EN DIRECT DU CALL CENTER
Entre gueulantes des clients et drogues de synthèses, les centres d’appels cacheraient de véritables paradis du sexe sous méphédrone... Un mode de management comme les autres ?
Nous sommes en 2017,
je stagne dans un de ces bullshit jobs décrits par l’anthropologue anarchiste américain David Graeber : un « emploi à la con où les journées sont chargées de tâches superficielles et sans aucun intérêt ». La dernière étape vers l’aliénation mental. Mais le boulot dans ce call-center de la région bordelaise est relativement simple. La moitié du temps, je sers de défouloir. Le reste, j’explique aux clients des manipulations qu’ils auraient pu trouver en moins de trente secondes sur Google. Seul point positif de ce boulot au smic horaire : on s’y envoie plus facilement en l’air entre jeunes slashers et accidentés du monde du travail qu’ailleurs.
Qu’il s’agisse des cadres, des assistants multimédia ou des travailleurs indépendants, chacun a sa propre histoire. Face à la pression de ces clients qui gueulent leur mécontement à longueur de journée, une certaine libération des moeurs s’est mise en place. Et chacun trouve son petit coin tranquille pour relâcher la pression.
PROMO CANAPÉ
« T’as plein de couples, officiels ou adultères, qui baisent dans les chiottes » témoigne un ancien cadre qui a travaillé une dizaine d’année dans l’entreprise. Les salles de repos sont aussi très appréciées : calmes, isolées, elles comportent plusieurs spacieux canapés pour s’affaler loin du regard des collègues. « Deux employés se sont faits choper dans le parking, ça a fait désordre. Ils étaient tous les deux mariés » rajoute-t-il. Après tout, les règlements intérieurs ne mentionnent pas de telles activités. Où est donc la faute ? Selon la loi française, une relation sexuelle pratiquée sur le lieu du travail ou dans un véhicule siglé au nom de l’entreprise est réprimé par l’article 222-32 du code pénal (« l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public » étant illégale).
Pourtant, du formateur qui s’est tapé la moitié de sa promotion, aux conseillers qui se draguent entre deux appels, les rapports se lient à tous les niveaux. « J’ai eu un responsable qui était intransigeant à la moindre absence, sauf avec les filles qui couchaient avec lui. Pour elles, il allait directement à la RH apporter
leurs arrêts maladies, raconte une conseillère trentenaire qui s’était refusée au jeu. T’as aussi des promotions canapé, comme la chef d’équipe qui avait eu le poste après être tombée super amoureuse, d’un coup, d’un haut responsable, après une nuit au pieu ».
La vie sexuelle d’un centre d’appel évoque celle d’une telenovella. À un détail près : la drogue. « J’ai beaucoup pris de 3MMC (une drogue de synthèse extrêmement aphrodisiaque, ndlr), me raconte un collègue d’un centre parisien, un quarantenaire au sourire carnassier. C’était devenu un réflexe, je snipais (repérer au loin une cible potentiel, ndlr), je demandais à ce qu’on me le mette en tutorat, et je lui proposais des cours du soir. Et là, je faisais des traces : ça se terminait une fois sur deux au pieu, sous 3MMC. »
Les drogues douces ont aussi leur place : la moitié des collègues et dirigeants fument des joints après le service. Après tout, pourquoi perdre du temps à chercher un plan quand ton collègue de droite, ton évaluateur et même le chef de l’équipe d’en face peuvent te fournir autant de weed que Snoop Dogg à Noël. D’ailleurs la drague, qui passe par les messages privés sur le Workplace (le Facebook pro) de l’entreprise, se limite le plus souvent à un « On se fume un joint chez moi ? »…
TEMPS D’UN COÏT
Après quelques mois de pratique, une interrogation s’est imposée à moi. Et si cette sexualité autorisée dans des espaces zen sans surveillance était une véritable stratégie d’entreprise au détriment d’une perspective d’évolution ? Puisque l’expérience en call-centers laisse généralement un trou béant sur son cv (qui s’en vante ?) le personnel est tenu par ce rythme d’apéros et d’afterworks, l’échappatoire assuré après des journées passées à guider vocalement des grands-mères maniaques et mécontentes de leur aspirateur de table, ou à attendre qu’un assisté de la vie constate la lumière verte clignotante sur sa box. Passé une certaine heure, cette plongée dans le quotidien le plus insignifiant des gens n’est plus supportable… et vous ramène à votre propre insignifiance. D’un beer time routinier, les apéros se transforment très vite en mur des lamentations et les afters en exutoire pour repousser ce moment où il faudra porter l’oreillette à nouveau. Mieux que le prozac, les soufflettes et les week-ends digital detox dans une yourte en Auvergne : baiser son collègue de bureau est un moindre mal. C’est aussi l’option la plus safe pour garder son taff, capitaliser sur sa retraite sans passer par la case chômage et affronter cette vie avec panache.