD et édition Collector assortie du livre «Fou de rage» de Dave Itzkoff (Carlotta)