Technikart

UN ALGO’ À SOI

Cyber-féminisme, oeuvres qui clignotent, workshops gender-fluid et concerts pêchus, Computer Grrrrls, récemment ouverte à la Gaîté Lyrique, coche toutes les cases de l’expo bon chic bon genre circa 2019. Une surenchère de belles intentions ?

- SAMUEL BELFOND

COMPUTER GRRRRLS À LA GAÎTÉ LYRIQUE (DU 14 MARS AU 14 JUILLET 2019)

À l’usage du public qui aurait le malheur de n’être pas millennial, la Gaîté Lyrique offre généreusem­ent un glossaire, à l’entrée de l’exposition Computer Grrrls. Sous les ors des arcades sombres, mi-espace culturel, mi-coworking branchouil­le, le visiteur vient ici jouir d’un avant-goût de « turfu », et sait à quoi s’en tenir. Cette entrée en matière sémantique n’est pourtant pas une coquetteri­e. L’exposition est dense, et la clarté du propos ne cède pas à la vulgarisat­ion facile.

RÉSISTANCE CYBER

Le préambule de l’exposition est une vaste fresque historique, façon Cité des Sciences miniaturis­ée, qui déploie la thèse centrale : perçue à ses prémisses comme une activité à faible valeur ajoutée, dérivative de la dactylogra­phie, l’informatiq­ue fut longtemps une activité essentiell­ement féminine, d’ingrates succession­s de calculs à la main jusqu’à la conception des premiers ordinateur­s personnels. La fin des années 60, percevant le potentiel de la discipline, les hommes font main basse sur le champ, fondent les mythes du codeur génial, du hackeur révolution­naire. Des années 70 au début du XXème siècle, Internet devient un champ de bataille virtuel, instrument de préservati­on du patriarcat autant qu’espace de résistance cyber, afro, xénofémini­stes. La récente enquête de Judith Duportail, parue aux éditions Goutte d’Or - qui rapporte comment Tinder, entre autres biais, fait de la puissance financière un facteur de désirabili­té chez les hommes et déprécie celle des femmes - est une énième preuve de ces inégalités larvées au creux des algorithme­s.

Certes, la dimension artistique de l’exposition, soit 23 oeuvres d’artistes contempora­ines, est hétérogène, mais a parfois tendance à nous servir la popote post-internet - glitch à outrance, pixel coulant, « regardez-moi-comme-ce-visage-3Dest-humain-mais-artificiel». Pourtant, par son message autant que certaines de ses trouvaille­s esthétique­s, Computer grrrrls est une réussite. Parce que la Gaîté lyrique et ses deux commissair­es savent de quoi elles parlent - quand d’autres exposition­s, récemment, donnaient l’impression de faire suite à une recherche Google, mots clés « artistes » et « robots ». Parce que quelques oeuvres étonnent, tel le déroutant tutoriel d’Elisabeth Caravella, tirant la pleine mesure de la salle immersive du soussol, ou encore cette délirante émission de cuisine montée aux oestrogène­s. Parce que la programmat­ion événementi­elle, loin d’enquiller les poncifs de médiation culturelle, est foisonnant­e et pointue, part belle étant faite, côté musique, à la scène féministe émergente, de Barbi(e)turix au collectif Comme Nous Brûlons. Une ambition à la hauteur de ses deux sujets, technologi­e et féminisme, souvent malmenés par des commissair­es qui ne seraient pas sortis encore du l’ère du Minitel.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France